La pandémie a sérieusement compliqué les opérations de transport entre l'Asie et l'Europe. En raison de la tension sur les capacités dans le transport maritime et le fret aérien, d'autres options telles que le transport ferroviaire, routier et intermodal ont gagné en popularité. Grâce à des liaisons plutôt moins perturbées que dans d'autres modes, le ferroviaire, notamment, a tiré son épingle du jeu pendant la pandémie, avec une augmentation à deux chiffres dans les deux sens (figures 1 et 2).
Figure 1. Source des données : Eurostat.
Selon les statistiques de China Railway, le volume des expéditions ferroviaires Chine-Europe a connu une augmentation à deux chiffres au cours des cinq premiers mois de 2020, de 21% vers l'Est (Europe-Chine), et de 44% vers l'Ouest [1] (figure 2).
Figure 2. Source : China Railway [3]
Sur la base des données commerciales des quatre premiers mois [2], on peut dégager un certain nombre de tendances.
Il est fort probable que le fret ferroviaire continuera à profiter au troisième trimestre de la tension sur les capacités dans le transport maritime et aérien. Mais la croissance se poursuivra-t-elle lorsque les perturbations externes diminueront ? Certaines lignes directrices récemment émises par le gouvernement chinois peuvent apporter des éléments de réponse, en raison de la nature très politique du transport ferroviaire entre la Chine et l'Europe.
Le fret ferroviaire a en effet été retenu par le gouvernement comme un pilier essentiel du commerce extérieur chinois. Exemple : les compagnies de fret ferroviaire sont encouragées à coopérer étroitement avec les entreprises chinoises spécialisées dans le commerce électronique transfrontalier, sous la forme de trains entiers, en particulier pour dans le cadre du modèle logistique "entrepôt à l'étranger + chemin de fer Chine-Europe". Les opérateurs ferroviaires sont ainsi fortement invités à passer du simple statut de transporteur à celui de prestataire de solutions logistiques pour le commerce Asie-Europe.
Le transport ferroviaire frigorifique constitue également une source potentielle de croissance dans le sens Ouest-Est, confortée par la politique chinoise actuelle dans ce secteur. Bien que les exportations de viande de l'Union européenne vers la Chine aient bondi de 75% en volume au cours des quatre derniers mois, aucun produit carné n'a été expédié par rail, en raison d'obstacles liés à la fois aux infrastructures et aux formalités administratives. La bonne nouvelle est que la Russie a levé les sanctions sur le transit alimentaire européen via le territoire russe en 2019. Un premier test pour du transport de saumon des Pays-Bas vers la Chine a été effectué en mars, malgré la persistance de certaines incertitudes réglementaires. D'autre part, le transport réfrigéré via la ligne de transport ferroviaire express, qui propose un délai d'acheminement de 10-12 jours entre Xi'an et Hambourg/Neuss, pourrait constituer une option compétitive par rapport au fret aérien pour l'expédition de denrées périssables.
Le chemin de fer Chine-Europe se positionne essentiellement comme un maillon du plan mondial de la Chine en matière de réseau de transport intermodal. Par exemple, il se connecte à Londres par la route et par ferry depuis Duisburg, via Rotterdam, bien que la navigation en direction de l'Est soit quelque peu coûteuse. Le développement de liaisons de transport intermodales entre l'Asie et l'Europe suscite au demeurant l'intérêt de nombreux transporteurs et pays, au-delà de la Chine.
La "China-Europe Land-Sea Express", exploitée par Cosco, est l'une des principales lignes de transport intermodales relevant des Nouvelles Routes de la Soie. Cette connexion utilise le Pirée comme plaque tournante, reliée au port croate de Rijeka via une ligne de transport maritime express. À partir de là, une connexion ferroviaire permet d'atteindre un marché européen élargi. De janvier à avril 2020, les volume d'expéditions sur ce service ont augmenté de 52% et le nombre de trains de marchandises de 53%.
La stratégie à long terme du "China-Europe Land-Sea Express" comprend une connexion ferroviaire directe Le Pirée-Belgrade-Budapest, pour accéder au marché européen. Durant la pandémie, en avril, la Chine a envoyé un signal fort de son vif intérêt pour cette liaison de transport intermodal en accordant des prêts au gouvernement hongrois pour la construction du chemin de fer Belgrade-Budapest.
Les opérateurs de transport étendent également la liaison intermodale Asie du Nord-Est/Europe, via les ports de l’extrême-Est de la Russie tels que Vostochny et Vladivostok.
Depuis 2019, Maersk, en coopération avec Pantos Logistics, propose une liaison maritime-ferroviaire intercontinentale reliant la Corée du Sud et le Japon à l'Europe, Pusan (fret maritime)-Vostochny (chemin de fer transsibérien)-Europe, ce qui réduit le temps d'acheminement environ de moitié par rapport au fret maritime. Les volumes de cette ligne ont augmenté de 30% pendant la crise de la Covid-19, par rapport à la période pré-pandémique.
En plus de Maersk, RZD Logistics, FESCO et PCC Intermodal ont également lancé un service multimodal de l'Asie du Nord-Est à l'Europe, via le chemin de fer transsibérien. Un essai a été mené l'année dernière de Yokohama au Japon, à Wroclaw en Pologne, via Vladivostok.
Cette tendance n'est pas propre à l'Asie du Nord-Est. Le fort intérêt économique et politique de la Chine pour l'Asie du Sud-Est a donné naissance à une vision stratégique de long terme visant à développer des liaisons intermodales pour relier les sites de fabrication d'Asie du Sud-Est au marché européen d'ici 2025. Cet objectif se concrétisera en combinant deux des projets phares de la Chine dans le cadre des Nouvelles Routes de la Soie : le "Corridor de Commerce International Terre-Mer de l'Ouest" (Chine-Asie du Sud-Est) et le Chemin de fer Chine-Europe. La Chine n'est pas le seul pays intéressé par cette liaison. En 2019, à l'initiative des gouvernements vietnamien et kazakh, un test de liaison ferroviaire a été réalisé du Vietnam (Dong Dang) vers l'Allemagne (Duisburg), avec un temps d'acheminement de 22 jours.
Jusqu'à présent, la liaison Asie du Sud-Est/Europe reste plus un concept qu'un service régulier. Cependant, alors que l'Asie du Sud-Est devient le centre de fabrication des produits manufacturés en Asie, cette liaison ferroviaire pourrait devenir une option attrayante à long terme pour les produits à haute valeur ajoutée, tels que les machines électroniques, dont le Vietnam est déjà un fournisseur majeur du marché européen.
Crédit photo : @DR SNCF
[1] Le chemin de fer Chine-Europe desservant également des pays tiers comme la Biélorussie, les chiffres fournis par China Railway sur les volumes seront plus élevés que les données disponibles via Eurostat.
[2] Les données sont générées par Eurostat.
[3] Pour les deux premiers mois de 2020, la Chine ne propose que des données combinées.