L’utilisation de « véhicules de grande capacité », communément appelés méga-camions, permet d’améliorer l’efficacité du transport routier, y compris sur les questions d’environnement et de sécurité, affirme un rapport du Forum international des transports. L’ITF préconise donc de multiplier les tests et avance des pistes en matière de politiques publiques pour encourager ce déploiement.
Des monstres de plus de 25 mètres de long et de plus de 60 tonnes : pour le grand public, les méga-camions cristallisent toutes les angoisses en matière de sécurité. Les autorités publiques aussi se montrent souvent frileuses à l’idée d’explorer cette piste d’optimisation du transport routier. Outre la question de la sécurité, elles s’inquiètent des conséquences potentielles pour les infrastructures ou encore pour les autres modes de transport. N’est-ce pas un encouragement au report modal du rail vers la route, alors que la plupart des politiques publiques tentent depuis des années, souvent sans grand succès, de favoriser le mouvement inverse ? N’existe-t-il pas un risque de cannibalisation de l’activité des petits transporteurs routiers ?
Un triplement du trafic d’ici 2050
Pour répondre à toutes ses questions, le Forum International des Transports (International Transport Forum, ITF), une organisation intergouvernementale qui rassemble 59 pays, vient de publier un rapport intitulé : « Transport de Haute Capacité : vers un transport routier efficace, sûr et durable ». Le résultat est un clair plaidoyer en faveur des méga-camions.
L’étude analyse les expérimentations menées dans un certain nombre de pays, avant de proposer une « boîte à outils » à l’attention des décideurs politiques pour développer les expérimentations.
Le constat de départ ne fait guère débat. Le transport routier de marchandises va continuer d’augmenter, poussé par la croissance économique et l’essor du commerce international. Selon le rapport de l’ITF, le trafic devrait tripler d’ici 2050, passant de 112 000 milliards de tonnes-kilomètres en 2015 à 329 000 milliards, avec un rythme de croissance moyen de 3,2% par an entre 2015 et 2030 et de 2,8% entre 2015 et 2050. Dans ce contexte, mieux utiliser les infrastructures de transport devient un impératif. « Cela peut se faire par un report vers d’autres modes ou un étalement des livraisons sur des périodes creuses. Mais on peut aussi améliorer le niveau d’utilisation des infrastructures en augmentant l’efficacité du transport routier », soutient l’étude de l’ITF.
Les nouvelles technologies pour optimiser le transport routier
Les nouvelles technologies ouvrent des opportunités. Le camion autonome est l’une des pistes qui suscite le plus d’intérêt, depuis la circulation en peloton (« platooning ») jusqu’au véhicule totalement autonome. Cette tendance, pointée dans un rapport de l’IRU de 2017 consacré au « véhicule commercial du futur », nécessite toutefois une modification en profondeur des règles d’usage de la route, et en particulier du rôle du chauffeur.
La digitalisation du transport routier, des processus logistiques et de l’ensemble de la chaîne multimodale constitue une autre piste d’optimisation identifiée par le rapport de l’ITF. « L’économie collaborative introduit de nouvelles façons de partager les ressources et de coopérer, qui pourraient contribuer à optimiser les taux de chargement ». Coopération entre les chargeurs, utilisation de plates-formes digitales de mise en relation de l’offre et de la demande, consolidation des livraisons urbaines : de multiples options sont possibles et peuvent se combiner.
… et contribuer à la percée des méga-camions
Pour l’ITF, les avancées technologiques ne répondent toutefois qu’à une partie du problème et, dans certains cas d’usage, leur introduction prend du temps, à l’inverse d’un assouplissement des restrictions en matière de poids et dimensions qui peut se révéler être une solution plus rapide et moins coûteuse. Les technologies peuvent en revanche servir la percée des méga-camions en favorisant l’émergence d’un écosystème de transport nourri de données (permettant par exemple un meilleur suivi des véhicules).
L’ITF met en avant les bénéfices économiques d’une consolidation des chargements, pour les chargeurs comme pour les transporteurs, avec à la clef une réduction de la consommation de carburant ou du nombre de chauffeurs nécessaires à l’unité transportée. Encore faut-il, admet l’organisation, que les transporteurs puissent profiter pleinement la capacité de chargement supplémentaire, ce qui induit une gestion fine du poids et du volume.
Un méga-camion écolo ?
Autre argument à première vue plus surprenant développé par l’ITF : les avantages pour l’environnement. Selon le rapport, les méga-camions peuvent contribuer à la décarbonation du transport routier en jouant sur deux facteurs : le taux de chargement des véhicule et l’optimisation de l’énergie consommée par unité de fret transportée. L’ITF évoque une réduction des émissions de carbone potentielle de l’ordre de 15 à 40%, selon la configuration du véhicule et les spécificités opérationnelles. Il convient toutefois de souligner que les expérimentations menées à ce jour restent limitées, et concernent souvent des activités particulières (comme par exemple l’industrie forestière en Europe du Nord).
Forte de ces constats, l’organisation recommande clairement le développement d’expérimentations associées à des évaluations rigoureuses et indépendantes, basées sur des données fiables. « Cette approche fournit les éléments objectifs dont les décideurs ont besoin », souligne l’ITF. Car les réticences sont nombreuses.
Des réticences nombreuses
En premier lieu vient la question de la sécurité. Les statistiques issues des expérimentations montrent plutôt un taux d’accident des méga-camions inférieur à celui des véhicules classiques. Plusieurs facteurs peuvent l’expliquer :
Le décideur politique s’interroge aussi légitimement l’impact de ce nouveau type de poids lourds sur les infrastructures et les ponts. Concernant les infrastructures, l’ITF estime en substance que l’impact, s’il est mesuré à la tonne kilomètre transportée et non au véhicule, ne sera pas significatif. Le cas des ponts est plus épineux. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle l’Allemagne, dans son expérimentation, a autorisé une longueur de 25,25 mètres, mais en limitant le poids à 40 t ou 44 t.
Les tunnels posent également problème. « Des procédures spécifiques de gestion du trafic devraient être envisagées, comme la limitation du nombre de camions/méga-camions à l’intérieur du tunnel ou l’augmentation de la distance de sécurité pour les méga-camions », admet l’ITF.
Ces véhicules soulèvent aussi la question du dernier kilomètre. « L’implantation de hubs ou de plates-formes logistiques pourrait être nécessaire, de même que des discussions avec le propriétaire/exploitant de l’infrastructures ».
Ultime sujet politique très sensible : les méga-camions ne vont-ils pas attirer vers la route de nouveaux trafics et anéantir tous les efforts déployés en matière de report modal, au demeurant avec assez peu de succès en Europe ? L’ITF reconnaît qu’il pourrait y avoir un effet, mais le juge assez marginal, préférant insister sur le potentiel de coopération pour le fret intermodal.
À la lumière de tous ces éléments, l’ITF conclut à la pertinence des véhicules de grande capacité. Le rapport apporte des éléments détaillés sur les différentes expérimentations. Mais il illustre également, même si c’est pour tenter de les lever, le poids des freins qui subsistent.
Credit photo : Photo de couverture du rapport de l'ITF