En 2019, le marché européen des immatriculations de véhicules industriels de plus de 3,5 tonnes avait enfin renoué avec les niveaux d’avant la crise de 2008, en franchissant la barre des 400 000 unités. "Conformément à ce qui était prévu, il a fallu dix ans pour s’en remettre. Cette décennie commencée dans la douleur se termine par un haut de cycle", constatait alors Jean-Michel Mercier, directeur de l’Observatoire du véhicule industriel (OVI) de BNP Paribas Rental Solutions.
Un an plus tard, une nouvelle crise que personne n’avait anticipé a frappé. La décrue attendue sur le marché européen s’est transformée en véritable plongeon. Sur 12 mois glissants, à fin octobre 2020, les immatriculations affichent un recul de 26,5% à 293 425 unités, retrouvant un niveau proche de 2014. "Toutefois, compte tenu du caractère hors norme de cet exercice, le marché du VI ne s’en sort finalement pas si mal. Le pire a été évité", a estimé Jean-Michel Mercier lors de la présentation de la dernière étude de marché annuelle.
Le segment des véhicules industriels de + de 16t est le plus en souffrance. La situation se révèle également variable selon les pays. Très touchée par la chute du trafic intra-européen, le marché dégringole de 38,2% en Europe de l’Est, avec un total de 45 593 immatriculations, alors que les pays d’Europe de l’Ouest contiennent la baisse à -23,9%.
Source : OVI
"Les situations allemandes, françaises et du Benelux sont assez ressemblantes. Les baisses d’immatriculations en 2020 à fin octobre sont respectivement de 21%, 23% et 28%, ce qui reste un niveau relativement contenu eu égard au contexte avec une fin d’année qui devrait faire de 2020 un exercice très moyen, mais bien meilleur qu’en 2009-2010", relève l’OVI.
À première vue, l’Espagne et l’Italie suivent une tendance similaire avec un recul de 23,6 % chacun. "Mais ils restent très loin des immatriculations qu’ils connaissaient jusqu’en 2008, ce qui illustre les difficultés économiques de ces deux pays. Pour l'Espagne, c'est probablement la vive concurrence avec les pays du centre et de l'est européen sur le trafic international qui est en cause", analyse l’OVI.
Secoué, enfin, par de multiples sources d’incertitudes, avec une situation sanitaire particulièrement catastrophique et l’approche du Brexit, le Royaume-Uni détient la palme du déclin parmi les pays d’Europe de l’Ouest.
En France, alors que le nombre d’immatriculations de véhicules industriels atteignait 42 529 sur 12 mois glissants à fin octobre, il tombe à 41 632 unités sur douze mois glissants à fin novembre, "ce qui le situe au niveau des immatriculations enregistrées en 2015, mais en-dessous de la moyenne des 20 dernières années, à 48 000 immatriculations annuelles", précise l’OVI. Cela représente un repli de 24,6%, beaucoup plus marqué pour les véhicules neufs que pour les véhicules d’occasion.
Le déclin est lié bien sûr à la crise économique engendrée par la pandémie, mais aussi à une érosion attendue après plusieurs années de croissance importante. L’an dernier, dans ses prévisions 2020 établies avant la crise du Covid-19, l’OVI annonçait en effet un recul d’environ 10%.
La chute a plus particulièrement frappé le marché des tracteurs, en repli de 33,4% à 20 652 unités à fin novembre. "La baisse s’est surtout ressentie au premier semestre, avec un recul de 48%, le premier confinement de mars à mai ayant stoppé la plupart des activités logistiques en France. Les cinq mois suivants ont matérialisé un redressement grâce à la reprise des livraisons", détaille l’OVI. Le marché des remorques et semi-remorques a un peu mieux résisté (-18,8 % à 23 329 unités).
Dans le même temps, les porteurs ont reculé de -15,1% sur les onze derniers mois avec 20 980 immatriculations. Il s’agit, selon l’OVI, d’une "bonne performance" compte tenu du contexte. "C’est aussi la première fois depuis 2009 que le nombre de porteurs immatriculés est supérieur à celui des tracteurs, ces derniers étant beaucoup plus sensibles aux variations de l’économie", précise l’OVI.
Comment va se comporter le marché des immatriculations de véhicules industriels en 2021 ? "Beaucoup d’interrogations subsistent", a souligné Jean-Michel Mercier. Le contexte sanitaire risque de provoquer encore un certain temps une alternance de "stop & go" qui ne permet pas d’avoir une grande visibilité sur les possibilités de reprise. D’autre part, les mesures de soutien budgétaire et monétaire de grande ampleur qui ont permis de maintenir l’économie à flot et de limiter le recul de l’investissement en 2020, pourraient s’amenuiser.
Dans le transport routier en particulier, il existe un risque important de défaillances d’entreprises. "Le poids des kilomètres réalisés à vide est une des préoccupations majeures historiques. C’est aussi un point clef relevé dans les dernières enquêtes de la FNTR, avec 38% des entreprises qui enregistrent des kilomètres à vide supplémentaires. La restauration des taux de parcours en charge sera donc une question cruciale". En facilitant la mise en relation de l’offre et de la demande, les plates-formes digitales comme Upply peuvent apporter une aide précieuse dans ce domaine.
Compte tenu des incertitudes qui pèsent sur le secteur, l’OVI prévoit une croissance de +1% en 2021 avec environ 42 000 immatriculations, et un retour à la normale en 2022. Dans le détail, on devrait assister à une légère reprise de +2% du marché tracteur, qui atteindrait ainsi les 21 300 immatriculations, et une stabilité du marché porteur aux alentours de 20 700 unités.
"Si un niveau de reprise plus élevé paraît possible, vers un niveau plus proche des 45 000 unités, les facteurs clefs pour une reprise sensible serait : les achats des grandes flottes notamment en tracteur, la situation sanitaire et le délai de rebond des commandes début 2021, fonction de l’évolution de la crise sanitaire", conclut l’OVI.