Selon le dernier rapport annuel publié par FerMerci, l’association des professionnels de la logistique ferroviaire, l’Italie a enregistré en 2023 un volume total de 51,7 millions de train-kilomètres, en baisse de 4% par rapport à l’année précédente. Le trafic exprimé en tonnes-km est également en repli de 0,4%, à 23,3 milliards. La part du fret ferroviaire en Italie s’établit ainsi à environ 12%, contre une moyenne d’environ 17% en Europe, et reste donc très éloignée de l’objectif ambitieux que s’est fixé l’Union européenne (UE). La stratégie pour une mobilité durable et intelligente publiée par le Commission européenne en décembre 2020 prévoit en effet une augmentation de 50% du transport ferroviaire de marchandises d'ici à 2030 et un doublement d'ici à 2050.
En 2023, la baisse significative du trafic a été influencée par des facteurs particuliers. Au chapitre des événements imprévisibles figurent notamment l'interruption complète de la ligne du Fréjus vers la France en raison d’un éboulement, la restriction partielle du tunnel du Saint-Gothard vers la Suisse et l'impact des inondations qui ont principalement touché les régions d'Émilie-Romagne et de Toscane. À cela s’ajoutent des interruptions programmées, afin de faciliter les travaux envisagés par le Plan national de relance et de résilience italien (PNRR). Elles ont eu pour conséquence une réduction de l'utilisation de certaines lignes ferroviaires à environ 50 % de leur capacité en 2023.
Malgré une tendance globalement positive en termes de trafic depuis 15 ans, l’association des professionnels de la logistique ferroviaire ne cache pas ses inquiétudes, à la lumière des évolutions plus récentes. "2022 a montré des signes de régression, confirmés et accentués en 2023, avec des perspectives inquiétantes pour 2024", estime FerMerci.
* Estimation - Sources : Eurostat et FerMerci
De 2000 à 2010, le fret ferroviaire s’est effondré, tombant à 17,8 milliards de tonnes-km en 2009. Mais l’activité est ensuite repartie à la hausse, franchissant à nouveau le cap des 20 milliards de tkm en 2014. Depuis, elle s’est toujours maintenue au-delà de ce seuil. "Depuis 2010, on assiste à un renversement de tendance avec une augmentation significative du trafic de fret ferroviaire. Ce secteur a d'ailleurs récemment fait preuve d'une remarquable résilience face à la pandémie de Covid-19 (24,3 milliards de tonnes-km en 2021, +17% par rapport à 2020) et au conflit russo-ukrainien (24,3 milliards de tonnes-km en 2022, +0,3% par rapport à 2021), avec des valeurs moyennes annuelles entre 2010 et 2023 de 21,4 milliards de tonnes-km et de 47,1 millions de trains-km", détaille FerMerci.
Géographiquement parlant, 70% des 52 millions de trains-km ont circulé dans le Nord de l’Italie, cœur économique du pays, dont 43% dans le nord-est. "Toutefois, si l'on tient compte de l'évolution de l'offre au cours des dernières années, on constate une croissance dans les régions méridionales, contrastant avec une grande stabilité dans le nord de l'Italie", précise FerMerci.
À l’international, les traversées alpines constituent des axes de trafic essentiels. "En 2023, la répartition du trafic ferroviaire à travers les traversées alpines montre une nette prédominance de l'Autriche en termes de tonnes-kilomètres transportées (12,2 milliards soit 54 % du trafic total), devant la Suisse (29 %), la Slovénie (11 %) et la France (6 %)", indique FerMerci. Entre 2018 et 2023, la part de l’Autriche a augmenté, tout comme celle de la Slovénie, cette dernière ayant généré un trafic total de 2,5 milliards de tonnes-km. En revanche, la France et la Suisse ont plutôt perdu du terrain, avec des volumes respectifs de 6,6 milliards de tonnes-km et de 1,4 milliard de tonnes-km.
Les ports constituent par ailleurs un pôle d’attractivité important. Vingt ports sont aujourd’hui intégrés dans le réseau ferroviaire national, dont les principaux sont Ancône, Gênes, Gioia Tauro, La Spezia, Livourne, Ravenne, Tarente, Trieste et Venise. En termes de trafic ferroviaire généré par les ports, Trieste est en tête avec 8 617 trains de marchandises en 2023 (-8% par rapport à 2022), suivi par Ravenne (6 981), La Spezia (5 986), Gênes (5 743 trains de marchandises en 2023) et Venise (4 404).
Le réseau ferroviaire italien compte aujourd’hui environ 16 800 km de lignes appartenant à l’État, gérées par Rete Ferroviaria Italiana (RFI), une société anonyme détenue à 100 % par la Compagnie des Chemins de fer italien, Ferrovie dello Stato Italiane (FS). À cela s’ajoutent environ 3 000 km de lignes secondaires détenues par les régions.
Comme beaucoup de pays européens, l’Italie souffre d’une longue période de sous-investissement dans les infrastructures. Pour répondre aux standards du transport ferroviaire européen, le pays doit accélérer les travaux de remise en état du réseau. En mai 2022, le groupe RFI a présenté un plan d’investissements de plus de 190 milliards d’euros étalés sur dix ans, c'est-à-dire pour la période 2022-2031. Cette opération devrait avoir un impact sur l’économie italienne et une hausse du PIB, de 2% à 3%. Une partie de cette enveloppe devrait être financée par le Plan national de relance et de résilience (PNRR), qui contribuera également à la mise à niveau des infrastructures routières. Le groupe RFI recevra une tranche de 110 milliards pour moderniser les infrastructures ferroviaires et développer le réseau pour réduire l’écart entre le nord et le sud du pays. Il s’agit notamment de créer de nouvelles lignes, améliorer les grands axes, moderniser la signalisation, développer l’électrification des lignes régionales, et enfin de compléter les corridors ferroviaires du réseau transeuropéen de transport et promouvoir l’interopérabilité. L’Italie est concernée par 4 corridors européens : Baltique-Adriatique, Méditerranée, Rhin-Alpes et Scandinavie-Méditerranée.
Ces investissements sont évidemment une bonne nouvelle pour l’industrie du fret ferroviaire. Mais dans l’immédiat, les travaux complexifient significativement les opérations. Dans son rapport, FerMerci souligne l’impact négatif sur le transport ferroviaire de marchandises des quelque 4 000 chantiers ouverts dans le cadre du PNRR. L’association estime que 60% des lignes ferroviaires connaîtront des interruptions partielles ou totales en 2024 en raison de travaux. En 2023, 129 interruptions ont été comptabilisées, provoquant l’an dernier un ralentissement important du trafic ferroviaire. Selon les prévisions de FerMerci, le scénario devrait être encore plus catastrophique cette année, avec 207 interruptions.
"Dans les années à venir, sur la base des données disponibles, le nombre de jours d'arrêt liés aux interventions planifiées devrait augmenter. Ces données ne concernent que les interventions planifiées, excluant ainsi les interventions de maintenance extraordinaires qui, sur la base de ce qui s'est passé en 2023, pourraient être encore plus importantes", prévient FerMerci, qui prévoit un pic en 2025. En conséquence, FerMerci demande des mesures de soutien. "L'Europe et l'Italie se trouvent dans une phase de transition des infrastructures, provoquée par la mise en œuvre des investissements du PNRR et l'achèvement des corridors Ten-T. Pour surmonter cette phase, le secteur a besoin de soutien jusqu'à la fin des interventions pour maintenir la compétitivité du transport ferroviaire de marchandises, déjà fortement touché par les interruptions de certaines grandes traversées alpines", déclare Giuseppe Rizzi, directeur général de Fermerci.
L’Italie va devoir aussi investir significativement dans les terminaux de fret intermodaux. Parmi les 11 terminaux gérés par RFI et analysés dans l’étude de FerMerci, aucun n'est conforme à la norme européenne de longueur de train de 750 m. "L'harmonisation reste essentielle pour promouvoir l'intermodalité et faciliter le transport sur l'ensemble du réseau ferroviaire européen", martèle l’association.
Suite à la libéralisation du secteur du fret ferroviaire, l’Italie compte 23 opérateurs de fret ferroviaire, dont une quinzaine membres de l’association FerCargo fondée en 2009. Sur la première marche du podium, Mercitalia, filiale de l’opérateur historique Ferrovie dello Stato (FS), détient une part de marché d’environ 38% en 2023, en baisse de 3% par rapport à l’année précédente. Captrain Italia (groupe SNCF) et Compagnia Ferroviaria Italiana (CFI), contrôlée par le fond F2i, complètent le trio de tête, avec chacune 11% de part de marché, suivies par Medway (groupe MSC) et DB Cargo Italia.
Source : RFI
L’opérateur historique, Ferrovie dello Stato, entend bien continuer à jouer un rôle majeur dans le développement du fret ferroviaire et plus globalement de la logistique. En 2022, le groupe a présenté un plan industriel 2022-2031, qui affiche un objectif de doublement du fret ferroviaire par rapport à 2019. FS a revu sa gouvernance et créé des "business hubs" pour chacune de ses activités stratégiques, dont un Logistics Hub pour le fret ferroviaire piloté par Mercitalia Logistics. Sept autres sociétés sont intégrées dans ce hub, et notamment Mercitalia Rail, Tx Logistik et Mercitalia Intermodal, le plus important opérateur de transport combiné route/ fer en Italie et numéro trois en Europe. La création de ce hub doit permettre de substituer à une organisation très segmentée une approche globale de la supply chain, y compris par le biais de partenariats, d'une plus grande synergie commerciale et d'une nouvelle approche client.
Le groupe prévoit 2,5 milliards d’euros d’investissements. Ce programme ambitieux porte sur l’élaboration de nouvelles lignes, comme le Terzo Valico dei Giovi, l'extrémité sud du corridor Rhin-Alpes, qui pourrait "faire du nœud de Gênes la principale plaque tournante de la route commerciale reliant l'Extrême-Orient à l'Europe, en réduisant le temps de transport maritime d'environ cinq jours par rapport aux ports maritimes du nord", souligne FS. Le groupe prévoit également la construction de nouveaux terminaux de fret ferroviaire intermodaux, ainsi que le renouvellement de wagons, avec le remplacement de 3 400 véhicules et l'arrivée de plus de 3 600 modèles électriques et hybrides de nouvelle génération.