En vertu d'un accord tarifaire conclu en août entre l'Europe et les États-Unis sur un périmètre de produits assez restreints, d'où la qualification de "mini-accord" retenue par les observateurs, l'UE va supprimer les droits de douane sur les homards américains. Les exportations de ce produits des États-Unis vers l'UE représentaient une valeur commerciale d'environ 111 millions USD en 2017. En réponse, les États-Unis réduiront de 50% leurs droits de douane sur plusieurs produits exportés par l'UE, notamment la verrerie en cristal, les briquets et les plats préparés, dont la valeur commerciale totale était d'environ 160 millions USD en 2017. L'Union européenne a adopté le 8 septembre une proposition pour rendre effectif cet accord. Pour les deux parties, la réduction des droits de douane aura un effet rétroactif à compter du 1er août 2020. Le 13 août, les États-Unis ont également revu la liste des droits de douane de 7,5 milliards USD appliquée aux produits de l'UE depuis octobre 2019. Nous analysons dans cet article l'impact potentiel de ces initiatives récentes sur le commerce transatlantique.
Le point marquant de ce mini-accord est la suppression par l'UE des droits de douane sur le homard américain. Avec la disparition de ce tarif, les Etats-Unis espèrent restaurer leur compétitivité sur le marché européen. Le homard américain a en effet vu sa part de marché diminuer progressivement, depuis que l'UE a éliminé les droits de douane sur le homard canadien dans la cadre de l'accord de libre échange (ALE) UE-Canada de 2017. Avant cette date, le homard américain représentait environ 50% des importations de homard de l'UE en provenance de pays tiers. En 2019, deux ans après l'entrée en vigueur de l'ALE, cette part est tombée à environ 22% du marché, tandis que celle du homard canadien est montée à 62% (graphique 1).
Graphique 1: Source de données: Eurostat [1]
La suppression des droits de douane sur le homard américain pourrait maintenant engendrer un certain détournement du commerce du Canada au profit des États-Unis. C'est par exemple ce qui s'est passé lorsque la Chine a elle aussi supprimé les droits de douane sur le homard américain, en février 2020. Les importations chinoises de homard américain ont triplé [2] de mars à juillet 2020 par rapport à la même période en 2019, malgré la pandémie et les tensions entre la Chine et les États-Unis. Dans le même temps, les exportations canadiennes de homard vers le marché chinois ont chuté de 39%.
Cet éventuel changement dans la répartition des échanges pourrait entraîner une augmentation de la demande de capacité de fret aérien sous température dirigée au départ des aéroports de la côte Est américaine, en particulier de New York-JFK. Une plate-forme reconnue dans ce domaine, même s'il a dû faire face à une chute des volumes de homard d'environ 62% entre 2017 à 2019 [3]. Cependant, la situation pourrait s'avérer compliquée en raison de la pandémie de coronavirus, qui a toujours un impact majeur sur les capacités offertes. La capacité offerte par les transporteurs nord-américains et européens à l'international reste en net repli, avec des baisses respectives de 30,9% et 37,4% en juillet.
D'autre part, l’espoir d’un rebond à court terme du homard américain sur le marché de l’UE peut paraître prématuré. Tout d’abord, l’industrie de la restauration européenne continue de lutter pour se redresser, face aux règles de distanciation sociale et aux conséquences sur le tourisme. Malgré les efforts déployés par les pays de l’UE pour rétablir une vie quotidienne normale, la circulation persistante du coronavirus constitue un obstacle majeur à un rebond de l’industrie de la restauration. Qui plus est, la demande pourrait être encore réduite en hiver. La capacité de service en salle des restaurants est limitée et les places extérieures seront moins nombreuses par rapport à l’été.
Deuxièmement, à l'inverse de l’expansion sur le marché chinois, le marché du homard dans l’UE est en déclin depuis trois ans (graphique 1). Cela peut être lié à une sensibilité accrue au bien-être des animaux accrue et à la législation en Europe, qui ont affecté le comportement des consommateurs.
Pour l'Europe, le mini-accord annoncé le 21 août réduit les droits de douane de 50%, principalement sur les biens de consommation fabriqués dans l’UE tels que la verrerie en cristal et les briquets, mais la liste définitive n’a pas encore été publiée.
En plus de cet accord, le 13 août, le Représentant des États-Unis pour le commerce (USTR) a également révisé la liste des droits de douane de 7,5 milliards de dollars en vigueur depuis octobre 2019. La liste révisée, qui est entrée en vigueur le 1er septembre 2020, ne comporte plus le fromage grec et les biscuits du Royaume-Uni, mais contient une valeur égale de confitures de fruits allemandes et françaises, et des couteaux de cuisine. Les droits de douane supplémentaires pourraient s'avérer éprouvants pour l'industrie française de la transformation des fruits, puisque les États-Unis sont le plus grand marché extérieur de la France pour les confitures. Bien que la France soit son premier fournisseur, le marché américain pourrait se tourner vers ses principaux fournisseurs alternatifs, au Canada et en Amérique du Sud, en raison de la proximité géographique.
Comme la plupart des produits bénéficiant de la modification des droits de douane sont des produits de consommation, l'étendue de la reprise du marché de consommation aux États-Unis joue un rôle essentiel dans l’analyse de l’impact. En août, le dernier indice de confiance des consommateurs américains montre que les dépenses de consommation aux États-Unis sont en baisse après un rebond en juillet, et qu'elles restent bien en deçà du niveau d’avant la pandémie. Une analyse des catégories de produits montre que les clients dépensent plus pour les biens de première nécessité mais moins sur les marchandises "secondaires". Les importations de confitures françaises sur le marché américain ont augmenté de 10% au premier semestre 2020 par rapport à la même période de 2019. À ce titre, l’impact négatif des droits de douane imposés sur les confitures et couteaux de cuisine allemands et français peut être compensé dans une certaine mesure par l’augmentation de la demande en approvisionnement de produits de première nécessité quotidiens. De même, l’exportation de certaines marchandises qui ont vu désormais leurs droits de douane réduits de 50%, comme les plats préparés, peut être stimulée de manière plus significative. En revanche, d'autres marchandises comme la verrerie en cristal pourrait bénéficier d’une augmentation plus modeste (graphique 2).
Graphique 2 - Source de données : bureau du recensement des États-Unis
La déclaration commune des États-Unis et de l’UE, le 21 août, exprimait l’intention optimiste que l’accord conduise "à des accords supplémentaires qui créent un commerce transatlantique plus libre, plus équitable et plus réciproque". Toutefois, la conclusion de ce mini-accord commercial ne garantit pas un avenir prometteur aux relations commerciales transatlantiques. Un nombre important de défis restent à surmonter, tels que les droits de douane américains sur l’acier européen. En outre, cette courte déclaration commune n’a pas mentionné la révision antérieure des droits de douane effectuée par l’USTR le 13 août. Enfin, la démission de Phil Hogan, commissaire européen au Commerce, crée de l’incertitude dans les négociations commerciales entre l’UE et les États-Unis.
La façon dont Trump pourrait utiliser la politique envers l’UE pour soutenir son élection présidentielle ajoutera également de l’incertitude aux relations commerciales transatlantiques. Ce mini-accord commercial peut être partiellement interprété comme un geste pour gagner l’un des swing states (États clés), le Maine, lors de la prochaine élection présidentielle en Novembre. De même, la révision de la liste tarifaire de 7,5 milliards de dollars n'est peut-être pas totalement dénuée de calcul politique. En supprimant les droits de douane sur certaines marchandises britanniques, tout en les maintenant sur le whisky, les États-Unis peuvent espérer se retrouver en meilleure position dans les négociations en cours sur l’accord commercial entre les États-Unis et le Royaume-Uni, même si un accord est peu probable avant novembre. De même, en imposant des droits de douane sur les marchandises françaises et allemandes, les États-Unis espèrent avoir des leviers non seulement dans les négociations commerciales en cours avec l’UE, mais aussi sur d’autres questions commerciales ou politiques avec la France ou l’Allemagne, tels que la taxe française numérique sur les entreprises technologiques américaines, ou la contribution de l’Allemagne à l’OTAN.
[1] Les données sont basées sur les codes SH 030632 et 030622
[2] Ceci est calculé en fonction de sa valeur en RMB, comme pour les exportations canadiennes de homard vers le marché chinois.
[3] Le chiffre est généré et calculé sur la base des données (code SH 030632) fournies par le Bureau du recensement des États-Unis.