Le 15 septembre, la Commission européenne a présenté une nouvelle stratégie pour la coopération dans la zone indo-pacifique, ainsi qu’un programme d'investissement dans les infrastructures baptisé "Global Gateway". La connectivité des transports, qui constitue l'épine dorsale du commerce international, constitue un élément essentiel de ces deux initiatives politiques.
L’Europe entretient des relations commerciales étendues avec la région indo-pacifique (graphique 1). Avant la publication de la stratégie de l'UE, trois États membres, la France, l'Allemagne et les Pays-Bas, avaient déjà publié leur propre stratégie indo-pacifique.
En 2020, les principaux partenaires commerciaux de l'UE dans cette zone représentaient 12% des exportations et 15% des importations de l'UE avec les pays tiers [1]. Avec la Chine, ils représentent plus d'un tiers du commerce total de l'UE. Les machines [2] et les équipements de transport sont les deux principaux produits échangés, tant à l'importation qu'à l'exportation.
Graphique 1- Source des données : Eurostat
La pandémie mondiale a suscité une hausse de la demande européenne pour les produits des pays de la zone indo-pacifique. Environ 15,5% du total des importations mondiales de l'UE au premier semestre 2021 provenaient de ses principaux partenaires commerciaux indo-pacifiques, soit une légère augmentation par rapport aux 14,8% enregistrés pour la même période de 2019 (graphique 2).
Graphique 2 - Source des données : Eurostat
Les relations commerciales entre ces deux régions vont continuer à croître. D'une part, le développement des liens est une priorité de la stratégie indo-pacifique de l'UE (tableau 3). D'autre part, l'UE est le premier investisseur étranger en Inde et dans l'ASEAN, deux options prometteuses en matière de diversification des supply chains.
Tableau 3 - Statut des ALE entre l'UE et une sélection de pays de la zone indo-pacifique.
Les intérêts économiques substantiels de l'UE dans la région indo-pacifique stimulent les projets en matière de connectivité. En 2018, l'Europe a publié une stratégie de connectivité Asie-Europe. Et depuis 2017, la Banque européenne d'investissement (BEI) a fortement augmenté le financement des infrastructures de transport en Asie. Sur les 3,5 milliards d'euros que la BEI a prêtés à l'Asie depuis 1995, 2,4 Md€ l’ont été au cours des quatre dernières années (graphique 4).
Graphique 4 - Source des données : Banque européenne d'investissement
L'Inde (71 %), l'ASEAN (10 %) et la Chine (10 %) sont les trois principaux bénéficiaires (graphique 5). Le secteur des transports a représenté près de la moitié du total des prêts de la BEI à l'Inde (47,8 %) entre 1995 et 2021. Il convient de noter que la plupart des projets financés ne sont pas des projets de fret, mais plutôt des infrastructures de transport urbain vertes, comme des lignes de métro. Même si ces projets ne sont pas directement liés à des activités de transport et de logistique, ils contribuent à améliorer l'environnement général des entreprises dans ces régions.
Graphique 5 - Source des données : Banque européenne d'investissement
Graphique 6 - Source des données : Commission européenne
Cette politique va se poursuivre. Selon le budget à long terme de l'UE pour la période 2021-2027, environ 8,48 Md€ sur un total de 60,38 milliards d'euros iront aux pays d'Asie, au titre du financement de "l'instrument de voisinage, de développement et de coopération internationale (NDICI)", (figure 6). La connectivité est l'un des secteurs critiques. Quel type de projets d'infrastructure et d’opportunités en termes de transport peut-on prévoir ? Nous tenterons ici d’esquisser des pistes, sur la base des partenariats de connectivité de l'UE ou des déclarations communes avec ses homologues.
Si les secteurs et les projets relatifs en matière de connectivité des transports varient selon les pays partenaires de l'UE, la digitalisation et le développement durable en constituent un fil conducteur (tableau 7), conformément à la stratégie de l'UE en matière de mobilité intelligente et durable.
L’Europe met notamment l'accent sur la qualité de l’environnement réglementaire, comme l’illustre le souci d’harmonisation des normes dans le domaine du transport ferroviaire (Inde) et aérien (Inde, ASEAN). Des investissements dans les infrastructures de transport digitales sont envisagés pour soutenir cet objectif.
Tableau 7 - Champs de connectivité des transports répertoriés par l’UE avec ses partenaires.
Outre le financement de projets de transport dans la région indo-pacifique elle-même, l'UE souhaite mener conjointement des projets de connectivité des transports avec ses partenaires de la zone indo-pacifique sur des marchés tiers (tableau 8). Il s’agit d’un élément essentiel pour consolider les chaînes de valeur, surtout si l'on intègre le fait que peut se développer une diversification régionale accrue des supply chains dans le contexte de la pandémie.
Parmi les marchés tiers stratégiques pour les projets de connectivité des transports figurent l'Afrique, l'Indo-Pacifique, l'Asie centrale et l'Europe de l'Est [3]. La zone privilégiée varie en fonction des partenariats. Par exemple, pour le tandem UE-Inde, l'une des priorités est l'initiative de la Baie du Bengale pour la coopération technique et économique multi-sectorielle (BIMSTEC). Par ailleurs, l’UE souhaite développer des projets de coopération dans les pays voisins où elle a des intérêts stratégiques, ainsi qu’en Afrique.
Graphique 8 - Exemples de coopération potentielle sur des marchés tiers sur la base des documents de politique générale [4].
Dans le cas de l'Afrique, l'UE et le Japon ont financé conjointement de multiples corridors de transport en Afrique de l'Ouest. De plus amples informations sur les investissements liés à la connectivité sont attendues en février prochain lors du sommet UE-Afrique. Les projets visant à améliorer les infrastructures concernant l'hydrogène présentent un intérêt stratégique majeur, "afin de créer un marché de l'hydrogène vert qui relie les deux rives de la Méditerranée", précise l’UE.
Les pays voisins de l'UE constituent une autre zone privilégiée. Les infrastructures de ces pays permettent de se connecter au réseau transeuropéen de transport pour optimiser la connectivité Europe-Asie. L'Ukraine est ainsi susceptible d'être l'un des marchés tiers où se concrétiseront des projets de transport conjoints entre le Japon et l'UE.
Le programme européen d'investissement dans les infrastructures "Global Gateway" et la stratégie indo-pacifique de l'UE indiquent que l’Europe cherche une approche alternative à l'initiative chinoise "Belt and Road". Toutefois, ce serait une erreur de considérer uniquement sous l’angle de la compétition avec la Chine ces récentes initiatives politiques. Il s'agit plutôt d'une tentative de de diffuser les standards et l’approche européenne dans la manière d’aborder la question du développement des infrastructures de transport. Aussi ambitieuse que soit l'initiative politique, la façon dont l'UE va la mettre en œuvre reste vague. Plusieurs challenges devront être relevés.
[1] Il s'agit ici de l'Inde, de l'ASEAN, du Japon, de la Corée du Sud, de l'Australie et de la Nouvelle-Zélande.
[2] Codes SH 84 et 85.
[3] Dans le partenariat de connectivité entre l'UE et le Japon l'Europe orientale et les Balkans occidentaux sont également inclus.
[4] UE-Inde et UE-Japon sont des partenariats de connectivité. L'UE-Australie est une déclaration commune sur la connectivité.