En matière de transport ferroviaire de marchandises en Espagne, l’évolution majeure est venue de la libéralisation décidée à l’échelle de l’Union européenne. L’entrée en vigueur de la Loi du secteur ferroviaire (LSF), le 1er janvier 2005, a permis l’ouverture du marché à la concurrence. L’opérateur historique, la Renfe, a perdu son monopole, et a été scindé en deux entités : Renfe Operadora, entreprise publique dédiée au transport de voyageurs et de marchandises ; et ADIF (Administrateur des infrastructures ferroviaires), entreprise publique chargée de la construction et de la maintenance des lignes et des gares ainsi que de la gestion du trafic.
Au fil des années, les opérateurs privés ont effectué une réelle percée sur le marché. En 2021, selon les statistiques d’ADIF, ils représentaient 41% du marché mesuré en trains-kilomètres (contre 38% en 2020), le solde revenant donc à Renfe Mercancías, filiale dédiée de l’opérateur historique. La proportion est sensiblement similaire en matière de tonnes-kilomètres nettes.
Concernant le chiffre d’affaires, l’évolution 2013-2020 montre une progression continue des sociétés privées, qui atteignent une part de marché de 35% en 2020 contre 17% en 2013, alors que celle de Renfe Mercancias est passée dans le même temps de 83% à 65%.
Tableau 1 - Source : Commission nationale des marchés et de la concurrence (CNMC) - © Upply
Cette percée s’explique principalement par le positionnement du secteur privé sur le segment du trafic intermodal (conteneurs principalement et caisses mobiles), qui est devenu majoritaire en Espagne. Les opérateurs alternatifs ont été particulièrement actifs dans le trafic à destination ou en provenance des ports de commerce, qui représente actuellement plus de la moitié du fret ferroviaire total en Espagne mesuré en tonnage (contre 40% en 2016). Ce phénomène s’est intensifié avec l’arrivée des grandes compagnies maritimes dans le cadre des stratégies dites "porte à porte". Ces compagnies contrôlent leurs propres entreprises ferroviaires (Medway pour MSC, Continental Rail pour CMA CGM, Logitren pour Cosco et Go Transport pour Maersk).
Tableau 2 – (*) Opérateurs des réseaux régionaux : FGC (Catalogne) et Euskotren (Pays basque espagnol) - Source : ministère des Transports, de la Mobilité et de l’Agenda urbain.
Reste que ce trafic "ferro-portuaire" est fortement concentré. Selon une étude de la Commission nationale des marchés et de la concurrence (CNMC), le trio Barcelone / Valence / Bilbao représentait 56% du fret en 2018. Si on ajoute quatre autres ports, à savoir Gijón, La Corogne, Santander et Tarragone, on arrive à 90%. Les principaux corridors de trafic sont les axes Barcelone-Saragosse et Valence-Madrid, dans les deux sens chacun.
Si les opérateurs privés ont réussi à s’octroyer une belle part de marché, la libéralisation n’a pas suffi pour enclencher une phase de développement du trafic ferroviaire global de marchandises en Espagne :
Dans ces conditions, et en raison de l’absence de transport fluvial en Espagne, le camion occupe une place prédominante dans le transport terrestre de marchandises (96,4%), ce qui constitue une source évidente de préoccupation dans le cadre de la lutte contre le changement climatique.
Le déclin du fret ferroviaire ne doit pas laisser penser que les autorités espagnoles ont fait preuve d’une passivité absolue. Depuis plus d’une vingtaine d’années, les gouvernements successifs ont affirmé et réaffirmé le caractère "prioritaire" du transport ferroviaire de marchandises. Les "plans de relance" se sont suivis, mais sans parvenir à enrayer la chute.
La pandémie du Covid-19 et la crise économique qui s’en est suivie ont cependant provoqué une série de changements. Le plan de relance de l’économie mis en place par le gouvernement espagnol repose sur une volonté clairement affirmée d’accélérer la décarbonation. La "Stratégie 2030 pour une mobilité sûre, durable et connectée", approuvée en Conseil des ministres le 10 décembre 2021, inclut un plan "Marchandises 30", destiné à relancer le transport ferroviaire de marchandises. Son objectif principal est de porter la part du rail dans le transport terrestre de marchandises à 10% en 2030. Les actions proposées représentent un montant de 8,4 Md€.
Il y a un vrai changement d’approche de la part du MITMA. Il ne s’agit plus de présenter un énième plan, doté de milliards d’euros et axé principalement sur le développement des infrastructures. Certes, celles-ci ne sont pas oubliées mais une attention est portée cette fois à la prestation du service, en proposant des mesures concrètes destinées à favoriser le report modal de la route vers le rail (...)
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