La hausse des taux de fret maritime, alimentée par une forte demande en provenance d'Asie et par des facteurs géopolitiques, fait actuellement la une des journaux dans le secteur de la logistique. Quels sont les produits qui tirent la demande vers le haut, et en provenance de quels pays ? Cet article se penche sur les caractéristiques du commerce transpacifique au cours des quatre premiers mois pour aider à cerner l’évolution de la demande dans la seconde moitié de 2024.
Au cours des quatre premiers mois de 2024, la progression des importations asiatiques aux États-Unis a dépassé la croissance globale des importations américaines, tant en volume qu'en valeur (graphique 1). Le port de Los Angeles et le port de Long Beach - les principales portes d'entrée des flux asiatiques aux États-Unis - ont tous deux enregistré une augmentation à deux chiffres de leur trafic de conteneurs au cours de cette période, ce qui témoigne du dynamisme du commerce transpacifique vers l'est.
Alors que les importations américaines en provenance de ses partenaires commerciaux asiatiques ont toutes connu une croissance positive en volume (kg), les performances en valeur ont été plus variables. Les importations américaines en provenance de Corée du Sud, de Taïwan et de l'ANASE - en particulier du Vietnam et de la Thaïlande - ont enregistré une forte croissance. Les exportations taïwanaises et sud-coréennes vers les États-Unis, notamment, ont augmenté d'environ 20 % chacune. En revanche, les exportations chinoises vers les États-Unis ont diminué, et il s’agit du seul pays dans ce cas parmi les principaux partenaires commerciaux de la Chine en Asie[1]. En conséquence, la part de la Chine dans la valeur des importations américaines s'est encore contractée, ce qui laisse à penser que la diversification des chaînes d’approvisionnement américaines se poursuit.
Graphique 1 - Source des données : US Census Bureau
Les types de produits importés d'Asie vers les États-Unis reflètent une demande assez contrastée, plutôt tirée par l’évolution des technologies ou par des politiques publiques qui stimulent certains domaines que par une forte reprise de la consommation finale. C’est en tout cas ce que montre la structure globale des importations américaines entre janvier et avril 2024 (graphique 2).
Graphique 2 - Source des données : US Census Bureau
Les secteurs du matériel informatique, de l'automobile - véhicules et pièces détachées - et des produits pharmaceutiques sont les trois moteurs des importations américaines (en valeur) de janvier à avril 2024. Le développement rapide de l'IA depuis 2023 a largement bénéficié aux exportations taïwanaises de matériel informatique de haute performance. Au premier trimestre, les exportations de ce secteur de Taïwan vers les États-Unis ont presque doublé en volume[2], faisant des États-Unis le premier importateur de Taïwan pour la première fois depuis 2003.
Le vide juridique de la loi sur la réduction de l'inflation (IRA) concernant les véhicules en location continue de soutenir les exportations automobiles du Japon et de la Corée, qui ont représenté 45 % des importations américaines de véhicules électriques en valeur au cours des quatre premiers mois de l’année. En effet, les VE en location sont éligibles à des programmes d’aides financières sans à avoir à satisfaire les mêmes exigences que les véhicules à la vente en termes de production locale. En conséquence, la location offre un meilleur rapport qualité-prix et un plus grand choix de modèles de VE.
L'ANASE a également bénéficié de l'IRA. L'exemption des droits de douane pour les panneaux solaires de l'ANASE (jusqu'en juin 2024) a entraîné une importante constitution de stocks de ce produit au cours des quatre premiers mois de 2024, avec une croissance de 24 % en glissement annuel et une augmentation de 150 % par rapport à 2022.
En comparaison, la valeur des importations américaines de produits de consommation n'a connu qu'une croissance modeste, à l'exception du secteur pharmaceutique. Les importations américaines de produits de consommation traditionnellement venus d'Asie, tels que l'habillement, le mobilier et les jouets, ont connu une embellie par rapport à 2023. Toutefois, le volume et la valeur des importations sont restés bien en deçà du niveau de 2022[3]. La confiance des consommateurs, toujours inférieure au niveau d'avant la pandémie, et les prix d'entreposage toujours élevés ont peut-être conduit à une approche plus prudente en matière de réapprovisionnement (graphiques 3 et 4).
Graphique 3 - Source des données : Université du Michigan
Graphique 4 - Source des données : Bureau américain des statistiques du travail
Il faut cependant garder à l’esprit que les statistiques commerciales ont pu ne pas refléter de manière totalement précise les flux de produits de consommation via le commerce électronique transfrontalier. Les plateformes chinoises de commerce électronique transfrontalier B2C, telles que SHEIN et TEMU, jouent un rôle de plus en plus important dans la fourniture de produits de consommation. Selon les douanes chinoises, les exportations chinoises de commerce électronique transfrontalier ont augmenté de 9,6 % au cours du premier trimestre 2024. LGénéralement expédiés directement de Chine aux particuliers, leurs produits principaux, tels que les vêtements, les accessoires et la décoration d'intérieur ont une valeur souvent inférieure au seuil de minimis (800 USD). Cela signifie que ces colis ne sont pas soumis à des taxes et que la procédure douanière est simplifiée.
L’évolution du commerce transpacifique au second semestre 2024 sera affectée par un certain nombre de facteurs, notamment la hausse des taux de fret (si la bulle de surcapacité n’éclate pas avant la fin de l’année), les nouvelles barrières commerciales, ou encore les prochaines élections américaines.
Les exportations sud-coréennes, taïwanaises et japonaises vers les États-Unis devraient rester solides. Le développement rapide de l'IA et la continuité des effets de l'IRA devraient en effet continuer à soutenir les importations américaines en provenance de ces trois pays. Les produits à forte valeur ajoutée sont également plus résistants aux variations des taux de fret. Mais au-delà de 2024, deux facteurs pourraient affecter les exportations de véhicules électriques vers les États-Unis. Le premier est l'incertitude concernant l’avenir de l'IRA dans un scénario d'élection de Trump et l’autre la production nationale de VE par les constructeurs automobiles coréens et japonais aux États-Unis.
En revanche, les flux au départ de la Chine et de l'ANASE sont sujets à davantage d'incertitudes. Le marché de la consommation américain est plein de signaux contradictoires et les produits industriels en provenance de ces deux pays sont sur le point d'être soumis à des droits de douane supplémentaires. Nous présentons ci-dessous une analyse plus détaillée des deux types de produits de base.
La crainte d'une augmentation persistante des taux de fret maritime a conduit les chargeurs à anticiper l'importation de biens de consommation en provenance d'Asie bien en amont des fêtes de fin d'année. Comparé à la croissance des importations, le marché de la vente au détail présente des signaux contradictoires. En conséquence, il existe un décalage entre la demande de transport et celle du consommateur final.
Les produits de consommation sont plus sensibles aux variations des taux de fret, qui se répercutent alors inévitablement sur les prix à la consommation. Alors que la possibilité d'une seule baisse des taux d'intérêt cette année aux États-Unis semble de confirmer, la lutte prolongée contre l'inflation risque d'assombrir la confiance des consommateurs et, partant, de freiner les dépenses. Selon une enquête de l'Université du Michigan, le moral des consommateurs a atteint en juin son niveau le plus bas de l'année (graphique 3). Cette situation affecte plus spécifiquement certains produits. Si le secteur de la mode enregistre des performances plutôt satisfaisantes, l'un des principaux produits de consommation exportés par l'Asie - l'électronique - reste en revanche faible. De ce point de vue, les exportations de produits de consommation en provenance de Chine et de l'ANASE ne bénéficient pas d'une dynamique constante.
D'un autre côté, les consommateurs sensibles aux prix pourraient opter pour des plateformes pourraient opter pour des achats auprès de plateformes de commerce électronique, ce qui pourrait stimuler encore davantage le marché du fret aérien. Il convient cependant de garder à l’esprit que ces plateformes sont soumises à davantage d'incertitudes géopolitiques à l'approche de l'élection présidentielle américaine. Par exemple, la surveillance accrue des colis chinois par les douanes américaines pourrait entraîner de nouvelles perturbations dans le flux de fret aérien.
Les biens industriels sont la seule catégorie dans laquelle les importations américaines ont diminué au cours des quatre premiers mois (graphique 3). Il se pourrait que l’on observe une légère inflexion de cette tendance, avec, comme pour les biens de consommation, un phénomène de reconstitution des stocks en provenance de Chine et de l'ANASE de la part des chargeurs. Mais la raison est différente : il s’agit cette fois d’éviter les droits de douane supplémentaires qui sont sur le point d’entrer en vigueur.
À partir du 1er août 2024, les États-Unis introduiront des droits de douane supplémentaires sur un certain nombre de produits industriels chinois, notamment dans le secteur des technologies propres. Ces droits de douane ont été largement perçus comme une mesure préventive, car l'impact direct est relativement faible. Les produits concernés représentaient au total environ 2 % des exportations chinoises totales (en valeur) vers les États-Unis en 2023.[4]
Les mesures de restriction du commerce des produits photovoltaïques de l'ANASE vers les États-Unis pourraient quant à elles avoir des conséquences notables sur les flux commerciaux. En plus des droits de douane de 14,25 % déjà appliqués aux panneaux solaires bifaciaux, une enquête antidumping récemment lancée, dont les conclusions sont attendues vers le mois d’octobre, pourrait avoir un impact plus important. Si elle conduit à l’introduction de nouveaux droits de douane, le montant évoqués pour compenser les marges de dumping vont de 70,35 % (Thaïlande) à 271,45 % (Viêt Nam), selon la requête. Si c'est le cas, sachant que plus de 80% des importations américaines de panneaux solaires provenaient de l’ANASE en 2023, on peut s'attendre à des ajustements des activités de fabrication ou à des détournements de trafic.
Globalement, mais pour différentes raisons, les produits de consommation et les biens industriels enregistrent une progression des expéditions. Toutefois, ces deux types de produits manquent de bases solides pour rester durablement l’objet d’une forte demande. Le dynamisme actuel est moins motivé par la demande interne que par des anomalies politiques, économiques et logistiques. Cela étant, il est certain qu'en l'absence d'issue claire et immédiate à la situation au Moyen-Orient, les perturbations en mer Rouge pourraient maintenir une tension sur les principales voies commerciales. Les projections financières révisées par Maersk en juin montrent que les compagnies maritimes estiment que les prix resteront élevés pendant une période prolongée.
Cet article est consacré au commerce entre l'Asie et les États-Unis. Cependant, le commerce transpacifique voit émerger des connexions au-delà des États-Unis.
Le phénomène de nearshoring a stimulé les importations mexicaines en provenance de Chine et du Vietnam. Au cours du premier trimestre 2024, les exportations de ces deux pays vers le Mexique ont augmenté respectivement de 11 % et 43 %. Plus de 70 % des volumes concernent des biens intermédiaires[5], ce qui témoigne de l’émergence de nouvelles chaînes logistiques.
Le développement des connexions avec le Mexique reste largement tributaire du marché américain. Toutefois, les tensions avec les États-Unis poussent la Chine à cultiver de nouveaux marchés, dont l'Amérique du Sud, en particulier pour les produits chinois issus des technologies propres. Dans le même temps, la croissance rapide des exportations chinoises vers ces pays a également suscité des inquiétudes croissantes, dont certaines se sont traduites par des restrictions commerciales. Par ailleurs, l'enquête antidumping récemment lancée par la Chine sur la viande de porc en provenance de l'UE pourrait potentiellement bénéficier aux fournisseurs du Brésil, par exemple, qui est le troisième plus grand fournisseur de viande de porc de la Chine. Dans le contexte d'un paysage politique et économique en constante évolution, un modèle commercial transpacifique plus dynamique est en train de se former.
[1] La dépréciation du yuan chinois peut avoir statistiquement diminué la valeur des exportations chinoises vers les États-Unis lorsqu'elle est mesurée en USD. Ainsi, en yuans chinois, les exportations chinoises vers les États-Unis ont augmenté de 2,4 % au cours des quatre premiers mois de 2024.
[2] Ce chiffre est basé sur les données du Census Bureau des États-Unis à partir du code HS 8471.
[3] Ici, nous utilisons le volume au lieu de la valeur, principalement en raison de la dépréciation du yuan. Les résultats en volume sont plus précis. Si l'on se base sur la valeur commerciale, parmi les quatre produits de base énumérés, seuls les meubles et les chaussures ont enregistré une croissance positive.
[4] Il s'agit d'une estimation basée sur la liste tarifaire et les données commerciales fournies par le Census Bureau des États-Unis.
[5] Les données commerciales proviennent de ASEAN Stat, et la part des biens intermédiaires est obtenue auprès des autorités mexicaines.