L’offre de services rouliers entre la France et les trois pays du Maghreb (Maroc, Algérie et Tunisie) reste relativement faible comparativement à ses grands voisins méditerranéens, l’Italie et l’Espagne. Une des raisons avancées tient, selon un observateur, à l’importance de l’offre de transport conteneurisé. Les commissionnaires de transport privilégieraient les transports par conteneur, plutôt que l’envoi de remorques accompagnées ou non accompagnées.
Néanmoins, le roulier bénéficie d’un avantage. La majorité des liaisons entre le sud de la France et le nord de l’Afrique se réalise par des navires à double vocation : Ro-Pax. En effet, en période de congés, ces navires sont largement utilisés par les particuliers pour rejoindre les pays d’Afrique du Nord. Pour répondre à cette demande, les opérateurs ont aligné des services adaptés.
Parce qu’il existe aussi une demande de fret, les armements opérant entre la France et le Maghreb maintiennent leurs services en dehors des périodes de congés pour charger des remorques. Actuellement, deux ports français assurent des services réguliers de fret avec les trois pays du Maghreb : Marseille et Sète. Les deux ports français de Méditerranée jouent d’une grande complémentarité. En effet, dans chaque port escalent des armements différents. Si le port de Sète reste aujourd’hui centré sur les dessertes avec le Maroc, celui de Marseille dispose d’une offre plus vaste avec des liaisons sur les trois pays du Maghreb. Les autres ports de l’arc méditerranéen (Toulon, Nice et Port Vendres) ne réalisent pas de services réguliers.
Le port de Sète a développé son trafic roulier avec l’arrivée d’UN Ro-Ro. Cette compagnie maritime assure un service régulier entre le port turc de Yalova et Sète, avec des remorques non accompagnées. Le développement de cette activité a incité les armements à intégrer des escales dans le port de Sète pour permettre de relier ensuite le sud de la France avec l’Afrique du Nord. Deux compagnies maritimes assurent des services vers le Maroc, l’armement italien GNV (Grandi Navi Veloci), propriété depuis peu du groupe MSC, et l’armement espagnol Baléaria.
GNV assure la desserte de Tanger et de Nador. Les services avec Tanger sont proposés à une fréquence de deux rotations par semaine pendant la haute saison (de juin à septembre). En dehors de cette période, GNV assure une rotation par semaine entre Sète et Tanger. Le navire relie les deux ports directement. Une escale intermédiaire est parfois réalisée dans le port de Barcelone.
Depuis Sète vers Nador, port situé à l’est de Tanger dans le Rif oriental, GNV assure quatre rotations par semaine en haute saison. En dehors de cette période de pointe, l’armement ralentit la desserte avec une rotation tous les huit jours.
Outre les remorques depuis l’Europe vers le Maroc, GNV offre aussi une solution pour les remorques arrivées de Turquie par le service de DFDS. En effet, l’armement danois assure une rotation hebdomadaire depuis Yalova vers Sète. Une partie de ces remorques destinées au marché marocain transborde dans le port héraultais pour partir vers Tanger ou Nador.
Le poids de GNV sur le marché français reste relativement faible. L’armateur développe en effet une grande partie de son activité sur le Maghreb depuis les ports italiens vers la Tunisie. Pour disposer d’une présence complète, GNV s’est aussi implanté à Barcelone pour desservir le Maroc.
Présent sur le Maroc depuis la France, l’Espagne et l’Italie, ainsi que sur la Tunisie au départ de l’Italie, le groupe ne cache pas ses ambitions sur l’Algérie. "Nous regardons attentivement le marché algérien. Nous sommes en contact direct avec les autorités et les opérateurs économiques du pays. Cependant, s’implanter en Algérie ne se fait pas facilement. Nous voulons prendre notre temps pour réussir l’ouverture de lignes", a indiqué le directeur général de l’armement lors des 30 ans de l’armement. De plus, il ne dévoile pas le port de départ pour rejoindre l’Algérie, même s’il se murmure que la compagnie pencherait plutôt pour Barcelone.
L’armement espagnol, spécialisé sur les Baléares, s’est implanté sur le port de Sète depuis quelques années. Il assure, une fois par semaine, un service avec le port de Nador.
Marseille demeure la porte traditionnelle des liaisons avec le Maghreb. Premier port maritime français en volume de marchandises, il a conservé des liaisons Ro-Ro avec les trois pays d’Afrique du Nord.
Par rapport à Sète, le port de Marseille présente la particularité de proposer des liaisons Conro, combinant conteneurs et roulant. Ces services sont utilisés pour les remorques non accompagnées uniquement. En effet, le navire ne dispose pas de cabines pour les chauffeurs. Aujourd’hui, ces navires interviennent notamment dans le transport de véhicules neufs ou d’occasion.
L’armement français a hérité de navires de type Conro en reprenant l’entreprise Delom lors du rachat de la Comanav en 1999. Ces deux armements assuraient des liaisons sur l’Afrique du Nord. Aujourd’hui, dans son offre, le groupe CMA CGM propose plusieurs services reliant le port phocéen à ceux du Maghreb. Ainsi, le Med RoRo relie les ports de Marseille, Barcelone et Casablanca avec des navires Conro d’une capacité de 1280 m linéaires et de 640 EVP à une fréquence hebdomadaire. D’autre part, le service Med RoRo Algeria relie Marseille aux ports de Skikda, Alger et Mostaganem, avec des navires qui proposent également une capacité de 1280 m linéaires et 640 EVP. La desserte est assurée à raison d’une fréquence par semaine. Enfin, le Med RoRo Tunisia, qui relie Marseille et Tunis, offre trois liaisons hebdomadaires. Il aligne des navires qui peuvent prendre jusqu’à 156 remorques.
L’armement italien Messina assure une rotation entre la mer Rouge et la Méditerranée avec ce type de navire Conro. Le navire assure une escale à Misurata (Libye) avant de rejoindre Marseille puis Barcelone.
L’armement, plus connu pour ses liaisons en Europe du Nord, ne cache pas ses ambitions sur le sud du continent. Présent à Sète depuis la Turquie, DFDS assure une liaison hebdomadaire entre Marseille et Tunis avec des navires Conro. Il aligne un navire qui peut prendre 156 remorques et 900 EVP.
L’armement italien reste discret sur le marché des remorques non accompagnées en France. Le navire déployé entre Marseille et Casablanca permet de charger jusqu’à 2500 m linéaires et 900 EVP. Cependant, le service est principalement utilisé pour charger des engins rouliers plus que des remorques. Entre Marseille et le Maroc, le navire dessert les ports de Ligurie et offre donc des temps de transport plus élevés que ses concurrents. Ce service est surtout destiné à relier avec ce type de navire la Méditerranée à l’Afrique de l’Ouest.
Dans le même esprit que les précédents services, la CTN (Compagnie Tunisienne de Navigation) assure des liaisons RoRo entre Marseille et Tunis à raison de trois rotations par semaine avec une navigation de 24 heures. Elle aligne des navires qui peuvent charger jusqu’à 3700 m linéaires ou 180 remorques. Ce service est dédié principalement aux remorques non accompagnées.
L’armement a réactivé une ligne entre Marseille et le Maroc depuis quelques années, dédiée au trafic de véhicules. Le navire dessert les ports de Djen Djen (Algérie) et Tanger (Maroc). En retour, il assure des escales dans les ports espagnols de Valence et de Barcelone avant de toucher Sète et Marseille. Le port héraultais est desservi à la demande, en fonction du nombre de voitures. Cependant, face à l’engorgement des terminaux rouliers en Europe, le service de Neptune Lines offre une partie de sa cale à des remorques non accompagnées pour compléter ses chargements.
Les services Ro-Pax se différencient des autres en permettant l’accueil des conducteurs à bord. Trois compagnies depuis Marseille assurent des services de ce type : Corsica Linea, Compagnie Tunisienne de Navigation et Algérie Ferries.
Corsica Linea est l’héritière de la SNCM. Les navires ont été repeints en rouge, la direction changée, mais les services sont restés à peu près identiques. Spécialisée sur la Corse, la compagnie maritime a toujours assuré des rotations avec le Maghreb. Elle aligne des navires de type ferry qui permettent d’embarquer des remorques accompagnées et non accompagnées. Sur la Tunisie, l’armement assure une rotation hebdomadaire hors saison et double sa fréquence en période estivale. Les navires peuvent prendre jusqu’à 1000 m linéaires. Sur l’Algérie, Corsica Linea assure des rotations avec Alger tout au long de l’année, une fois par semaine. En période estivale, elle accroît son offre en proposant aussi des liaisons avec Bejaia et Skikda. Au total, en période estivale, Corsica Linea dessert l’Algérie trois fois par semaine.
L’armement marseillais a développé des rotations sur Tanger depuis trois ans, à raison de trois escales tous les 15 jours. Le navire quitte Marseille pour rejoindre Tanger en 39 heures. De type Ro-Pax, il peut embarquer 2460 m linéaires ou 170 remorques. À l’origine, la Méridionale a lancé ce service pour les exportations de véhicules neufs construits au Maroc par Renault et Stellantis. Or, avec une offre de services importante assurée par des PCTC (Pure Car and Truck Carrier) vers la France, La Méridionale a cherché à centrer son service avec des liaisons dédiées aux remorques accompagnées et non accompagnées.
La compagnie algérienne de ferries, appartenant à l’ENMTV (Entreprise nationale maritime de Transport de voyageurs) a créé sa propre structure pour assurer des liaisons pour les Algériens vivant en Europe. Les navires sont avant tout dimensionnés pour accueillir des passagers. Mais pour assurer tout au long de l’année des rotations, elle accepte du fret dans ses cales et accueille les chauffeurs. Les quatre navires de la compagnie peuvent embarquer 200 remorques. L’espace dédié au fret et aux voitures des passagers est à géométrie variable. En période creuse (pendant l’hiver), seuls deux navires assurent les rotations, tandis que ls deux autres sont mis en maintenance. La compagnie assure une liaison sur Alger à raison de deux fois par semaine avec l’un des navires, tandis que l’autre relie Marseille à Alger, Oran, Bejaia et Skikda trois à quatre fois par mois selon la destination.
Outre son offre avec des navires Conro, la CTN assure aussi des liaisons avec des navires de type ferry depuis Marseille sur la Tunisie. Les rotations se font sur une fréquence hebdomadaire en période creuse et sont assurées trois fois par semaine en période estivale. Le navire peut accueillir 2000 passagers et 1100 véhicules particuliers. En période creuse, cette cale peut prendre jusqu’à 150 ensembles routiers environ avec leurs chauffeurs.
Les liaisons sur le Maghreb au départ de la France comptent aussi quelques grands absents. Des compagnies maritimes comme Grimaldi n’assurent pas de services dédiés aux trafics de remorques. Pourtant, l’armement napolitain se veut le "fer de lance" du transport maritime de courte distance en Méditerranée. Il relie l’Espagne, l’Italie et l’Afrique du Nord sans toucher les ports français. Les dirigeants de Grimaldi n’expliquent pas ce choix. Ils évoquent une concurrence importante en France qui aurait pour conséquence de peser sur des taux de fret déjà bas.
Outre l’armement Grimaldi, les grands absents de ces liaisons sont aussi les autres ports français de Méditerranée. Toulon, Nice et Port Vendres n’assurent aucune liaison régulière avec les pays du Maghreb. Toulon reçoit, en spot, des navires chargés de voitures depuis le Maroc mais sans que ce service ne soit régulier. Nice est absent des liaisons sur le Maghreb. Quant à Port Vendres, il concentre son activité sur la réception de fruits et légumes depuis l’Afrique avec des navires conventionnels reefers. Une stratégie qui se confirme avec la reprise de la concession du port de Port Vendres par la Compagnie Fruitière.
Des projets de liaison depuis les ports de la côte Atlantique ont émergé. Dans les années 2000, Lorient a démarré une ligne sur le Maroc qui a essuyé des vents contraires violents. L’armateur n’a pas respecté les règles sociales et a rapidement jeté l’éponge.
La ligne qui relie Montoir au port de Vigo, en Galice, a fait l’objet d’études pour s’étendre sur l’Afrique du Nord. Cette ligne est avant tout dédiée aux productions automobiles espagnoles qui entrent sur le marché français. Au retour, les navires chargent des remorques d’ardoises d’Angers ou de produits de la région des Pays de Loire. L’idée d’étendre cette ligne sur le Maroc pour y charger des voitures en sortie de Tanger a germé sans donner de résultats concrets à ce jour.
Ensuite, les trois grands ports maritimes de Nantes, Bordeaux et La Rochelle cherchent des alternatives à la ligne feeder conteneurs de CMA CGM qui peine à progresser. Pour attirer de nouveaux chargeurs, les ports réfléchissent à ouvrir une liaison avec l’Afrique du Nord. Ils envisagent soit une ligne entièrement conteneurisée, soit l’utilisation d’un navire de type Conro pour ouvrir la possibilité d’envoyer des remorques non accompagnées sur le Maroc.
Enfin, Corsica Linea a réalisé ses premières traversées entre Sète et l’Algérie au cours de l’été 2023, en ciblant prioritairement le marché des passagers. D’autres essais sont prévus dans les prochains mois pour implanter une liaison régulière toute l’année, tant pour les passagers que pour le fret.