Lors d’un article précédent consacrés aux TMS, socles de la digitalisation du transport, nous avions rappelé les 4 piliers essentiels pour qualifier la transformation digitale, selon Inboud Value :
Ces avancées technologiques ont créé chez les consommateurs des attentes et des besoins nouveaux, qui se répercutent désormais sur le monde de la supply chain.
Au bout de la chaîne, le consommateur attend des frais de transports minimes, des retours gratuits, des livraisons toujours plus rapides, une information en temps réel et précise, disponible sur smartphone, tablette ou autre…
Surplombant la chaîne, le législateur européen estime que la digitalisation du transport et de la logistique permet "la coopération entre les acteurs de la Supply Chain, une meilleure visibilité, la gestion en temps réel des flux de trafic et de fret, la simplification et la réduction des charges administratives, et crée les conditions d’une meilleure utilisation des infrastructures et des ressources, augmentant ainsi l'efficacité et abaissant les coûts". En résumé, la transformation digitale doit créer de la valeur, ouvrir de nouvelles opportunités commerciales et réduire l’empreinte carbone du transport.
Il y a donc une alliance objective entre le consommateur, le politique et le fournisseur de technologie pour que la transformation digitale se fasse. Le mouvement est désormais irréversible, mais encore très diversement pris en compte par les acteurs du marché. Nous avons choisi dans cet article de mettre en exergue des exemples emblématiques de la transformation en cours, avant d’évoquer des initiatives marquantes venues des opérateurs historiques du transport et de la logistique.
L’émergence de plates-formes numériques dans le secteur du transport et de la logistique constitue évidemment un des marqueurs majeurs de la révolution digitale. L’une des pionnières, devenue aussi l’une des plus célèbres, a même donné son nom à un phénomène que le dictionnaire Le Petit Robert définit ainsi : "Ubériser : déstabiliser et transformer avec un modèle économique innovant tirant parti des nouvelles technologies".
Évidemment, le digital aime s’inviter dans des secteurs peuplés d’intermédiaires où les méthodes et les technologies ont peu évolué durant ces dernières décennies. En 2018, justement, deux anciens d’Uber ont décidé de s’attaquer au métier de commissionnaire en fondant la société Beacon, qui revendique une place dans l’organisation logistique mais aussi le financement du commerce CEO et co-fondateur l’entreprise, Fraser Robinson constate que "le modèle traditionnel du transitaire reste étonnamment analogique, utilisant des systèmes et des processus qui sont lents et inefficaces, avec des prix opaques et une utilisation limitée de la technologie". La feuille de route est la suivante : "La numérisation s'accélérant à l'échelle mondiale du fait de COVID-19, nous pensons que l'avenir du transitaire traditionnel est plus précaire que jamais. Les expéditeurs recherchent des produits et services axés sur la technologie qui répondront plus efficacement à leurs besoins, amélioreront leur expérience et réduiront leurs coûts. Nous sommes impatients de répondre à cette demande." En France, à une moindre échelle, on peut citer également le cas d’Ovrsea, un commissionnaire de transport aérien et maritime digital qui se fraie un chemin sur le marché, y compris auprès de grands comptes.
Les nouveaux entrants, incarnés par des start-ups, ont donc pour certains l’ambition de proposer une alternative au marché traditionnel. Mais beaucoup se développent aussi en apportant des solutions digitales à des acteurs historiques, qui, quoi qu’on en dise, ont fait la preuve de leur efficacité. Il s’agit alors de s’attaquer aux sources d’inefficacité ou de dysfonctionnement avec une précision chirurgicale, ce qui exige de savoir mettre autour de la table des experts du digital, mais aussi de fins connaisseurs du marché. C’est précisément sur cet axe que se développe notre plate-forme Upply, lancée en novembre 2018. S’appuyant sur la Data Science et l’expertise métier, Upply apporte aux professionnels du secteur une vision instantanée des prix de transport routier, maritime et aérien à l'échelle mondiale. L’ambition de l’entreprise est également de reconnecter l’offre et la demande de fret, avec dans une première phase le lancement d’une place de marché permettant de mettre en relation chargeurs et transporteurs routiers. Il ne s’agit pas ici de se substituer à des acteurs existants, mais au contraire de les accompagner dans leur digitalisation.
La caractéristique partagée par les plateformes est bien d’apporter de la valeur ajoutée grâce à une ou plusieurs technologies, de gérer beaucoup de données et très peu d’actifs. Cela constitue un modèle d’exploitation à part entière. Toutes ces entreprises constituent un segment du marché du transport qui devrait décoller au cours des prochaines années. Dans le transport routier, par exemple, Frost & Sullivan estime que le marché qu’il définit comme "Truck as a service" (TaaS) devrait atteindre 79,4 milliards de dollars en 2025 aux États-Unis, contre 11,2 milliards actuellement.
Le potentiel du digital ne concerne pas seulement les 3 et 4 PL. De réelles opportunités apparaissent également pour les gestionnaires d’actifs, qu’il s’agisse d’entrepôts ou de moyens de transport.
En matière d’immobilier logistique, l’explosion du e-commerce est extrêmement prometteuse. Dans un livre blanc intitulé "Future of Tech Economy", paru en juin 2020, UBS estime que le loyer des entrepôts n'est plus le principal moteur de décision. Dans ce document, Prologis, le plus grand propriétaire d’entrepôts logistiques au monde (1,7% du PIB mondial transitent chaque année par les entrepôts Prologis), indique notamment que les ventes en ligne nécessiteront trois fois plus d’entrepôts que l’économie traditionnelle. En conséquence, l'entreposage est devenu un secteur plutôt stable, à croissance régulière, et donc générateur de dividendes à long terme.
Autre tendance de fond, qui accompagne la montée en puissance des volumes : l'automatisation des entrepôts devrait passer en 5 ans de 41% à 55%. Cela aura deux conséquences majeures : d’une part la captivité client devrait être amplifiée et d’autre part la production de données devrait croître substantiellement. Sineesh Keshav, directeur Technologie Prologis souligne d’ailleurs que Prologis peut utiliser ces données pour aider les clients à rationaliser leurs opérations. Il imagine même un avenir dans lequel l’opérateur pourra utiliser sa dimension et ses informations pour influencer les décisions et les stratégies de l’économie mondiale.
La nouvelle donne technologique pourrait aussi transformer les fabricants de matériel roulant en véritables gestionnaires d’actifs. C’est en tout cas une réorientation de business model à laquelle beaucoup réfléchissent sérieusement. Comme nous l’indiquions il y a quelques mois dans un article consacré aux nouvelles solutions énergétiques, un nouvel entrant comme Nikola veut ainsi fabriquer des camions à pile à hydrogène puis les louer pendant 7 ans, entretien et carburant hydrogène compris.
Le constructeur MAN confirme également que les services numériques apporteront des changements durables dans les années à venir. Une étude réalisée par le cabinet de conseil en gestion McKinsey indique que 80% de tous les véhicules commerciaux seront mis en réseau d'ici 2030, avec à la clef un grand potentiel pour l’émergence de services numériques supplémentaires. Une nouvelle salutaire pour les constructeurs : alors que leur cœur de métier classique, la vente de camions et d'autobus, aura tendance à afficher une faible croissance au cours des prochaines années, la fourniture de services devrait être décuplée, une étude récente de la société de conseil Boston Consulting Group.
Que l’on soit propriétaire immobilier ou bien producteur / loueur de véhicule, il y a bien un business model commun qui consiste à gérer beaucoup d’actifs, mais aussi à valoriser la data en l’utilisant pour proposer de nouveaux services permettant de fidéliser les clients.
Le potentiel du digital s’exprime aussi bien sûr, chez le chargeur lui-même. La performance de la supply chain repose depuis longtemps sur un échange d'informations efficace permettant d’éviter les frictions opérationnelles. Mais la volatilité de l’économie, les changements réglementaires, le développement des marchés émergents et les bouleversements écologiques sont autant d’éléments qui nécessitent une agilité accrue pour maintenir une supply chain efficace. Les chargeurs exigent donc une totale visibilité et des données en temps réel sur le déroulement des transports de marchandises. Dans ce domaine, les marges de progression sont énormes, et le recours aux nouvelles technologies digitales constitue un élément décisif pour atteindre le niveau d’excellence requis par les clients.
Un véritable écosystème digital est en train de se construire autour d’un environnement supply chain connectant les achats de matières premières, le transport, la logistique, la documentation, les douanes, le calcul de l’empreinte carbone... L’exemple de la transformation amorcée par le géant mondial Unilever est à ce titre édifiant. Comme d’autres secteurs, le marché traditionnel des produits de grande consommation est bousculé par la digitalisation, qui transforme l’expérience client. La technologie permet un engagement direct entre les consommateurs et les fabricants, une personnalisation accrue, une production proche du client et un marketing de précision.
Pour accompagner ces tendances, Unilever développe un concept de supply chain connectée. "Nous devons nous éloigner d'une chaîne d'approvisionnement linéaire pour aller vers un cercle d'approvisionnement dans lequel Unilever est un hub digital au centre du dispositif. Les silos fonctionnels traditionnels tels que les ventes, la R&D, le marketing et la supply chain sont remplacés par trois processus primordiaux : création de la demande, satisfaction de la demande et innovation", décrit Marc Engel, directeur Supply Chain d’Unilever, dans les colonnes du magazine digital Supply Chain Movement.
Plusieurs projets numériques sont aujourd’hui en cours, et notamment. :
Le recentrage de l’écosystème autour du chargeur amène une nouvelle approche de la donnée, qui délivre pleinement sa valeur à travers le partage. Cela crée l’opportunité de nouveaux services numériques qui s’adressent à tout l’environnement de l’entreprise : clients, fournisseurs et pairs.
Qu’en est-il des transporteurs, et plus spécifiquement des transporteurs routiers, dans cette tornade numérique ? La fragmentation du marché ne facilite pas la réponse aux initiatives déclenchées par les différents acteurs que nous venons d’évoquer.
Pourtant, la digitalisation de la gestion des entreprises de transport répond à leur besoin d'améliorer la productivité, la sécurité et la rentabilité des opérations. Les solutions numériques visant à mieux exploiter les données grâce à des outils connectés couvrent maintenant toutes les activités du transporteur : de la gestion des temps de conduite, à la prévision des actions de maintenance du camion et des pneumatiques, en passant par la gestion administrative, l'organisation des tournées, la géolocalisation des camions, la lettre de voiture électronique, la recherche de fret ou le benchmark des prix.
S’ils n’accélèrent pas leur transformation digitale, transporteurs et logisticiens s’exposent à un fort risque de dépréciation de leur rôle. Faute de s’intégrer dans les écosystèmes numériques et de maîtriser le partage de leurs données, ils pourraient devenir des fournisseurs de deuxième rang, privés du contact direct avec les chargeurs, coupés des voies de commercialisation des nouveaux services, et dépendant des autres acteurs.
Reprendre la main sur les données, c’est capter, enregistrer, organiser les datas issues des clients, des systèmes, des chauffeurs, des camions, des remorques, mais surtout savoir les partager pour rendre un meilleur service au client final. C’est apprivoiser les nouvelles technologies pour envisager de nouvelles optimisations et de nouveaux services.
Les grands commissionnaires de transport ont déjà commencé à bouger. De nombreuses initiatives ont vu le jour. Ainsi XPO Logistics a mis en place un portail cloud collaboratif d'échange d'informations entre ses clients expéditeurs et ses prestataires de transport. Ce portail permet d'optimiser les flux et les coûts de transport de marchandises et de prévoir les besoins futurs de transport en combinant des outils de machine learning et d'analyse prédictive.
Aux États-Unis, le transporteur JB Hunt a créé un réseau de transport via son portail Carrier 360 conçu pour rendre la technologie accessible aux petits transporteurs. Ces derniers peuvent se connecter automatiquement à des milliers de clients potentiels plutôt que d'essayer de capturer manuellement les envois un par un par téléphone ou par e-mail. Et JB Hunt a dévoilé son nouveau portail Shipper 360 qui permet aux expéditeurs d'accéder à plusieurs modes de transport terrestre ainsi qu'à des informations sur les performances des transporteurs.
Les nouvelles technologies ouvrent des champs infinis pour l’innovation. Notre petit tour d’horizon n’a pas la prétention d’en faire un inventaire exhaustif, mais plutôt de permettre d’en mesurer l’étendue ! Ainsi la réalité augmentée est en phase d’utilisation pour les jeunes apprentis aux métiers de techniciens dans les flottes de camions aux États-Unis. Dans un premier temps, l’application a un but de séduction pour dépoussiérer l’image ternie du réparateur de camion roulant au diesel. Et dans un second temps, l’application permet aux techniciens d'accéder aux procédures et aux méthodes de dépannage sur leurs téléphones mobiles en visualisant directement la pièce incriminée. Le produit appelé Augmentor a même été conçu pour permettre aux retraités de partager leurs connaissances avec de nouveaux techniciens. Le business du dernier kilomètre est aussi très intéressé par la réalité augmentée !
Pour les nouveaux services, tout reste à inventer. Les transporteurs et les logisticiens disposent de vrais trésors d’expertise qu’ils peuvent exploiter et développer... ou bien se faire piller.