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L’Italie, économie essentielle mais fragile de la zone euro

Rédigé par Ariel F. Dumont | 11 avril 2024

DOSSIER 1/5. L’Italie est une puissance économique importante en Europe, dotée de vrais secteurs d’excellence. Mais le pays doit conduire des réformes structurelles.

Avec un PIB de 2128 milliards d'euros en 2023, selon les derniers chiffres de l’Institut national italien de la statistique (ISTAT), l’Italie se situe au 3è rang des puissances économiques européennes, derrière la France et l’Allemagne, et devant l’Espagne. Elle représente 12% du PIB européen, et se situe en 10ème position classement des économies mondiales. Le PIB par habitant (PPA) a été estimé à 54 259 USD par le FMI en 2022, un peu en-dessous de la moyenne de l'UE-27 (56 970 USD). Le pays est donc un acteur économique de premier plan mais non sans fragilités, avec notamment un taux d’endettement explosif et une économie souterraine très présente.

Une certaine instabilité politique

En Europe, l’Italie se distingue aussi par son instabilité politique, qui mine la crédibilité du pays et fait fuir les investisseurs. Malgré son poids dans l’économie européenne globale, le pays a toujours été considéré comme un grain de sable susceptible de se glisser dans les rouages de la zone euro et de provoquer une véritable catastrophe. C’est d’ailleurs pour éviter un tel scénario que Silvio Berlusconi a été contraint de rendre son tablier en 2011, après avoir mené l’Italie à deux doigts de la faillite. Un gouvernement de technocrates avait alors été nommé dans la foulée, avec pour objectif le redressement des comptes.

Ce processus est passé par une réforme en profondeur du système des retraites, des coupes importantes dans les dépenses publiques et des mesures contre l’évasion fiscale. Ces mesures ont entraîné un redémarrage de la croissance à partir de 2015, mais ce processus a été brutalement interrompu par la pandémie de Covid-19 qui a de nouveau fait chuter le PIB italien de -9%, avant un rebond de 8,3% en 2021.

Des chiffres pas toujours rassurants

En 2023, le taux de croissance du PIB italien a ralenti pour atteindre +0,7%, contre +3,9% en 2022. L’économie italienne a en particulier subi l’effet de la réduction des mesures de rénovation énergétique qui avaient fortement soutenu le secteur de la construction. Elle a pâti aussi, comme toutes les économies européennes, du resserrement monétaire. L’activité a ensuite connu "une reprise modérée au deuxième semestre 2023, grâce au redressement du commerce extérieur et à la progression de la consommation des ménages", précise une note d’analyse de la direction générale française du Trésor.

Avec cette croissance de +0,7%, l’Italie a réalisé une performance supérieure à la moyenne de la zone Euro (+0,4%) en 2023. En revanche, pour 2024, la prévision de croissance a été revue à la baisse. Elle est passée à 0,7%, soit un demi-point de moins que le chiffre sur lequel le gouvernement d’extrême droite de Giorgia Meloni avait construit son budget en décembre dernier. Selon les données de la Commission européenne, ce pourcentage se traduit par un trou de 10 milliards d’euros qu’il faudrait combler.

Autre point faible majeur de l’Italie : le déficit public de l’Italie s’élève à 7,2% du PIB et le ratio dette publique/PIB atteint 137,3%, c’est-à-dire le niveau le plus élevé après la Grèce. Cependant, ces résultats de 2023 marquent une amélioration par rapport à 2022, où le déficit public représentait 8,6% du PIB et où le ratio dette publique/PIB s’établissait à 140,5%.

Par ailleurs, la démographie de l’Italie se révèle préoccupante. La population est estimée à quelques 58.8 millions d’habitants au 31 décembre 2023, mais près d'un quart est âgé de plus de 65 ans, ce qui fait de l’Italie le pays le plus vieillissant de l’Union européenne. A titre de comparaison, cet indicateur est en moyenne de 21% dans l'Union européenne.

Une puissance industrielle significative

L’Italie est la deuxième plus grande puissance manufacturière d'Europe et la septième au monde. Le secteur manufacturier représente à lui seul 15% du PIB selon la Banque mondiale. L’industrie nationale a toutefois enregistré un ralentissement l’an dernier avec une baisse de la production de 2,5%, note l’Institut des statistiques (ISTAT), notamment dans le secteur de l’énergie (-7,3%) et des biens de consommation (-3,5%) en raison de la diminution de la production de biens durables (-6,1%). En revanche, la production des biens d’équipements a bondi de 3,5% toujours en 2023. Autres notes positives : la hausse importante de la fabrication de coke et de produits pétroliers raffinés (+6%).

Les activités industrielles de l’Italie sont concentrées dans la partie nord du pays notamment dans le Piémont, la Lombardie et la Vénétie. L’Italie est le premier producteur européen de chaussures et le principal exportateur mondial de produits de luxe comme l’habillement. Le pays se distingue aussi dans la fabrication de machines de précision, l’automobile, l’industrie chimique et surtout pharmaceutique, l’un des piliers essentiels de l’économie italienne selon la Fédération des industries pharmaceutiques (Farmindustria) qui estime la valeur de la production à 50 milliards d’euros en 2023.

Un secteur touristique puissant

Après une période de vaches maigres dues à la pandémie de coronavirus, le tourisme a finalement relevé la tête. Selon l’ISTAT, il représente aujourd’hui, avec ses activités connexes, 6% de la valeur ajoutée de l’économie. L’Italie est incontestablement une destination qui séduit. Aux 5 millions de touristes nationaux se sont ajoutés en 2023 quelque 12,7 millions d’étrangers, venus parcourir le "Bel Paese" (le beau pays selon le mot du poète Dante). Si le secteur de l’hôtellerie tient la route avec 8,7 millions de nuitées supplémentaires par rapport à l’année précédente, les agritourismes et les B&B ont également le vent poupe avec 3,6 millions de visiteurs en plus.

Une agriculture en demi-teinte

Le secteur agricole représente 1,8% du PIB italien et 14% de la production européenne. Près de 4% de la population active travaille dans le secteur primaire mais l’Italie qui manque de main d’œuvre dans certaines branches comme la production de tomates par exemple, qui emploie des travailleurs immigrés, souvent en situation illégale. Selon le ministère de l’Agriculture et de la souveraineté alimentaire italien, 1,3 million d’exploitations agricoles, dont près de la moitié avec une faible production, sont disséminées sur quelques 12,8 millions d'hectares de terres agricoles.

L’Italie est le plus grand producteur européen de riz, de fruits, de légumes et de vin. Les points forts : les céréales comme le blé, le maïs, l'orge, le riz notamment dans le Piémont et l'avoine très présente dans les Pouilles, la Basilicate (sud) et le Latium. Pour la première fois depuis 9 ans, l’Italie a cédé sa médaille d’or de producteur mondial de vin à la France, mais elle participe à hauteur de 37% au volume européen. En revanche, elle est le premier producteur de tabac brut sur le marché européen avec l’équivalent de 50.000 tonnes par an qui représentent 27% du volume européen. L'Italie se situe enfin au 2è rang européen derrière l'Espagne pour la production d’huile d’olive en Europe, avec une part d'environ 20% prévue pour la campagne 2023/2024 selon les chiffres du Conseil oléicole international.

Le pays est pénalisé par des faiblesses structurelles importantes comme le manque de jeunes entrepreneurs (9% contre une moyenne européenne de 12%) et le manque de formation des petits patrons qui dirigent les exploitations agricoles. Le pays est aussi tributaire des importations de matières premières utilisées dans la production agricole car les ressources naturelles du pays sont limitées. L’an dernier par exemple, les importations de céréales, graines oléagineuses et farines protéinées, ont augmenté de 1,1 million de tonnes en volumes (+6,2%) et de 169,4 millions d’euros en valeur (+2,2%) par rapport à l’année précédente. Pénalisée par les changements climatiques qui ont perturbé sa production agricole, l’Italie a été dépassée par l’Allemagne et occupe désormais la 3è place à l’échelle européenne.

Les échanges commerciaux

En matière de commerce extérieur, l’Italie a réalisé une année 2023 satisfaisante, puisqu’elle a dégagé un excédent de 34,5 milliards d’euros (Md€), contre un déficit de 41 Md€ l’année précédente. L’amélioration de la balance commerciale s’explique par une baisse des importations (-17,6%), alors que les exportations ont quasiment stagné (+0,6%). En volumes, les exportations ont diminué de 5,1% en 2023 par rapport à l’année précédente, et les importations de -1,5%.

Les exportations italiennes, exprimées en valeur, ont atteint 626,2 Md€. Cela s’explique par un ralentissement de la demande internationale et une baisse des prix à la production liée à une accalmie sur les prix des matières premières après une période de surchauffe. Par rapport à 2019, la hausse des exportations est estimée à 30,4%.

"L'économie italienne s'avère solide même dans un contexte international très difficile. Je pense tout d'abord aux difficultés de notre principal partenaire économique, l'Allemagne, qui ont un effet direct sur la contraction de nos exportations bilatérales", a commenté Le ministre des Affaires étrangères Antonio Tajani. L’Allemagne reste de loin le premier partenaire de l’Italie avec 74,6 Md€ d’exportations en 2023 (-3,6%), mais sa part a diminué, passant de 12,4% en 2022 à 11,9% en 2023. Les principaux partenaires sont ensuite les États-Unis (67,3 Md€, +3,4%) et la France (63,4 Md€, +0,4%), suivis de l’Espagne (32,9 Md€, +2,1%) et de la Suisse (30,5 Md€, -1,7%).

"Sur le plan géographique, face au ralentissement des marchés européens, les pays non européens ont connu une forte augmentation : Chine (+16,8%), pays de l'OPEP (+12,3%), Océanie et autres territoires (+11,9%), Inde (+7,6%), Turquie (+6,4%), Moyen-Orient (+5,4%), pays de l'ASEAN (+5,3%), pays du Mercosur (+4,7%) et États-Unis (+3,4%)", souligne le ministère des Affaires étrangères dans un communiqué. Avec une part de 51,6% dans les exportations italiennes, l’Union européenne perd 1,2 point par rapport à 2022, tout en restant le débouché dominant.

Source des données : Istat

En termes de secteurs, les produits manufacturiers dominent très largement les exportations puisqu’ils représentent 95% de la valeur totale. En 2023, les exportations ont en particulier été stimulées par les ventes de machines et d'équipements (101,1 Md€, +8,8%), de produits pharmaceutiques (49,1 Md€, +3,0%), de véhicules (45,8 Md€, +15,0%) et de produits alimentaires, de boissons et de tabac (+5,8%). La Lombardie arrive très largement en tête des régions exportatrices (163,2 Md€), suivie par l’Émilie-Romagne (85,1 Md€), la Vénétie (81,9 Md€), le Piémont (64,9 Md€) et la Toscane (57,6 Md€).

Les importations en valeur se sont quant à elles contractées de 10,4%, à 591,5 Md€, principalement en raison de la diminution des prix de l’énergie. Les importations en provenance de l’Union européenne ne se replient que de 0,4% à 337,2 Md€, alors qu’elles chutent de 20,9% avec les pays hors UE, atteignant ainsi 254,5 Md€. Les principaux produits importés en 2023 ont été les véhicules automobiles (6,8% des produits importés en 2023, en hausse de 40,6% par rapport à 2022), les produits chimiques (6,2%) et le pétrole brut (6%).

Source des données : Istat

L’Allemagne reste donc globalement le premier partenaire commercial de l’Italie en 2023 (11,4% du total, -0,12 pts par rapport à 2022), devant la France (7,6% du total, -0,13 pts), les États-Unis (6,2%, -0,11 points) et la Chine (4,6%, -0,19 pts). Selon évaluation de la Direction du Trésor basée sur les données des Douanes françaises, la France a dégagé un excédent commercial pour la 2è année consécutive de 0,5 Md€ en 2023, alors qu’elle accusait avec l’Italie un déficit commercial avant 2021. Cependant, hors énergie, la France a enregistré un déficit commercial de -9 Md€ en 2023, proche de celui enregistré en 2022 (-10 Md€), précise une note de la Direction du Trésor publiée en mars 2024.

Avant l’invasion de l’Ukraine, un peu plus de 40% des importations italiennes de gaz, soit environ 30 milliards de mètres cubes, venaient de Russie. Pour réduire sa dépendance, l’Italie a démarché l’Afrique. Aujourd’hui, l'Algérie, qui lui livrait avant la guerre en Ukraine un peu de 20 % de son gaz, est devenue le premier fournisseur de gaz des Italiens. L’idée de Giorgia Meloni, la cheffe du gouvernement italien qui suit la ligne adoptée par son prédécesseur Mario Draghi, est de renforcer les relations avec notamment la Libye et l’Éthiopie avec l’aide de l’Eni, l’institut national des hydrocarbures créé en 1953.

Faiblesses et perspectives

Pour relancer pleinement l’économie italienne à l’échelle nationale, le gouvernement doit s’attaquer à un problème crucial : la fracture entre le nord et le sud du pays. L’écart est toujours présent entre les régions du nord du pays, dotées d’un réseau de PME performantes et structurées, et celles du sud touchées par le chômage, le manque de perspectives, l’incapacité de lancer des réformes structurelles et d’utiliser les fonds ponctuellement débloqués par Bruxelles. Le réseau de petites et moyennes entreprises est l’une des grandes spécificités italiennes. Les entreprises de moins de 250 salariés et réalisant un chiffre d’affaires annuel de moins de 50 millions d’euros constitue un moteur important de l’économie. Environ 90% des entreprises ont moins de 20 salariés et seulement 1% plus de 250. Ces dernières génèrent 38% du PIB italien.

Pour stimuler la croissance, l’Italie compte sur les fonds alloués dans le cadre du coup plan national de relance et de résilience (PNRR) européen, soit 191,5 milliards d’euros initialement prévus. Mais le déblocage de cette enveloppe a été lié à la mise en place de réformes importantes, notamment au niveau des infrastructures, de la santé, du trafic ferroviaire à grande vitesse et de la transition écologique. Depuis son arrivée à la barre du gouvernement italien en octobre 2022, Giorgia Meloni s’est attelée à renégocier le plan de relance avec Bruxelles, constatant "des retards irattrapables" dans les projets qui conditionnaient l’octroi des fonds. Après plusieurs mois de négociations tendues, la Commission européenne a finalement donné son accord au nouveau plan pour la reprise et la résilience modifié de l'Italie, qui comprend un chapitre REPowerEU. Le plan est désormais doté d'une enveloppe de 194,4 milliards d'euros (122,6 milliards d'euros sous forme de prêts et 71,8 milliards d'euros sous forme de subventions) et couvre 66 réformes, soit sept de plus que le plan initial, et 150 investissements. "Le plan modifié met fortement l'accent sur la transition écologique, en allouant 39 % des fonds disponibles à des mesures qui soutiennent les objectifs climatiques (ce qui est supérieur aux 37,5 % du plan initial) ", souligne la Commission européenne.

Selon un état des lieux publié par le Parlement européen en mars 2024, l'Italie a jusqu'à présent reçu 52,7% des ressources (102,5 milliards d'euros de préfinancement et quatre paiements pour des subventions et des prêts), soit un niveau bien supérieur de la moyenne de l'UE (34,5 %). Six versements supplémentaires chacun, sous forme de subventions et de prêts, dépendront des nouveaux progrès dans la mise en œuvre du plan. "Fin 2023, l'Italie avait dépensé 43 milliards d'euros, soit 22% des ressources de l'UE disponibles pour son NRRP, ce qui suggère l'importance de la période allant jusqu'en août 2026 pour la mise en œuvre complète, notamment de ses mesures d'investissement", remarque le Parlement. L’OCDE insiste pour la part sur la nécessité d’un "ajustement budgétaire durable pendant un certain nombre d’années afin de placer le ratio d’endettement sur une trajectoire plus prudente, de faire face aux futurs coûts et de se conformer aux règles budgétaires proposées par l’UE". L’organisation souligne que cela passe par "des mesures décisives pour s’attaquer à la fraude fiscale, limiter la croissance des dépenses de retraite et engager des examens de dépenses ambitieux. La mise en œuvre intégrale des programmes d’investissement public et des réformes structurelles prévus par le plan national pour la reprise et la résilience pourrait accroître durablement le PIB de l’Italie, ce qui présenterait l’avantage supplémentaire de contribuer à faire baisser le ratio dette/PIB".

L’Italie a donc une fenêtre de tir très intéressante pour moderniser son économie. Il reste à souhaiter que les querelles politiques dont elle a le secret ne viennent pas entraver cette opportunité.