Depuis mai, alors que les activités commencent à redémarrer en Europe, l'Amérique du Sud est devenue le nouvel épicentre de la pandémie de coronavirus, notamment au Brésil. Le pays compte désormais le deuxième plus grand nombre de cas confirmés au monde. Une source potentielle de perturbations pour les supply chains entre le Brésil et l'UE.
En 2019, le Brésil était le 13e plus grand partenaire commercial de l'UE dans le monde et l'UE était le deuxième partenaire commercial du Brésil. Globalement, les importations de l'UE en provenance du Brésil sont principalement des produits primaires, notamment des denrées alimentaires et des matières premières, telles que le minerai de fer. Dans l'autre sens, les machines, les produits chimiques et le matériel de transport sont les trois principaux produits que l'UE exporte au Brésil.
Au cours du premier trimestre 2020, le commerce bilatéral UE-Brésil n'a pas été particulièrement affecté par l'épidémie de COVID-19. Les exportations de l'UE vers ce pays ont augmenté de 2,5%, une croissance principalement induite par les produits pharmaceutiques. Quant au repli de 4% des exportations du Brésil, il peut être largement attribué à la baisse des exportations de minerai de fer, dont la part du Brésil sur le marché de l'UE a diminué ces dernières années.
L'impact de l'épidémie de coronavirus a commencé à devenir sensible au deuxième trimestre. Bien que les données commerciales détaillées pour avril ne soient pas encore disponibles, l’épidémie survenue fin mars et en avril en Europe aurait entraîné une diminution de la demande de fruits tropicaux en provenance du Brésil, qui est l'un des principaux fournisseurs de mangues et de papayes auprès de l'UE.
Selon les prévisions commerciales de l'UE, les exportations extra-Europe de l'UE chuteront de 9 à 15% et les importations de 11 à 14% en 2020. Les exportations d'équipements de transport et de machines électriques, qui sont les principaux produits européens exportés vers le Brésil, devraient être les plus durement touchées, avec une contraction d'environ 15%. Dans le même temps, il pourrait y avoir une demande accrue d'exportations pour les équipements de protection individuelle (EPI) vers le Brésil et l'Amérique du Sud en général, grâce à l'assouplissement par l'UE des contrôles à l'exportation des EPI depuis le 25 mai. En ce qui concerne les importations de l'UE en provenance du Brésil, la situation tendue dans le pays pourrait compliquer la chaîne d'approvisionnement en amont des secteurs européens de l'alimentation et de la fabrication.
Selon le rapport de Google sur la mobilité, avec l'assouplissement progressif des mesures de confinement dans les pays qui figurent parmi les principales destinations d'exportation des produits alimentaires du Brésil, la mobilité augmente, et avec elle la fréquentation des cafés et des restaurants, qui étaient pour la plupart fermés pendant la période de confinement. (Figure 1)
Figure 1 - Source : Rapport Google sur la Mobilité
Malgré les signalements d'infections répétées dans les secteurs alimentaires du Brésil, les exportations de bœuf brésilien semblent être largement non affectées. Cependant, les importations européennes de bœuf du Brésil, deuxième fournisseur de l'UE après le Royaume-Uni, devraient se réduire. Cependant, la baisse des importations n'est pas principalement due à la pandémie, mais à un détournement des échanges de bœuf brésilien vers le marché chinois.
La diminution de l'offre de viande bovine brésilienne sur le marché de l'UE pourrait conduire l'Europe à se tourner vers d'autres grands fournisseurs. Par exemple, au premier trimestre, alors que les importations de viande bovine de l'UE en provenance du Brésil ont diminué de 2,9%, les importations en provenance de l’Uruguay ont augmenté de 66%. Toutefois, les trois principaux fournisseurs de viande sud-américains de l'UE, à savoir le Brésil, l'Argentine et l'Uruguay, ont tous considérablement augmenté leurs exportations vers la Chine (environ la moitié de leurs exportations totales de viande bovine).
D'autres produits alimentaires, comme le café et le jus d'orange par exemple, sont différemment impactés. Les restrictions de circulation au Brésil, en raison de la pandémie, ont engendré un retard par rapport au calendrier habituel pour les récoltes de café de mai. Étant donné que le Brésil est le plus grand fournisseur de grains de café de l'UE, avec un quart des importations totales [1], l'approvisionnement en café de l'Europe pourrait être perturbé au cours du second semestre 2020. Quant au jus d'orange, les prévisions de l'UE suggèrent une importation stable en provenance du Brésil en 2020 malgré d'éventuels défis logistiques dus à la pandémie dans un contexte de reprise de la demande et d'offre forte.
Rappelons toutefois que la pandémie pourrait contribuer à faire émerger un changement de comportement des consommateurs au profit de produits frais locaux. S'il est peu probable que les fournisseurs locaux puissent remplacer massivement le bœuf brésilien, cette tendance pourrait avoir un impact sur la structure des importations de viande de l'UE à long terme et, à ce titre, la tendance devra être surveillée de près.
La pandémie actuelle au Brésil affecte également les industries sidérurgique et automobile de l'UE de deux manières.
> Premièrement, l'épidémie au Brésil vient s'ajouter à la contraction de la demande mondiale d'automobiles. Une baisse qui contribue à la diminution de la demande de matières premières. Selon S&P Global, la demande de minerai de fer en 2020 dans l'UE (UE-28)[2] devrait chuter de 10%, soit 14 millions de tonnes.
> Deuxièmement, la perturbation de l'offre de minerai de fer brésilien, entraînant une baisse des exportations de 28% en mai, ainsi que la demande croissante de la Chine, ont contribué conjointement à une flambée des prix du minerai de fer. Le 1er juin, ils ont atteint leur point le plus haut depuis août 2019. Ce n'est certainement pas une bonne nouvelle pour les industries sidérurgique et automobile de l'UE qui cherchent à se redresser. Depuis 2018, l'UE a commencé à chercher des options alternatives au minerai de fer brésilien. La perturbation actuelle pourrait confirmer le mouvement des acteurs européens vers d'autres fournisseurs nationaux et internationaux.
La pandémie a également posé des défis logistiques importants pour le transport de marchandises. Le fret aérien entre l'UE et le Brésil connaît actuellement une réduction de 90% à 100% des capacités disponible à bord des avions passagers et une réduction de 80% à 90% des capacités tout cargo. Et compte tenu de la situation sanitaire au Brésil, il semble peu probable que les restrictions soient levées à court terme. Conséquence : les taux de fret sont en forte hausse, notamment dans le sens Brésil-Europe, comme le montre cet exemple Sao Paulo-Paris CDG issu de notre base de données Upply.
Source : Upply
En ce qui concerne le fret maritime, les escales des porte-conteneurs à Santos ont diminué de 7,7% d'une année sur l'autre au cours des quatre semaines de mai[3]. Une tendance qui s’inscrit dans le droite ligne de la baisse de la performance commerciale brésilienne en mai, où les exportations et les importations ont diminué respectivement de 4,2% et 1,6%. L'arrière-pays des ports sud-américains a été particulièrement touché par la pénurie de main-d'œuvre et les perturbations du transport routier.
En dehors de la partie transatlantique, les mesures de contrôle aux frontières entre les États membres de l'UE et les mesures nationales compliquent également la distribution au sein de l'UE. Certes, la situation a commencé à s'améliorer. Cependant, la pénurie signalée de moyens de stockage dans le secteur frigorifique à travers l'Europe peut être une autre source de perturbations pour la chaîne d'approvisionnement alimentaire UE-Brésil. Durant le confinement, les stocks se sont en effet accumulés dans les entrepôts sous température dirigée en raison de la baisse de la demande. La reprise progressive des activités devrait commencer à atténuer le phénomène, mais une certaine incertitude demeure.
[1] D'après les données commerciales d'Eurostat pour 2019.
[2] Cela inclut le Royaume-Uni, donc les données ici se réfèrent à l'UE-28.
[3] Le taux de croissance est calculé à partir des données fournies par Datamar.