Le mois d’août a apporté son lot de nouvelles mesures douanières :
Alors que nous entrons dans le mois de septembre, de nouveaux droits de douane applicables aux produits chinois et américains sont entrés en vigueur. À peu près un tiers des produits américains qui entrent sur le marché chinois, essentiellement des produits agro-alimentaires, sont désormais soumis à une taxe additionnelle de 5 à 10%. Les nouveaux droits de douane américains sur l’équivalent de 300 milliards de dollars de produits touchent pratiquement tous les produits chinois. Bien que les discussions continuent sur les derniers produits taxés, nous estimons qu’il est important de regarder un autre document également essentiel pour la stratégie commerciale : les listes d’exonération.
Les deux acteurs ont publié (et vont continuer de publier) des listes d’exonération pour permettre à certains produits de ne pas être soumis à cette nouvelle politique douanière. Dans cet article, nous regardons essentiellement les listes publiées par les États-Unis car nous voulons mieux comprendre la logique américaine qui sous-tend ces listes douanières, pour ainsi avoir une approche globale de la guerre commerciale qui fait rage entre ces deux pays.
Le délégué américain au commerce a publié huit listes d’exonération s’appliquant aux trois premières tranches, permettant à certains produits d’être exonérés des droits de douane additionnels. Les exclusions sont applicables depuis le 6 juillet 2018 (tranche 1), le 23 août 2018 (tranche 2), et le 24 septembre 2018 (tranche 3), et sont valables durant un an après leur publication au registre fédéral. Malheureusement, les exonérations de la tranche 4 ne sont pas encore applicables, bien qu’elles aient été prévues pour septembre.
Figure 1 - *30% à partir du 1er octobre ; ** HS code – Source : USTR
Les produits sont divisés en catégories douanières à deux chiffres, subdivisées en catégories à 10 chiffres. À première vue, les exclusions concernent de grandes familles de produits. À part trois codes SH portant sur les produits tissés et la métallurgie, les produits sont tous dans les catégories machines (84), machines et appareils électroniques (85), matières plastiques (39), ou produits optiques (90), qui sont les principales catégories d’importations chinoises vers les États-Unis.
Mais il ne faut pas s’y tromper. Si les exclusions concernent de grandes familles de produits, elles représentent en revanche un faible pourcentage des importations. Au total, les huit listes d’exonération englobent 221 codes SH à 10 chiffres, qui représentaient environ 3% des importations américaines venant de la Chine en 2018. Le pourcentage exact peut être légèrement inférieur à l’estimations car dans certains cas, les exonérations ne concernent que certains produits sous un même code SH. Aucun des produits dans les listes d’exonération ne représente à lui seul plus de 1% du total des importations des États-Unis en provenance de Chine, le maximum étant de 0,24%.
Le délégué américain au commerce a identifié trois critères en vue de déterminer si un produit peut bénéficier d’une exonération :
Les deux premiers critères permettent de déterminer si un produit doit être exclu de la liste, et le troisième donne une raison pour ne pas exclure un produit. "Made in China 2025" (MIC 2025) est un plan chinois publié en 2015 prévoyant le développement de l’industrie chinoise sur 10 ans. Ces dernières années, la Chine a sciemment minimisé l’importance de ce plan. Néanmoins, le MIC 2025 est toujours source d’inquiétude pour les États-Unis qui le voient comme une menace pour sa filière industrielle de haute technologie. Ainsi, les produits issus des développements du MIC 2025 ne sauraient bénéficier d’une exonération.
Ces trois critères donnent des informations générales sur les raisons qui ont motivé les listes d’exonération. Mais ils restent vagues. Pour mieux comprendre les critères de sélection, il faut analyser les données commerciales concernant les produits dans les listes d’exonération.
Commençons par la part de produits chinois dans les importations américaines de produits contenus dans listes d’exonération, ce qui se rapporte au premier critère : la disponibilité de fournisseurs alternatifs. La part provenant de Chine pour ces produits varie. Seuls 7 produits des listes d’exonération proviennent de Chine à hauteur de 75% ou plus. Pour 10% des produits des listes d’exonération, à peu près 50% des imports viennent de Chine. Et pour 60% des produits listés, la Chine fournit moins de 25% de tous les imports américains pour ces produits.
Cette variation nous amène à la question suivante : pourquoi est-ce que ces produits, pour lesquels la Chine est un fournisseur de second rang, bénéficient d’une exonération, alors que des fournisseurs alternatifs existent ?
Il y a deux explications possibles. D’abord, bien que la part chinoise des imports soit faible, ces produits mentionnés dans les listes d’exonérations ne sont disponibles que chez des fournisseurs chinois. Comme mentionné ci-dessus, les listes d'exclusion n’exonèrent pas tous les produits couverts par un code SH (10 chiffres), mais plutôt des produits spécifiques englobés par ce code. Ceci correspond au premier critère.
Mais cela peut également être lié au deuxième critère : les conséquences économiques du droit de douane sur l’acheteur ou un autre intérêt américain. Pour mieux comprendre les "autres intérêts américains", nous avons regardé les produits pour lesquels la part des imports chinois est inférieure à 25% pour voir s’il était possible d’identifier des tendances. Pour la plupart, ces produits sont surtout exportés par des entreprises européennes, japonaises, et mexicaines. Plus précisément, plus de la moitié de ces produits proviennent essentiellement de l’UE. Sachant ça, il est possible d’identifier ce que les "autres intérêts américains" peuvent être :
Les États-Unis octroient sûrement des exonérations pour des produits pour lesquels les fournisseurs alternatifs sont plus chers. Ces solutions alternatives rendraient les produits américains plus chers, ayant ainsi un impact négatif sur leur compétitivité. Par exemple, les importations américaines d’un certain type de moteur hydraulique (code SH 8412210045), essentiellement fabriqué par des entreprises européennes, ont baissé de 28% en termes de volume, et augmenté de 21% en termes de valeur entre 2017 et 2018, selon le Bureau américain de recensement.
Il semble que les États-Unis essaient de maintenir un équilibre des échanges avec leurs autres partenaires principaux, comme l’UE ou le Japon, ou de maintenir le contrôle dans leurs rapports avec les pays avec lesquels ils ont des conflits non résolus, comme par exemple les tensions sur la frontière avec le Mexique. Les listes d’exonération montrent que les États-Unis cherchent un équilibre entre leur pouvoir de négociation et leur dépendance envers leurs fournisseurs, en Chine et ailleurs.
Bien qu’ils essaient de minimiser la disruption causée à la supply chain, les États-Unis auront du mal à échapper à des conséquences économiques négatives après l’entrée en vigueur de ces mesures. Ceci sera particulièrement vrai après le 15 décembre, quand les droits de douane chinois imposés à de nombreuses machines et biens automobiles entreront en vigueur. Le gouvernement chinois a en effet publié deux listes de droits de douane. La Liste 1 touche se concentre sur les produits alimentaires et chimiques (applicable à partir du 1er septembre). La liste 2 inclut de la machinerie et des biens automobiles, et sera applicable à partir du 15 décembre. Si on prend le secteur automobile comme exemple, on voit qu’il sera soumis à des droits de douane additionnels de 5% à 25%, imposés par la Chine à partir du 15 décembre.
Concernant le secteur automobile, justement, les dernières représailles chinoises concernent 353 produits (code SH à 8 chiffres) dans la section 87, la section dédiée aux voitures et pièces automobiles, ce qui représente une partie importante des exportations américaines vers la Chine, en termes de valeur et de volume. Bien que ces nouvelles taxes puissent représenter une aubaine pour les fabricants automobiles européens et japonais, il faut noter que les fabricants allemands vont également souffrir des droits de douane imposés aux États-Unis, car ils impacteront également les marques allemandes fabricant aux États-Unis.
Espérons que les tensions diminueront, mais préparons-nous au pire...