Le transport routier démontre plus que jamais son importance stratégique. En ces temps d’épidémie de coronavirus, il est capital que le secteur puisse jouer son rôle et garantir la bonne marche des chaînes d’approvisionnement, notamment pour des produits essentiels comme l’alimentation et le matériel médical, rappelle l’IRU dans un communiqué publié le 13 mars. Mais le défi est énorme, à l’heure où il faut concilier cet impératif avec la préservation de la santé des salariés du transport et des citoyens, mais aussi s’adapter en permanence aux règles et restrictions décidées par les gouvernements, parfois sans coordination.
D’ores et déjà, la crise se fait lourdement sentir, à la fois au niveau de l’offre et de la demande de transport.
1/ La baisse de l’offre de transport
Depuis le lundi 9 mars, toute l’Italie a été mise en quarantaine. Les restrictions gouvernementales ne s'appliquent pas au transport de marchandises. Pourtant l’observation des réseaux routiers sur Reuters montre clairement que les routes se sont vidées de leurs véhicules à Milan, Turin ou Rome. Le droit de retrait est très régulièrement utilisé par les chauffeurs. Un conducteur allemand a refusé de déposer sa marchandise destinée à une école située en Italie et l’a laissée au col du Brenner en Autriche. Cette anecdote (article en italien) a été reprise par plusieurs médias en Italie pour montrer que les chauffeurs ne veulent plus rouler dans le pays.
En France, selon des témoignages que nous avons recueillis auprès de transporteurs routiers, beaucoup de conducteurs refusent de se rendre dans les entrepôts ou les salles d’exploitation de l’Oise, un des plus gros clusters du Covid-19 en France. Le droit de retrait est systématiquement invoqué. Et comme l’a souligné le président Emmanuel Macron lors d’une allocution aux Français le 12 mars, le pays n’en est qu’au début de l’épidémie. Les mesures ont d'ailleurs été durcies depuis avec la fermeture tous les commerce "non essentiels".
Les autorités polonaises ont imposé des contrôles sanitaires aux frontières pour tous les véhicules venant d’Allemagne et de la république Tchèque. Au col du Brenner en Autriche, la température des chauffeurs venant d’Italie est contrôlée. Ces mesures entraînent des bouchons conséquents (plus de 50 km enregistrés le 12 mars 2020 au Brenner côté italien), qui poussent les transporteurs à arrêter leur activité sur les destinations internationales.
Ce ne sont là que quelques exemples. Mais il est évident que cet aspect sanitaire est encore insuffisamment pris en compte dans le secteur du transport. L’IRU demande aux gouvernements et aux autorités de "communiquer clairement sur les procédures à appliquer pour les véhicules, les chauffeurs et les marchandises, en particulier dans les zones de quarantaine". En Espagne, l’association des transporteurs routiers internationaux demande au gouvernement de fournir aux personnels des équipements de protection individuelle, et notamment des masques et des gels désinfectants.
2/ La baisse de la demande de transport
Parallèlement, la demande de transport diminue drastiquement. Selon l’IRU, la baisse du transport intercontinental de conteneurs pourrait engendrer une diminution de l’activité de transport routier allant jusqu’à 20%, selon la durée de la crise. "Cela pourrait conduire à une perte globale de 2 trillions de dollars", chiffre l’organisation.
Dans l’Union européenne, le trafic international et national est également en chute libre.
Le trafic au départ d’Italie a disparu. Dans une dépêche AFP citée par le magazine l’Antenne, Jan Buczek, de l’Association polonaise des transporteurs routiers internationaux, souligne que les transports avec l’Italie sont devenus quasi inexistants. La baisse générale de chiffre d’affaires avec l’ensemble de l’Union européenne atteindrait 40%.
Les usines automobiles allemandes souffrent d’un manque d’approvisionnement de pièces en provenance de Chine. Elles commencent à se mettre en chômage technique. C’est aussi le cas en France, où la ministre du travail annonçait le 12 mars que 60 000 salariés et 3600 entreprises étaient aussi en chômage technique.
La baisse de la demande de transport touche tous les pays et les transporteurs assistent impuissants à l’effondrement de leur marché national et du marché international.
1/ Tensions aux deux extrêmes sur les prix de transport
Le marché de transport va continuer à se contracter. Les prix du transport, qui sont en général un outil de régulation entre l’offre et la demande, vont tanguer comme un bateau ivre. Nous allons assister à la fois à des prix de transaction très bas et très hauts pendant ces quelques semaines que va durer la crise.
Certains acheteurs vont peut-être essayer de profiter de l’aubaine de la baisse de la demande pour tirer le prix vers le bas. A contrario, pour livrer des zones sensibles avec des produits de première nécessité, les transporteurs pourront monter les prix. On en voit déjà quelques exemples, à en croire le témoignage d’un chauffeur italien relayé par le site polonais 4trucks).
2/ Des conditions opérationnelles à assouplir
Le transport sera crucial pour continuer à nous ravitailler. L’Allemagne ne s’y est pas trompée et a déjà étendue la possibilité pour les camions de rouler le dimanche afin de réapprovisionner les secteurs de l’alimentation et de la santé.
L’IRU, qui appelle à des mesures coordonnées, demande un assouplissement des temps de conduite et de repos "pour assurer un approvisionnement efficace des biens indispensables et pour permettre aux conducteurs de quitter au plus vite les régions affectées ou les zones de quarantaine". L’organisation demande aussi "une levée des restrictions sur les livraisons, pour permettre de livrer sur des plages horaires plus sûres, par exemple la nuit".
3/ Des trésoreries exsangues
La situation est d’autant plus critique dans le transport routier que la profession se caractérise par une très forte proportion de petites entreprises. La situation des petits transporteurs à la trésorerie fragile sera tragique. Ils ne supporteront pas la contraction du marché pendant plusieurs semaines et devront fermer si aucune aide financière ne leur est apportée. Plusieurs pays ont d’ores et déjà annoncé des mesures pour permettre à leur PME de tenir pendant la période de crise, à l’instar de la France. Les instances internationales aussi commencent à se mobiliser. La Commission européenne a annoncé le déblocage d’un fonds d’aide de 37 milliards d’euros.
Le choc sera néanmoins très difficile à absorber. Les petits transporteurs manqueront au redémarrage de l’économie. Cela favorisera très probablement une concentration du secteur à moindre coût pour les plus forts, avec à la clef des prix de transport qui retrouveront la voie de la hausse. Nous reparlerons alors du manque de chauffeurs…mais aujourd’hui, la préoccupation n’est pas là. Dans l’immédiat, remercions les transporteurs pour leur sens du service et des responsabilités.