Market Insights

Fret aérien : l’atterrissage se confirme

Rédigé par Anne Kerriou | 10 mai 2022

La demande mondiale de fret aérien a reculé de 5,2% au mois de mars 2022 en glissement annuel, plombée par le conflit en Ukraine et les effets de la pandémie de Covid-19 en Asie. 

Depuis quelques mois, la croissance du fret aérien ralentissait après une période de forte reprise. Le mois de mars marque cette fois un coup d’arrêt, puisque la demande mondiale, exprimée en tonnes-kilomètres, enregistre un repli de 5,2% par rapport à mars 2021 et de 8,8% par rapport à février 2022. "Les volumes de fret aérien du mois de mars, corrigés des variations saisonnières, sont tombés à leur plus bas niveau depuis 16 mois, affectés par le conflit en Ukraine et les perturbations croissantes d'Omicron en Asie", constate l'Association internationale du transport aérien (IATA).

* FTK : tonnes-kilomètres de fret – Source des données : IATA - © Upply

Un choc violent pour les compagnies européennes

Le choc est particulièrement rude pour les compagnies européennes, mais celles du Moyen-Orient et de la zone Asie/Pacifique sont aussi très touchées, tandis que les transporteurs d’Amérique du Nord parviennent à limiter l’érosion grâce au marché domestique. Autrement dit, la totalité des grands marchés sont concernés par le repli. L’Amérique latine et l’Afrique affichent en effet un taux de croissance positif, mais ces zones ne pèsent respectivement que 1,8% et 1,9% du marché mondial. De plus, le redressement spectaculaire de l’Amérique latine intervient après un plongeon tout aussi vertigineux.

L’analyse du trafic international sur l’ensemble du premier trimestre permet de prendre encore davantage la mesure du recul que subissent les compagnies européennes, puisqu’elles repassent en-dessous des niveaux pré-pandémiques (-0,9% par rapport au premier trimestre 2019). Une situation qui s’explique essentiellement par la réduction drastique d’activité pour les compagnies russes et ukrainiennes. Les autres marchés restent en territoire positif, à l’exception de l’Amérique latine où la bonne performance de mars ne suffit pas à effacer le retard. Les compagnies nord-américaines tirent quant à elles brillamment leur épingle du jeu, à l’international comme sur le marché domestique.

En revanche, la situation sanitaire continue de peser sur les résultats des compagnies asiatiques, qui affichent une croissance de 3% du trafic international mais une baisse de 1% du trafic global. L’ambiance reste morose également pour les compagnies du Moyen-Orient. "Les volumes de fret transitant par les plates-formes du Moyen-Orient, réorientés depuis l'Europe et l'Asie pour éviter l'espace aérien russe, se sont maintenus mais n'ont pas connu d'augmentation significative, probablement en raison de la faiblesse de la demande globale", estime l’IATA.

* FTK : tonnes-kilomètres de fret – Source des données : IATA - © Upply

Courte accalmie sur les taux de fret

Alors que la demande était en recul, l’offre a poursuivi sa croissance, avec une augmentation de 1,2% des tonnes-kilomètres offertes en mars 2022 par rapport à mars 2021. Le coefficient de remplissage régresse ainsi de 3,7 points.

Ce décalage entre l’évolution de l’offre et celle de la demande exerce une certaine pression sur les taux de fret, en particulier sur le corridor Asie-Europe, qui subit le double impact de la guerre en Ukraine et des perturbations en Chine liées au contexte sanitaire. Cette accalmie semble toutefois tout à fait transitoire. Selon les premières données disponibles pour le mois d’avril, les prix repartent à la hausse, notamment sur l’axe Asie-Europe où nous constatons dans notre base Upply une progression de près de 30% entre la dernière semaine de mars et la dernière semaine d’avril. Les volumes restent pourtant en retrait, mais les perturbations opérationnelles, en particulier consécutives aux mesures de confinement en Chine, créent un phénomène de congestion propice à la remontée des taux de fret.  

 

Source : Upply SMART

Une évolution préoccupante de l’économie mondiale

Le cycle de rattrapage qu’a connu le fret aérien en lien avec la forte reprise économique de 2021 arrive aujourd’hui en bout de course. Les signaux défavorables se multiplient.

  • L’inflation galopante sur les marchés occidentaux commence à avoir un impact sur la consommation des ménages et sur les dépenses des entreprises.
  • Le cycle de reconstitution des stocks, entamé lors du rebond qui avait suivi la première phase de la pandémie à la fin de 2020, arrive à son terme. Or ce cycle était un moteur pour le fret aérien.
  • Les nouvelles commandes à l'exportation se contractent désormais sur tous les principaux marchés, à l'exception des États-Unis. "Les sanctions contre la Russie ont perturbé l'activité manufacturière, entraînant une baisse des commandes à l'exportation au premier trimestre 2022 en Allemagne, au Japon et en Corée", souligne l’IATA. En Chine aussi, les commandes à l’exportation restent sous la barre des 50. Une mauvaise nouvelle pour l’industrie du fret aérien, très dépendante de "l’usine du monde". L’Organisation mondiale du commerce a d’ailleurs très nettement revu à la baisse ses prévisions de croissance du commerce mondial de marchandises. Elle table désormais sur une hausse de 3% en 2022, au lieu des 4,7% estimés dans les prévisions publiées en octobre dernier.

"La paix en Ukraine et un changement dans la politique chinoise du Covid-19 contribueraient grandement à atténuer les vents contraires auxquels est confrontée l’industrie du fret aérien. Comme ni l'un ni l'autre ne semble probable à court terme, nous pouvons nous attendre à des difficultés croissantes pour le fret aérien au moment où les marchés du transport de passagers accélèrent leur reprise", conclut Willie Walsh, directeur général de l'IATA.