Analyse Transport & Logistique

La rentabilité des compagnies maritimes en 2025

31 mars 2025

Après un exercice 2024 qui a permis aux compagnies maritimes de dégager des bénéfices inespérés, l’année 2025 s’annonce plus délicate.

Les compagnies maritimes vont-elles gagner de l’argent ? Chaque année depuis 5 ans, Upply se livre à un exercice prospectif sur la rentabilité potentielle pour l'exercice en cours. Jusqu’à présent, nos estimations ont plutôt été confortées par la réalité constatée à terme, soit avec 10 mois de décalage, a minima en ce qui concerne les grandes tendances.

Ressortons donc notre boule de cristal pour 2025 et surtout, essayons de sérier ensemble les facteurs de probabilité susceptibles d’influencer les tendances, en distinguant certains paramètres stables qui font consensus d’autres paramètres plus instables pouvant apporter des tensions sur le marché ou au contraire le détendre.

1/ Les paramètres relativement stables

  • Offre de transport

La surcapacité est structurelle dans le secteur du transport maritime conteneurisé, même si le passage temporaire par la route du cap de Bonne-Espérance en absorbe ponctuellement une bonne partie. Le marché s’accorde à dire qu’il s’agit d’une véritable bombe à retardement, et les compagnies maritimes préparent des scénarios pour tenter d’atténuer le choc que constituera le retour via le canal de Suez.

  • Coûts d’exploitation

Les coûts d’exploitation des compagnies maritimes ont augmenté d’environ 1500 USD/FEU depuis le déclenchement des hostilités en mer Rouge. Or cette augmentation de charges, qui n’est que partiellement répercutées dans les comptes, va perdurer. Il faut donc se méfier des projections financières qui seraient basées sur des matrices de charges trop anciennes, donc sous-évaluées.

  • Concurrence

De nouvelles alliances maritimes basées sur des nouveaux formats se sont lancées début 2025, ce qui devrait stimuler la concurrence dans une optique de conquête de nouvelles parts de marché.

  • Contexte économique

Le contexte économique reste fragile, avec une croissance molle en Europe et une consommation des ménages globalement mal orientée pour 2025 en raison des forts risques d’inflation sur les ventes au détail américaines.

  • Stratégie environnementale

La volatilité et les incertitudes en matière de taux de fret font passer au second plan l’urgence environnementale et climatique dans les matrices de décision. 

  • Accès à l’énergie

Même en cas de blocus d’Ormuz ou de nouveaux aléas sur la flotte fantôme russe, l’accès aux énergies fossiles ne devrait pas poser de problème, car le continent américain, et notamment les États-Unis, garantiront un niveau de production suffisant. 

2/ Les paramètres plus incertains

  • Demande de transport

La nouvelle administration américaine est déterminée à augmenter largement les droits de douane à l’entrée des États-Unis, ce qui ne peut que freiner les volumes d’importation, en tout cas dans un premier temps. Si cette politique s’installe dans la durée, la perte pourrait être d’autant plus significative que les pays concernés vont également riposter.

  • Transformation des flottes de navires

MSC a retiré ponctuellement ses plus grands navires des liaisons entre l’Asie et l’Europe du Nord, au profit de navires d’environ 15 000 EVP. Le leader du marché sera-t-il suivi par ses homologues ? Même si ce réalisme semble pertinent, la question du devenir des méga porte-conteneurs reste un boulet pour le secteur.

  • Taxation des navires/opérateurs chinois par les États-Unis

Suite à une investigation lancée sous l’administration Biden, qui a conclu à "l’existence d’actes, politiques et pratiques de la Chine visant à dominer les secteurs du transport maritime, de la logistique et de la construction navale", l’administration américaine du Commerce (USTR, United States Trade Representative) vient de proposer des mesures qui consisteraient à taxer les navires construits en Chine escalant dans les ports américains mais aussi les opérateurs de navires dès lors qu’ils comptent au moins un navire construit en Chine dans leur flotte, ou en commande. Une taxe de 1 million de dollars par escale serait par ailleurs imposée aux exploitants de navires basés en Chine, y compris Cosco.

L'USTR mène actuellement une consultation sur ce projet. Les premières projections estiment que les surcoûts oscilleraient entre 1000 et 2000 USD par conteneur 40’ entrant aux États-Unis, auxquels s’ajouteraient des effets de concentration sur les plus gros ports avec à la clé de sérieux risques de congestion. Un tel système de taxation pourrait venir nourrir encore un peu plus l’inflation sur les prix de détail déjà alimentée par l’augmentation des droits de douane.

  • Ampleur des évolutions réglementaires

Aux États-Unis, les acteurs économiques vont devoir composer avec un environnement réglementaire instable, susceptible de changer rapidement dans un sens ou dans l’autre. La stratégie en matière de droits de douane, faite d’annonces et de reports, en apporte une illustration, tout comme le dossier de la taxation des navires et opérateurs chinois. Il n’est pas exclu que d’autres thématiques ayant potentiellement des répercussions sur le transport maritime conteneurisé émergent. En Europe, la stratégie des compagnies maritimes devrait être suivie de près, alors que prend effet la fin du régime dérogatoire dont bénéficiaient les compagnies maritimes de lignes régulières en matière de concurrence.

  • Contexte géopolitique

Les conflits internationaux et les tensions géopolitiques persistent sur de multiples fronts (Russie-Ukraine, Moyen-Orient, mer de Chine). L’incertitude porte sur une éventuelle extension des points chauds ou sur un éventuel embrasement des conflits existants. Les déclarations de Donald Trump depuis son arrivée la présidence des États-Unis, et notamment ses velléités de conquête territoriale, ont relancé les interrogations sur l’attitude que pourraient adopter les États-Unis en cas d’invasion de Taïwan par la Chine. À ce stade, il semble peu probable que l’Occident fasse bloc pour voler au secours de Taïwan.

  • La réindustrialisation des États-Unis

L’un des objectifs de l’augmentation des droits de douane est d’inciter les producteurs et les industriels à relocaliser aux États-Unis, ce qui suppose de reconstituer et former un vivier de main d’œuvre qui, de fait, n’existe quasiment plus. Cela prendra nécessairement du temps, et ce n’est donc pas dans l’année qui vient que ce mouvement, s’il réussit, se traduira par une transformation substantielle des flux.

Conclusion

Compte tenu de l’ensemble de ces paramètres, il apparaît difficile pour les compagnies maritimes de recréer l’exploit financier inattendu de 2024. Un exploit qui tient essentiellement à la situation créée par les attaques des Houthis en mer Rouge. En désorganisant les activités et en contraignant les compagnies à contourner l’Afrique par le cap de Bonne-Espérance, ce qui a renchéri les coûts, ces attaques ont conduit à une hausse des taux de fret au moment où ceux-ci commençaient à flirter dangereusement avec le seuil de l’équilibre d’exploitation. L’exercice 2024 a ainsi été sauvé, au-delà des espérances des compagnies maritimes elles-mêmes.

La situation en mer Rouge n’est pas réglée, loin de là. Mais les effets de sidération sont passés, les nouvelles routes sont rodées, et bien que de nouvelles tensions dans cette zone soient probables en 2025, elles n’auront pas un impact similaire sur les taux de fret.

Le retour d’une concurrence accrue et l’affaiblissement des volumes à transporter sur les liaisons Est/Ouest sont en revanche très probables à ce stade. Sauf retrait massif et général des méga porte-conteneurs, les marges des compagnies maritimes devraient donc diminuer.

Sur la base de ce constat, nous estimons que les résultats des compagnies maritimes en 2025 devraient péniblement atteindre l’équilibre, dans l’hypothèse d’une poursuite des opérations via le cap de Bonne-Espérance. En cas de retour massif des flux via le canal de Suez au deuxième semestre, les compagnies qui maîtrisent le moins bien leurs charges pourraient se retrouver dans le rouge dès cette année.

Les gagnants de 2025 pourraient bien être les compagnies les plus actives dans la région indo-pacifique, sur un segment de marché où elles exploitent des unités plus petites (moins de 10 000 EVP). C’est clairement là que les compagnies maritimes vont devoir trouver leur "trésor de guerre" cette année, et non sur les "autoroutes" est-ouest, bien trop fréquentées. Alors en 2025, "small is beautiful" ? C’est selon moi le scénario qui tient la corde à ce stade.

Inscrivez-vous à la Newsletter


Expert du transport maritime depuis 25 ans, Jérôme met toute sa connaissance du secteur au profit d'Upply. Capitaine de navire dans l'âme, il est également l'auteur du Lexique anglais-français du transport maritime conteneurisé (Paris : CELSE, 2001).
Découvrir tous ses articles