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Assurance transport : des valeurs cumulées en hausse à bord et à terre

Rédigé par Anne Kerriou | 03 juin 2019

Les acteurs français de l’assurance maritime, aviation et transport ont organisé une table ronde consacrée à la question des cumuls et du suivi des conteneurs, lors du colloque Parismat 2019. Les nouvelles technologies apportent une aide précieuse pour l’ensemble de la supply chain, même si des freins psychologiques et financiers subsistent.

Dans le secteur de l’assurance transports comme ailleurs, les professionnels doivent composer avec l’irruption rapide de nouvelles technologies qui, selon les cas, peuvent être source de risques ou d’opportunités. Dans le transport maritime, par exemple, l’usage de capteurs intelligents placés sur les conteneurs est en pleine expansion, dans un contexte d’accumulation de valeurs sans précédent à bord des navires ou dans les ports.

Des milliards d’euros de marchandises, à bord et à terre

La forte croissance des échanges et l’augmentation de la taille des navires ont en effet profondément modifié les enjeux. "Si on peut avoir une bonne idée des valeurs moyennes des conteneurs sur un segment donné, il est beaucoup plus difficile de connaître précisément les accumulations. La valeur d’un conteneur, selon la nature des marchandises, peut varier de quelques dizaines de milliers d’euros à quelques dizaines de millions. On estime qu’à bord des plus grands navires, les quelque 20000 conteneurs emportés peuvent représenter une valeur de l’ordre du milliard d’euros", a souligné Sylvain Gauden, directeur Souscription Marine & Energy de SCOR Global P&C, en ouverture de la conférence sur la question des cumuls et du suivi des conteneurs organisée le 14 mai dans le cadre du Rendez-Vous Parismat.

Déjà vertigineux, ces chiffres ne sont rien à côté des accumulations terrestres, comme l’a montré en 2015 le sinistre du port de Tianjin. "Selon la société Russell Group, les expositions totales à un instant donné avoisineraient les 900 milliards d’euros dans le port de Hong Kong, 580 milliards à Singapour et 200 milliards à Rotterdam", précise Sylvain Gauden.

Un suivi encore imparfait

Ces estimations sont rendues possibles par une meilleure connaissance des flux, du positionnement du navire en temps réel ou encore par l’évaluation de ce qu’il a chargé ou déchargé dans un port en fonction de son tirant d’eau d’entrée et de sortie. Les nouvelles technologies, comme le big data ou la blockchain, apportent aussi des informations supplémentaires.

Pourtant, selon Sylvain Gauden, il reste des marges de progrès considérables. "Les moyens de mesure ainsi que les informations transmises et mises à disposition des différents intervenants de la chaîne du risque sont disparates, les modèles varient et leur interprétation aussi", estime le représentant de SCOR Global P&C.

Des freins à l’adoption de certaines technologies

Maxime Ambourg, directeur de l’offre et de l’innovation chez AXA XL Risk Consulting, confirme : "Le sujet du suivi des conteneurs dans le transport n’est pas nouveau et pas spécifique au maritime. En revanche, les nouvelles technologies offrent une capacité quasiment infinie de récolte et d’analyse des données. La difficulté, c’est de leur donner un sens". Il est donc nécessaire de croiser les données avec une forte expertise métier. C’est d’ailleurs sur ce point que se crée la valeur ajoutée, plutôt que sur l’outil de capture des données qui ne représente de 15 à 20% du coût de la solution, selon Maxime Ambourg.

Autre écueil pointé par Françoise Carli, co-fondatrice de SICMEC (Suivi informatisé crypté des marchandises en conteneurs), une start-up au service des assureurs maritimes : vaincre les réticences en matière de partage des données, aussi bien côté transporteurs que côté chargeurs. "Un des points clefs, c’est que le système soit sûr en termes de sécurité informatique et de confidentialité". Ensuite, la valeur vient aussi de la capacité à mettre l’information à disposition du client au moment précis où il en a besoin. "Trop d’information tue l’information", rappelle Françoise Carli.

Le coût des solutions, enfin, peut également freiner le déploiement. Axa XL Risk Consulting, qui vient de lancer sur le marché une solution digitalisée de suivi en temps réel des marchandises en partenariat avec la société d’analyse de données Contguard, admet que ce type d’offres est encore en général réservé à certains types de marchandises, et sur certaines routes. "Compte tenu du modèle économique, il est difficile de déployer une telle solution sur l’ensemble des conteneurs et pour tous les clients. Certaines marchandises sont donc évidemment plus propices, comme les produits à forte valeur ajoutée, sensibles au vol, fragiles, sous contrôle de température ou encore ceux qui présentent un risque de contrefaçon. Par ailleurs, nous effectuons un travail d’identification des routes sur lesquelles il y a une suspicion de problématique et c’est sur ces routes que l’on déploie en priorité notre solution de suivi en temps réel de la marchandise transportée", explique Maxime Ambourg.

Un effet volume qui pourrait faire baisse les coûts

Stéphane Girardet, Group Insurance Director de Geodis, partage le diagnostic. Le commissionnaire de transport constate aujourd’hui une demande accrue des clients pour ce type de suivi sur certaines typologies de produits, comme la hightech, pour des questions de sécurité de la marchandise ou la pharma, plutôt dans un souci d’intégrité. Le secteur de l’automotive se montre également de plus en plus intéressé au départ de Chine. Mais pour l’instant, les solutions de suivi utilisant les nouvelles technologies, qui tournent aux alentours de 50 € par conteneur, restent onéreuses. Car sur le transport d’un conteneur entre la Chine et l’Europe qui revient à environ 2 000 dollars (Consulter nos outils de Benchmark et d’historique des prix pour en savoir plus sur les tarifs), la marge réalisée par un commissionnaire n'est pas très élevée. "Cela dit, le coût des solutions de suivi peut se corriger par un effet volume, et c’est aussi un service que l’on souhaite valoriser auprès de nos clients", précise Stéphane Girardet.

Un besoin de pédagogie

À en croire Gautier Laubry, fondateur et CTO de Evertrace, une start-up berlinoise créée en 2018 sur le créneau de la gestion des risques dans la supply chain grâce à l’IoT et à la technologie blockchain, le mouvement de baisse des prix est engagé. "Notre solution nous permet déjà d’être en-dessous des 50 €. Toutes industries confondues, 25 milliards de capteurs sont prévus en 2021 contre 14,2 aujourd’hui. Il n’y a pas de raison que le mouvement n’affecte pas aussi le transport à grande échelle".

Mais selon le chef d’entreprise, il ne faut pas hésiter à faire de la pédagogie auprès des chargeurs et des commissionnaires de transport, qui sont les premiers impliqués dans l’opérationnel puisqu’il faut installer et gérer les capteurs. En l’occurrence, Evertrace a notamment testé sa solution avec l’organisateur de transport Hellmann Worldwide Logistics.

Mettre en place un véritable suivi en temps réel demande donc encore des efforts significatifs, sur le plan financier comme opérationnel. Mais selon les intervenants, les bénéfices dépassent la simple gestion des risques. "Nous envoyons systématiquement des alertes à nos clients en cas de situation anormale, bien sûr, mais nous commençons aussi à prévoir de manière beaucoup plus précise l’heure d’arrivée estimée des marchandises", indique Maxime Ambourg. Du coup, au-delà de la prévention et de la meilleure gestion des risques, Axa XL Risk Consulting revendique un accompagnement des clients sur une réduction globale des coûts de la supply chain. Outre la réduction de la sinistralité, l’exploitation des données permet en effet des gains en termes de délais de stockage et une optimisation des routes.

 

Crédit photo : @ Anne Kerriou