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Bilan de l’accord de libre-échange UE-Vietnam 5 ans après

Rédigé par Camille Brugier | 25 septembre 2025

L’accord de libre-échange entre l’Union européenne et le Vietnam célèbre son 5è anniversaire. C’est l’occasion de dresser un bilan de son impact sur les échanges commerciaux entre les deux entités, à l’heure où d’autres accords de ce type sont dans les tuyaux.

Le Vietnam est le plus gros partenaire commercial de l’Union européenne au sein de l’ASEAN, qui regroupe les "petits" pays de l’Asie du Sud-Est. En juin 2019, l’UE et le Vietnam se sont mis d’accord pour signer un accord de libre-échange (ALE), qui est entré en vigueur le 1er août 2020, en pleine période de Covid-19. Il s’agissait du deuxième accord de ce type avec un partenaire d’Asie du Sud-Est après l’accord signé avec Singapour, effectif depuis novembre 2019.

L’Union européenne assignait alors un triple objectif à cet accord de libre-échange :

  • Supprimer les barrières tarifaires et administratives à l’export vers le Vietnam
  • Favoriser le commerce de produits électroniques, agricoles et pharmaceutiques
  • S’insérer sur le marché vietnamien des services, notamment dans les domaines du transport et des télécoms.

Dans le cadre de l’ALE, le Vietnam a supprimé 65 % de ses droits sur les marchandises de l'UE le jour de l'entrée en vigueur de l'accord, le reste devant être progressivement éliminé d'ici 2030. L’UE s’est quant à elle engagée à supprimer progressivement ses droits sur les importations en provenance du Vietnam d’ici à 2027.

Cinq ans après sa signature, l’ALE a-t-il tenu ses promesses ? Examinons l’évolution du commerce bilatéral entre l’Union européenne et le Vietnam pour évaluer les premiers résultats de cet accord.

Un accord globalement positif

Avant même la signature de l’accord de libre-échange, le commerce entre l’UE et le Vietnam se portait déjà bien. En 2018, la valeur des échanges de biens bilatéraux avait déjà plus de doublé par rapport à 2012.

Suite à l’ALE, les échanges ont continué d’augmenter, mais plus fortement. Ainsi, entre 2019 et 2024, le montant total des échanges commerciaux entre l’UE et le Vietnam est passé de 45,6 à 67,1 milliards d’euros, soit une augmentation de 47%.

Graphique 1 - Source : Eurostat

Pour les exportations vietnamiennes vers l’UE, la hausse est très prononcée (+58%). Les exportations de biens européens vers le Vietnam ont également augmenté, mais cette augmentation est plus modeste, de l’ordre de 10,5% entre 2019 et 2024. De plus, les valeurs étant faibles à la base, même avec cette progression, les exportations européennes restent peu importantes. Par ailleurs, l’augmentation des exportations européennes vers le Vietnam, notable à partir de 2022, ne fait que suivre une tendance plus générale, celle de l’augmentation des exportations européennes vers le reste du monde (voir courbe grise sur le graphique 1). En 2024, le Vietnam n’est que le 17è marché pour les produits de l’UE, alors que cette dernière est le 3è débouché pour les produits vietnamiens.

En termes de commerce de biens, l’accord est donc globalement positif, même s’il est comparativement plus favorable à la partie vietnamienne. La balance commerciale déficitaire de l’UE vis-à-vis du Vietnam en matière d’échanges de biens a presque doublé, passant de 23,4 milliards d’euros à 42,5 Md€. Dans le domaine des services, la balance commerciale est en revanche positive, mais trop faiblement pour parvenir à un équilibre global. Ainsi, le déficit commercial de l’UE avec le Vietnam en biens et services est passé de 21,4 Md€ en 2019 à 34,2 Md€ en 2023. Il est cependant trop tôt pour en conclure que l’Union européenne est perdante : l’entrée en vigueur de l’ALE est progressive, et nous ne sommes qu’à mi-parcours d’un processus de suppression des droits de douane pour les exportations européennes vers le Vietnam qui va se poursuivre jusqu’en 2030. Par ailleurs, l’équilibre des flux n’est pas le seul critère d’appréciation. L’UE peut par exemple avoir intérêt à se tourner vers le Vietnam pour diversifier et ainsi sécuriser ses sources d’approvisionnement pour certains biens, quitte à accepter d’alourdir son déficit.

Exportations vers le Vietnam : une hausse dans les domaines escomptés

En 2019 comme en 2024, l’UE exporte vers le Vietnam essentiellement des machines et équipements de transports, et des produits chimiques et médicamenteux (graphique 2).

Graphique 2 - Source : Eurostat

Là aussi, l’ALE a renforcé une tendance déjà à l’œuvre avant la signature de l’accord. Pour l’UE, l’accord avec le Vietnam est l’occasion de se positionner favorablement sur les biens et les services dans les domaines du transport, de l’énergie et des produits pharmaceutiques – domaines dans lequel elle a développé une véritable expertise et des équipements de qualité. Le Vietnam étant soumis à deux changements structurels - l’émergence d’une classe moyenne et le vieillissement de la population – l’UE a souhaité anticiper avec ses biens et services l’augmentation des besoins dans ces secteurs. La réussite n’est cependant pas la même selon les secteurs : si la trajectoire est très nettement favorable dans le secteur des produits chimiques, elle est plus aléatoire sur le segment des machines et équipements de transport, qui n’a toujours pas retrouvé les niveaux pré-Covid.

Dans le cas particulier de l’agriculture, la plupart des produits que l’Europe exporte sont toujours soumis à des droits de douanes dissuasifs, même si ceux-ci vont être supprimés progressivement. Par exemple, les taxes douanières qui s’appliquent sur les alcools et le vin sont actuellement de 50%, et ils ne seront supprimées qu’à compter de 2027. Étant donné cette spécificité, aucun produit agricole n’apparaît aujourd’hui dans le Top 10 des produits les plus exportés par l’UE (voir graphique 4). Cela pourrait évoluer positivement dans les années à venir. Par ailleurs, l’accord reconnaît d’emblée 169 indications géographiques protégées (IGP) dont la Feta, le Parmesan et le Cognac, asseyant de facto une base juridique pouvant servir les exportateurs français et européens pour lutter contre la contrefaçon dès aujourd’hui, même s’il reste peu probable que leurs exportations augmentent avant le desserrement des tarifs douaniers en 2027.

Graphique 3 & 4 - Source : Eurostat

Si les exportations de biens vers le Vietnam grimpent ‘doucement mais sûrement’, c’est le secteur des services qui a le plus tiré profit de l’ALE. L’UE y jouit d’un surplus commercial de plus de 2 milliards d’euros. Les services commerciaux, le secteur des transports, celui des télécommunications, celui du voyage et les services financiers représentent près de 85% des exportations de services vers le Vietnam en 2023. Services et biens vont en partie de pair, notamment dans les secteurs des transports et de l’énergie. L’objectif de l’Union européenne d’augmenter l’exportation de services vers le Vietnam est donc atteint, d’autant plus qu’il tire avec lui les exportations de marchandises dans ces secteurs.

La consolidation de la place des produits vietnamiens dans le marché européen

Les importations de produits en provenance du Vietnam sont en forte augmentation. Elles ont progressé de 12-15% par an depuis la mise en place de l’ALE.

Graphique 5 - Source : Eurostat

En haut de cette liste, on trouve les machines et équipements et les produits manufacturés. Comme pour l’UE ? En fait, les partenaires commerciaux n’échangent pas les mêmes produits, l’UE exportant plutôt des équipements de transport et le Vietnam des équipements de télécommunication.

Graphique 6 & 7 - Source : Eurostat

Les "produits manufacturés" vietnamiens sont en majeure partie des chaussures, vêtements et chapeaux. Enfin, les produits agricoles vietnamiens bénéficient d’une asymétrie commerciale : ils ont d’ores et déjà accès au marché européen. Ils représentent environ 10% du total des exportations vietnamiennes, et les fruits et légumes figurent au palmarès des produits les plus exportés vers l’UE.

L’accès anticipé au marché agricole européen, traduit en des droits de douanes échelonnés côté UE, est un "grand classique" des accords de libre-échange signés par l’UE avec les pays émergents, qui y trouvent souvent une part importante de leurs revenus. Au vu néanmoins des difficultés rencontrées par le secteur agricole dans certains États membres - comme la France – l’opposition à ce type d’asymétrie gagne du terrain. Les agriculteurs français ont par exemple récemment fait pression sur le président Emmanuel Macron, sans succès, pour qu’il renonce à ratifier le traité de libre-échange avec le Mercosur.

Globalement, la relation commerciale entre le Vietnam et l’UE se porte bien. Si, les exportations vietnamiennes sont nettement plus importantes en valeur que les exportations européennes, ces dernières augmentent, et l’UE tire son épingle du jeu grâce à ses excédents dans l’échange de services.

Les garde-fous très efficaces du contrat de libre-échange

Parmi les ALE signés par l’UE avec des pays émergents, l’ALE avec le Vietnam est particulier, en ce qu’il porte une attention toute particulière aux règles d’origine. Ces dispositions s’appliquent pour déterminer d’où vient un produit. Elles varient en fonction des accords et peuvent être plus ou moins strictes. Par exemple, un produit peut être considéré comme originaire d’un pays X ou Y, si au moins 25% de ses composants (ou 50%, 75%, 85%, selon la conclusion des négociations) viennent de ce pays.

Dans le cas du Vietnam, les règles d’origine sont très strictes et déterminées par un protocole dédié. Cette précaution importante découle de l’accord de libre-échange précédemment conclu entre le Vietnam et la Chine. Pour éviter que Beijing ne profite de l’ALE UE-Vietnam pour exporter vers l’UE en s’affranchissant des mesures douanières, Bruxelles a introduit un garde-fou via des règles d’origine qui s’avèrent plutôt efficaces : les exportations vietnamiennes vers l’UE, bien qu’en forte croissance, n’ont pas une trajectoire anormalement élevée.

Si l’UE a accepté de signer un ALE avec des pays de l’ASEAN comme le Vietnam ou Singapour, les capacités commerciales chinoises, ajoutées aux difficultés croissantes de coopération, la dissuadent d’entrer dans ce genre d’accord avec Beijing.

Conclusion

Cinq ans après sa signature, l’accord de libre-échange entre l’UE et le Vietnam présente un bilan globalement positif, même si les bénéfices restent asymétriques. Du côté européen, les services tirent particulièrement leur épingle du jeu, tandis que les exportations de biens progressent à un rythme encore mesuré, mais porteur. Le Vietnam, lui, consolide sa place de fournisseur important du marché européen, notamment dans le textile, les équipements de télécommunications et l’agroalimentaire. Les règles d’origine strictes permettent d’éviter un afflux de produit chinois transitant par le Vietnam, s’affranchissant ainsi des droits de douanes. Toutefois, l’asymétrie commerciale, notamment dans l’agriculture, nourrit des tensions croissantes au sein de l’UE. Reste désormais à savoir si la levée complète des droits de douanes sur les produits européens, dans le domaine de l’agriculture par exemple, va permettre d’ouvrir un nouveau marché à l’heure où ces produits subissent de plein fouet les barrières douanières de Donald Trump.