La baisse de la demande de fret aérien se confirme et prend de l’ampleur, comme en témoignent les derniers chiffres publiés par l'Association internationale du transport aérien (IATA). Après un repli de 4,8% en mars en glissement annuel, le trafic exprimé en tonne-kilomètres plonge de 11,2% en avril par rapport à la même période de 2021. Pour le deuxième mois consécutif, le trafic est également inférieur au niveau pré-pandémique, avec une diminution de 1% par rapport à avril 2019.
En données corrigées des variations saisonnières, les volumes accusent aussi une deuxième baisse consécutive, en régressant de 2,7% par rapport à mars.
* FTK : tonnes-kilomètres de fret – Source des données : IATA - © Upply
Selon l’IATA, la forte baisse constatée en avril est principalement due à deux facteurs exogènes : les confinements décidés en Chine pour endiguer la vague Omicron et la guerre en Ukraine.
La deuxième puissance économique mondiale a effectivement tourné au ralenti pendant plusieurs semaines, ce qui a eu un impact sur les exportations mais aussi sur les importations. "Dans les autres pays d’Asie comme la Corée du Sud, les échanges commerciaux sont restés soutenus en avril mais ont quand même connu le taux de croissance le plus faible depuis le début de l’année, en raison de la contraction des volumes d’exportations vers la Chine", illustre l’IATA.
Le conflit entre la Russie et l’Ukraine engendre également une pression à la baisse sur les échanges par voie aérienne. Tout d’abord, plusieurs compagnies aériennes de ces deux pays qui sont des acteurs significatifs dans l’industrie du fret aérien ont vu leur activité se réduire considérablement. Ensuite, les mesures d’interdiction mutuelle de survol des espaces aériens européens et russes ont conduit les compagnies aériennes européennes mais aussi asiatiques à réduire leur programme de vols sur le corridor Asie-Europe. Les nouveaux itinéraires induisent en effet des temps de vols plus longs et donc des surcoûts particulièrement importants, à l’heure où le prix du carburant flambe.
Les compagnies asiatiques et européennes sont ainsi les plus durement touchées par la réduction du trafic, avec un repli respectif de 15,8% et 14,4%. Pour les compagnies asiatiques, on constate de surcroît un fort recul des capacités offertes (-19,4%) qui s’explique notamment par les perturbations du marché domestique en Chine.
Globalement, à l’échelle mondiale, les capacités sont en repli de 2%. L’offre est stable en Europe, tandis qu’elle progresse pour les compagnies d’Amérique du Nord et du Moyen-Orient. Une hausse synonyme d’érosion du coefficient de remplissage pour ces dernières, puisqu’elles ont parallèlement connu des baisses de trafic de 6,6% et 11,9%.
Exception flamboyante dans ce concert de morosité : les compagnies d’Amérique latine affichent des capacités en croissance de 67,8%. Cet optimisme semble toutefois un peu excessif au regard de la demande, qui grimpe vigoureusement mais moins vite que l’offre avec un taux de progression de +40,9%. Les chiffres sont aussi à relativiser au regard du poids de ces compagnies à l’échelle mondiale puisque leur part de marché se limite à 2,2%. Enfin, on peut y voir un signe de rattrapage tardif, dans la mesure où les compagnies d’Amérique latine, contrairement à leurs homologues des autres continents, n’ont pas connu de net rebond en 2021.
Le recul du trafic de 11,2% enregistré en avril, alors que l’offre n’a parallèlement diminué que de 2%, aurait pu conduire à une baisse des taux de fret. Les taux sont en effet plutôt stables sur le transatlantique et en léger repli en intra-Asie en glissement mensuel, selon notre base Upply. En revanche, sur l’axe Asie-Europe, les perturbations logistiques ont entraîné de grandes difficultés d’accès aux capacités et, en conséquence, une nette remontée des prix.
Les évolutions en glissement mensuel témoignent également de la bonne résistance des taux de fret. "L'environnement opérationnel est difficile pour toutes les entreprises, y compris le fret aérien. Mais la Chine ayant assoupli ses restrictions, il y a lieu d'être optimiste et le déséquilibre entre l'offre et la demande permet de maintenir des recettes unitaires élevées", constate Willie Walsh, directeur général de l'IATA.
Source : Upply
Il semble pourtant que l’on s’achemine clairement vers la fin du cycle de rattrapage qui a dopé la demande depuis fin 2020, après les premiers confinements drastiques. L’inflation s’installe à des niveaux que l’on n’avait pas connu depuis des décennies. "L'indice général des prix à la consommation pour les pays du G7 s'établissait à 7,1% en glissement annuel à la mi-avril, dépassant ainsi le précédent record de février 2022", souligne l’IATA.
L’impact sur la demande des consommateurs est inévitable. "Les nouvelles commandes à l'exportation, un indicateur avancé de la demande de fret et du commerce mondial, sont désormais en baisse sur tous les marchés, à l'exception des États-Unis", indique l’IATA. Dans la dernière édition de ses perspectives économiques mondiales, publiées le 7 juin, la Banque mondiale a clairement revu à la baisse ses prévisions. "La croissance mondiale devrait chuter de 5,7 % en 2021 à 2,9 % en 2022, soit nettement moins que les 4,1 % prévus en janvier dernier. Ce rythme de croissance devrait perdurer jusqu’en 2023-2024, dans un contexte marqué par la guerre en Ukraine, qui perturbe fortement l'activité, l'investissement et le commerce à court terme, par le tassement des effets de rattrapage de la demande et par la levée progressive des mesures de soutien budgétaire et d'accompagnement monétaire", souligne l’institution dans un communiqué. La Banque mondiale pointe "un risque grandissant de stagflation" et son président estime que "pour bien des pays, il sera difficile d’échapper à la récession".
Ce contexte est évidemment inquiétant pour l’industrie du fret aérien, dont la santé est extrêmement corrélée à celle de l’économie mondiale. Si les compagnies ont restauré leurs marges du côté de l’activité cargo, elles restent très fragilisées par la pandémie. La lucrative clientèle Affaires revient progressivement mais partiellement, car les réunions à distance ont montré leur efficacité. C’est donc un nouveau modèle qu’il leur faudra inventer, dans un contexte de très fortes turbulences. Contrairement aux compagnies maritimes, les compagnies aériennes n’ont pas accumulé des ressources suffisantes pour affronter des mois voire des années de tempête. La question de la consolidation du marché pourrait se poser rapidement.