En avril, l’industrie mondiale du fret aérien a connu une baisse de 27,7% de la demande par rapport à la même période de 2019. "La chute la plus brutale jamais enregistrée", puisqu’elle dépasse le record de 23,9% constaté en janvier 2009 pendant la crise financière mondiale, souligne l’Association du transport aérien international (IATA). Les mesures de confinement ont effet très largement perturbé la production manufacturière comme la consommation dans de nombreuses régions du monde. En données corrigées des variations saisonnières, le déclin s’établit à -17,6% en avril, après un repli modéré en mars (-3% en données corrigées et -15,2% en données brutes).
L’observation plus précise des trois principaux marchés mondiaux révèle des disparités. L’Asie-Pacifique et l’Europe, qui représentent 34,6% et 23,6% du marché mondial du fret aérien, ont enregistré des baisses respectives de plus de 30%. En revanche, la chute de la demande s’est limitée à 11,5% en Amérique du Nord, zone qui représente 24,3% du marché mondial. On est donc loin des -32,3% enregistré en avril 2009 sur le continent nord-américain, lors de la crise financière. La demande a été soutenue par le trafic domestique, et à l’international, la baisse s’est "limitée" à 20,1%. Le grand marché Asie-Amérique du Nord, en particulier, "a subi un déclin moindre (7,3 %) en raison de la hausse des mouvements d’équipements de protection personnelle (EPP)", détaille l’IATA. En avril, l’Amérique du Nord est ainsi la zone IATA la moins touchée par la baisse de la demande suivie par l’Afrique, relativement épargnée également.
Le Moyen-Orient, qui représente 13% du marché mondial, a en revanche beaucoup souffert. "Malgré le nombre de transporteurs de la région qui maintiennent des capacités de fret, le trafic était faible sur toutes les routes clés", pointe l’IATA. Zone de transit par excellence, le Moyen-Orient n’a pas pu tabler sur un marché local pour soutenir un minimum les flux. L’Amérique latine, enfin, détient le triste record de l’effondrement, avec une demande en repli de 43,7%. "La crise de la COVID-19 est particulièrement problématique pour les compagnies aériennes basées en Amérique latine, en raison des mesures strictes de confinement et du manque de soutien des gouvernements au fret aérien", explique l’IATA.
Comme au mois de mars, l’effondrement du marché n’a pas entraîné de chute des prix, bien au contraire, car la capacité mondiale disponible, exprimée en tonnes-kilomètres offertes, a diminué encore plus radicalement que la demande. Elle s’est rétractée de 42 % en avril 2020 par rapport à avril 2019 (-40,9 % pour les marchés internationaux). En effet, la forte réduction des vols passagers a entraîné une chute de 75% des capacités offertes en soute à l’international, qui n’a été que très partiellement compensée par l’augmentation de capacités de 15% liée à l’utilisation accrue d’avions tout cargo.
Le coefficient de chargement (CLF) affiche une hausse de 11,5 points en avril. Du jamais vu depuis que cet indicateur est suivi, constate l’IATA. "Les compagnies déploient autant de capacités que possible, y compris par le biais d’opérations charters spéciales et par l’utilisation des cabines d’avions de passagers pour le transport de marchandises. Mais il y a une grave pénurie de l’offre dans le secteur du fret aérien", admet Alexandre de Juniac, directeur général de l’IATA.
Le phénomène désorganise considérablement les chaînes d’approvisionnement mondiales, qui subissent à la fois des délais d’acheminement plus long et des coûts plus élevés. Selon notre base de données Upply, les taux de fret aérien sur l’axe Asie-Europe affichent par exemple une augmentation de 40% par rapport à avril 2019 et de 9% par rapport à mars 2020. La flambée semble toutefois se calmer un peu depuis la dernière semaine d’avril, avec des taux de fret en repli d’environ 10% par rapport à la dernière semaine de mars. Les axes Europe-Asie et Europe-Moyen-Orient présentent des tendances similaires. Enfin, sur le corridor Europe-Amérique du Nord, dans les deux sens, l’augmentation des taux de fret aérien en avril 2020 par rapport à la même période de 2019 dépasse les 60%. Et sur ce marché, aucune accalmie ne s’est encore fait sentir.
Source : Upply
Selon les dernières prévisions de IATA, publiées le 9 juin, le fret accusera un repli de 10,3 millions de tonnes en volume en 2020, pour atteindre un total de 51 Mt. Mais compte tenu de la hausse des taux de fret, le chiffre d’affaires de l’activité cargo devrait augmenter d’environ 30% pour atteindre 110,8 milliards de dollars, contre 102,4 milliards en 2019. L’industrie du fret aérien frôlera ainsi son record et contribuera à hauteur d’environ 26% aux revenus globaux du transport aérien, contre 12% en 2019. Il faut dire que le chiffre d’affaires de l’activité passagers devrait quant à lui être divisé par deux, se limitant ainsi à 419 milliards de dollars. L’IATA estime que les pertes globales de l’industrie du transport aérien atteindront en 2020 le chiffre faramineux de 84 milliards de dollars.
L’heure n’est donc pas au soulagement du côté des compagnies aériennes, loin s’en faut. D’une part parce que leur situation financière globale est évidemment extrêmement préoccupante. D’autre part parce que les conditions d’exploitation restent extrêmement complexes pour l’activité cargo. "Les gouvernements doivent faire en sorte que les chaînes d’approvisionnement vitales demeurent opérationnelles et efficaces. Alors que plusieurs d’entre eux sont intervenus rapidement pour faciliter le trafic cargo, les tracasseries administratives, en particulier en Afrique et en Amérique latine, privent l’industrie de la possibilité de déployer des avions de façon flexible pour répondre aux exigences de la pandémie et de l’économie mondiale", déplore Alexandre de Juniac.