Market Insights

Fret aérien : la redirection des flux se confirme

Rédigé par Anne Kerriou | 12 décembre 2025

La demande mondiale de fret aérien reste solide, avec encore une croissance de 4,1% en octobre, mais la cartographie des flux se redessine significativement. Les prix s’érodent par rapport à 2024.

1/ Offre et demande : record de trafic mais contrastes régionaux

Selon l’Association du transport aérien international (IATA), la demande mondiale de fret aérien mesurée en tonnes-kilomètres a progressé de 4,1 % sur un an en octobre 2025, atteignant un nouveau record historique pour un mois d’octobre. Le trafic international fait encore mieux (+4,8 % en glissement annuel).

  • Trafic d’octobre 2025

 

* FTK : tonnes‑kilomètres de fret – Source des données : IATA.

Cette hausse prolonge une série de huit mois consécutifs d’expansion et confirme le bon niveau de la saison haute, porté par l’électronique, la pharma et les flux e‑commerce.

Cependant, l’analyse par région montre que la dynamique est tout sauf uniforme. Les compagnies africaines signent la plus forte croissance (+16,6 %), suivies par leurs homologues de l’Asie‑Pacifique (+8,3%). Les compagnies d’Europe et du Moyen-Orient progressent plus modérément, avec des hausses respectives de 4,7 % et 5,8 %. Et sur le continent américain, les compagnies ne profitent pas de la trajectoire positive, puisque celles d’Amérique du Nord reculent de 1,9% et celles d’Amérique latine de 2,5 %.

  • Le poids des tarifs douaniers américains

L’évolution détaillée par grands axes de trafic reflète aussi les disparités de croissance. Le mois d’octobre confirme notamment la redirection des flux stimulée par les barrières douanières américaines.

→ L’axe Asie–Amérique du Nord affiche un repli de 1,4% en octobre en glissement annuel. La baisse est moins prononcée qu’en septembre (-3,5%), mais en cumul annuel sur dix mois à fin octobre, il s’agit bien de la seule route majeure qui enregistre une décroissance (-1,1%). Les lourds droits de douane imposés à la Chine produisent leurs effets.

→ À l’inverse, le corridor Asie-Europe s’illustre par une croissance à deux chiffres en octobre (+11,7%) et en cumul annuel (+10,6%). Cette évolution témoigne d’un report des flux chinois vers le marché européen, confirmé par les chiffres globaux du commerce extérieur chinois.

→ La politique américaine accélère également la stratégie de diversification des entreprises en matière de sourcing, notamment vers d’autres pays d’Asie que la Chine, ce qui favorise le développement des flux intra-asiatiques et profite au fret aérien. En octobre, le trafic intra-Asie a augmenté de 9,0%, et la croissance s’élève à 9,4% en cumul annuel.

→ Le marché transatlantique reste en croissance, avec une progression de 2,6% en octobre. Cependant, la tendance est au ralentissement. En début d’année, les importateurs américains ont anticipé les commandes en prévision de l’instauration des droits de douane, ce qui a stimulé l’activité de fret aérien (+7,6% en moyenne durant les trois premiers trimestres). Maintenant que le cadre commercial entre les États-Unis et l’Union européenne semble à peu près stabilisé, le marché retrouve un rythme de croisière.

  • Cumul annuel à fin octobre 2025

En cumul annuel sur la période allant de janvier à octobre 2025, la demande mondiale est en hausse de 3,3 % et le trafic international de 4,0 %.

* FTK : tonnes‑kilomètres de fret – Source des données : IATA.

  • Évolution des capacités

La capacité (ACTK) a augmenté de 5,1 % en octobre en glissement annuel, soit un point de plus que la croissance des volumes. En conséquence, le coefficient de remplissage cargo ressort à 47,1 %, en repli de 0,5 point sur un an.

La dynamique est d’abord tirée par les capacités disponibles en soute des avions passagers, en progression de 6,4% en octobre en rythme annuel. Elles représentent 54,3 % de l’offre internationale total sur la période janvier‑octobre, contre 53,7 % en 2024. Les capacités disponibles à bord des avions tout‑cargo ont aussi augmenté de 6,4 %, mais leur part recule de 1,3 point dans l’offre totale, principalement en raison de la faiblesse du trafic sur le corridor transpacifique. Cet axe, qui drainait près de 55 % de l’offre en 2024, ne pèse plus qu’un peu plus de 51 % (dont 84% fournie par les avions cargos contre 87 % un an plus tôt). Afin de s’adapter à la redirection des flux, les compagnies aériennes ont en effet redéployé une partie de leur flotte tout cargo vers d’autres routes, en particulier l’Europe-Asie (+21,4%) et l’Europe-Amérique du Nord (+12,4 %).

2/ L’évolution des prix

L’augmentation de l’offre supérieure à la demande exerce une certaine pression sur les prix. La recette unitaire moyenne a reculé pour le 6è mois consécutif, se repliant de 4,7 % en octobre en glissement annuel. La baisse des prix du carburant durant quatorze mois a réduit les surcharges carburant, ce qui a fait tomber la recette unitaire moyenne à 2,46 USD/kg.

Les données Upply montrent une croissance modérée des prix en glissement mensuel sur l’Intra-Asie, l’Asie-Europe, et l’Amérique du Nord-Europe, témoignant d’un frémissement sur les grands axes alors que s’amorce la saison haute. Mais en glissement annuel, le mouvement est globalement orienté à la baisse.

Source : Upply

3/ Perspectives à trois mois

Les indicateurs macroéconomiques restent globalement porteurs, mais toujours incertains.

  • La production industrielle mondiale, mesurée par l’indice désaisonnalisé de la Banque mondiale, a augmenté de 3,7 % sur un an en septembre 2025 (contre 2,1 % en août), soit le rythme le plus rapide depuis mars 2025. L’indice du commerce mondial de biens (World Goods Trade Index), publié par le Bureau néerlandais d’analyse de la politique économique, a lui aussi montré une hausse des volumes en septembre, à +5,3 % sur un an. « Ces deux indicateurs confirment que la demande mondiale sous-jacente est restée solide », souligne l’IATA.
  • En revanche, les indices PMI racontent une histoire un peu plus mitigée sur la demande à venir. L’indice PMI manufacturier se situe à 51,45 en octobre, soit un troisième mois consécutif au‑dessus du seuil des 50. En revanche, l’indice PMI des nouvelles commandes à l’export recule à 48,31 après 49,51 le mois précédent, prolongeant une série de sept mois sous le seuil de 50. Dans un contexte instable, la demande extérieure reste de toute évidence encore hésitante. Cela rejaillit sur le fret aérien, très sensible aux soubresauts qui peuvent intervenir, dans un sens ou dans un autre.

Le trafic devrait continuer à progresser dans des proportions raisonnables durant la période de fin d’année, portée par la demande propre à cette période et par les opérations commerciales comme le Black Friday qui nourrissent un type de demande favorable au fret aérien.

Pour le début de l’année 2026, les prévisions sont beaucoup plus prudentes. Au premier trimestre, la croissance par rapport à 2025 sera d’autant plus limitée que le premier trimestre 2025 a bénéficié d’un fort effet d’anticipation des commandes avant l’arrivée annoncée des droits de douane additionnels américains.

D’autre part, l’Union européenne pourra difficilement continuer à voir se creuser son déficit avec la Chine sans réagir. Les initiatives sont encore timides, mais lors du conseil des Affaires économiques et financières du 13 novembre, les ministres des Finances de l’Union européennes se sont par exemple mis d’accord pour supprimer l’exemption de droits de douane sur les colis d’une valeur inférieure à 150 €, et sur la nécessité de trouver une solution temporaire pour pouvoir appliquer des taxes sur ces expéditions dès 2026.