Market Insights

Fret aérien : le coup de froid se confirme

Rédigé par Anne Kerriou | 15 avril 2025

Le trafic mondial de fret aérien a connu son premier repli depuis 18 mois en février 2025. Globalement, les prix de transport baissent et la guerre commerciale inquiète.

1/ L’évolution de l’offre et de la demande

  • Trafic de février 2025

Le trafic mondial de fret aérien, exprimé en tonnes-kilomètres, a enregistré une diminution de 0,1% en glissement annuel au mois de février 2025, selon les chiffres diffusés par l’Association du transport aérien international (IATA). Un repli très léger, mais qui met un terme à 18 mois consécutifs de croissance. En données corrigées des variations saisonnières, la demande accuse une baisse de 0,6% en glissement mensuel par rapport au mois précédent, ce qui porte le trafic mondial aux alentours de 22 milliards de tonnes-kilomètres (t-km), selon nos estimations (19,6 milliards hors variations saisonnières).

L’IATA relativise toutefois le mouvement de baisse, rappelant que le mois de février 2024, période de référence, avait été particulièrement exceptionnel, cumulant les effets favorables d’une année bissextile, des dates du Nouvel An chinois, des perturbations du transport maritime en mer Rouge et de l'essor du commerce électronique. "Après correction des variations saisonnières, y compris la différence du nombre de jours, le trafic de fret aérien en février 2025 est supérieur de 3,0 % à celui enregistré en février 2024. Ce chiffre est à peu près conforme au taux de croissance de janvier", précise l’IATA.

Si le trafic global diminue, le trafic international reste en croissance, avec une progression de 0,4% en février 2025 en glissement annuel (+ 3,5 % après correction de l'année bissextile et d'autres effets saisonniers).

* FTK : tonnes-kilomètres de fret – Source des données : IATA

Le trafic est resté assez vigoureux sur les principales routes mondiales du fret aérien. "Il a atteint 3,8 milliards de tonnes-kilomètres (tkm) en février sur le transpacifique, soit un niveau à peu près inchangé par rapport à février 2024", indique l’IATA. La perspective de l’introduction des droits de douane additionnels aux États-Unis semble avoir soutenu le niveau de la demande, avec une certaine anticipation des commandes. La route commerciale transatlantique a également enregistré une croissance de 4,5 % en glissement annuel. Deuxième axe mondial derrière le Transpacifique, la route reliant l'Europe et l'Asie a aussi connu une forte croissance de 4,7 %, le trafic atteignant ainsi 3,6 milliards de tkm en février.

Autre facteur marquant du mois : le dynamisme du marché intra-asiatique, qui se caractérise par la plus forte croissance parmi les grandes routes mondiales, avec un bond de 9 % en glissement annuel. En février, les routes intra-asiatiques sont ainsi devenues le 4è marché mondial, dépassant l’axe Moyen-Orient / Asie, qui a diminué de 6,2 % en glissement annuel. Enfin, le trafic de fret entre l'Europe et le Moyen-Orient, ainsi que le trafic intra-européen, ont connu des contractions respectives de 14,1 % et 2,3 % en glissement annuel.

  • Capacités

Face à la décélération de la demande, les compagnies ont réagi pour maîtriser l’offre. Les capacités, mesurées en tonnes-kilomètres, ont diminué de 0,4%, à 43,5 milliards de tonnes-kilomètres et le coefficient de remplissage a ainsi augmenté de 0,1 point de pourcentage par rapport à février 2024, atteignant 45,0 %. En données corrigées des variations saisonnières, l’offre reste en progression de 3,3% par rapport à la même période de l’an passé.

Les compagnies aériennes ont influencé l’offre en jouant sur les capacités tout cargo. L’offre disponible à bord des avions cargo s’est contractée de 0,7% sur les routes internationales. À l’inverse, les capacités disponibles en soute des avions passagers ont progressé de 2,4% en février en glissement annuel, s’élevant à 18,9 millions de tonnes-kilomètres. Elles représentent 56 % de l’offre à l’international.

2/ L’évolution des prix

À l’international, la progression de l’offre supérieure à celle de la demande a pesé sur les taux de fret aérien, avec un 3è mois consécutif de repli. Globalement, la recette unitaire moyenne, surcharges incluses, a diminué de 6,1% en glissement mensuel, et atteint son plus bas niveau depuis 12 mois, signale l’IATA. Cette baisse est bien supérieure à celle du prix du kérosène, qui s’est contracté de seulement 2,1%.

Source : Upply Freight Index

En glissement annuel, l’axe Asie-Europe est l’un des rares à résister à la baisse. Il est vrai qu’il profite de l’instabilité persistante en mer Rouge, qui handicape le transport maritime sur cette route et rend donc le fret aérien incontournable pour certains produits sensibles aux délais. L’axe Europe/Amérique du Nord est également en progression. On peut y voir un impact des annonces concernant l’instauration de droits de douane additionnels. Les importateurs ont commandé avant que le couperet tombe.

3/ Les perspectives

La montée des tensions commerciales constitue une source d’inquiétude majeure pour l’industrie du fret aérien. "Alors que les marchés boursiers montrent déjà leur malaise, nous exhortons les gouvernements à privilégier le dialogue plutôt que les droits de douane", a déclaré Willie Walsh, directeur général de l'IATA. Un message qui ne semble guère audible du côté des États-Unis et de la Chine, entre lesquels le bras de fer a commencé. L’Union européenne a de son côté fait preuve de mesure et de patience, mais cette attitude n’a à ce stade guère été récompensée, ce qui pourrait la conduire à hausser le ton.

  • Des facteurs positifs

La guerre commerciale a pris une telle ampleur qu’elle assombrit les quelques bonnes nouvelles. En janvier, l'indice de la production industrielle a augmenté de 3,2 % en glissement annuel, la plus forte croissance en deux ans. Par ailleurs, en février, l'indice des directeurs d'achat (PMI) de la production manufacturière mondiale était supérieur à 50 (51,5), indiquant une croissance. Le PMI des nouvelles commandes à l'exportation a quant à lui légèrement augmenté par rapport au mois de janvier, passant à 49,6.

Ces paramètres étaient plutôt encourageants pour la demande de fret aérien. Et côté coûts, la baisse du prix du kérosène était également une bonne nouvelle pour les compagnies aériennes.

Mais en instaurant des droits de douane additionnels massifs et un climat de grande incertitude, la nouvelle administration Trump torpille les signaux favorables. En février, l'inflation des prix à la consommation est restée élevée aux États-Unis, et les économistes annoncent une nouvelle flambée lors de la mise en œuvre effective des droits de douane. En Europe et au Japon aussi, l’inflation ne baisse que légèrement par rapport au mois précédent, souligne l’Iata. La Chine connaît le phénomène inverse, avec une baisse des prix à la consommation en février. Or cette pression déflationniste déjà forte depuis plusieurs mois risque de se confirmer à la faveur du violent rapport de force avec les États-Unis.

  • Mais un climat commercial perturbant

La vigueur de cette nouvelle guerre commerciale conduit les grandes institutions à revoir leurs prévisions de croissance. Dans son rapport intermédiaire sur les perspectives économiques, publié le 17 mars, l’OCDE annonce désormais une hausse du PIB de 3,1% en 2025 et 3,0% en 2026, soit un abaissement respectif de 0,2 et 0,3 point par rapport aux précédentes prévisions. De plus, ces chiffres n’incluent pas l’impact des droits de douane réciproques promis par Donald Trump le 2 avril, dont on ne sait pas encore s’ils perdureront ou si des transactions avec les pays concernés permettront un retrait rapide.

L’OCDE avertit : "Une fragmentation accrue des échanges assombrirait les perspectives de croissance de l’économie mondiale (...). En cas de nouveau relèvement des droits de douane bilatéraux appliqués à toutes les importations des États-Unis autres que des matières premières et de hausse correspondante, dans tous les pays, des droits de douane frappant les importations en provenance des États-Unis autres que des matières premières, la production mondiale pourrait chuter d’environ 0,3 % au bout de la troisième année, et l’inflation mondiale pourrait être supérieure de 0,4 point de pourcentage par an en moyenne au cours des trois premières années. L’impact de ces chocs serait amplifié si l’incertitude liée à l’action publique devait continuer à s’accentuer ou si les risques faisaient l’objet d’une réévaluation généralisée sur les marchés financiers".

La dépendance de l’industrie du fret aérien à la bonne santé du commerce mondial laisse donc présager une grande période de turbulences. Cela est d’autant plus vrai que la Chine, principale cible des tarifs douaniers américains à ce jour, occupe aujourd’hui une place très importante sur l’échiquier mondial du fret aérien. C’est en particulier dans le secteur du e-commerce transfrontalier, qui s’est fortement développé ces dernières années. La Maison Blanche a annoncé la suppression du régime des minimis pour les expéditions en provenance de Chine et de Hong Kong à compter du 2 mai 2025. Ce dispositif exempte de droits de douane les expéditions dont la valeur est inférieure à 800 US$, et concerne beaucoup d’expéditions acheminées par voie aérienne. Si la suppression est confirmée, cela pourrait donc avoir un impact sensible sur le fret aérien transpacifique.