Market Insights

Normandie : un marché du transport routier de marchandises plutôt atone

Rédigé par Anne Kerriou | 10 décembre 2020

DOSSIER. Le transport routier de marchandises dans la région Normandie est plutôt orienté à la baisse ces dernières années, malgré un rebond en 2018. Les flux internes sont les plus porteurs.

Le transport routier de marchandises (TRM) en Normandie, hors transit, trafic international et pavillon étranger, affiche un repli de 1,3% en 2018 par rapport à 2014. Selon les statistiques du bilan économique régional 2019 de l’Insee, le trafic s’établit à 16,7 milliards de tonnes-kilomètres. Il a connu une progression continue depuis le creux de 2015, mais insuffisante pour rattraper tout à fait le niveau de 2014.

Comme dans beaucoup de régions, la hausse est largement alimentée par les flux internes, qui génèrent une croissance à deux chiffres, tandis que les flux entrants et sortants diminuent.

*en millions de tonnes-kilomètres transportées (hors transit, trafic international et pavillon étranger) - Source : SDES, Enquête Transport routier de marchandises

Les Hauts-de-France, partenaire n°1

Cette atonie du marché se reflète également dans les chiffres de trafic exprimés en tonnes. En 2018, le trafic total régional, hors transit, trafic international et pavillon étranger, s’élève à 138 millions de tonnes (Mt). Il s’agit d’une augmentation de 8,7% par rapport à 2017, mais d’un repli de 10,4% par rapport à 2014, révèlent les données de l’Observatoire social des transports de Normandie. Le transport pour compte d’autrui représente 67,4% des tonnages, avec un total de 93 Mt en 2018 contre 101 Mt en 2014 (-8%). Le transport pour compte propre, avec 45 Mt, régresse sur la même période de 15%.

Si la tendance sur plusieurs années révèle donc une érosion, 2018 a été plutôt un bon cru. Le trafic au sein de chacun des départements normands a augmenté de 11 %, le trafic entre départements normands de 19% et le trafic avec les autres régions de 2%. Sur ces 138 Mt, 62% sont des flux intra-régionaux. Les flux inter-régionaux représentent quant à eux 53 Mt, dont 27 Mt de flux sortants et 26 Mt de flux entrants.

Source : Observatoire social des transports de Normandie

La Normandie a pour principaux partenaires les régions limitrophes. Le classement n’a pas connu de modification majeure ces dernières années. Les Hauts-de-France arrivent nettement en tête, devant les Pays-de-Loire, l’Ile-de-France, la Bretagne et le Centre-Val-de-Loire.

Le détail des flux entrants et sortants apporte cependant des informations complémentaires. Globalement, l’évolution depuis 2015 montre une stagnation des flux entrants, contre une croissance de 10% pour les flux sortants. Dans la première catégorie, les Hauts-de-France, les Pays de la Loire et la Bretagne connaissent une progression à deux chiffres, alors que l’Ile-de-France perd du terrain (-30%). À l’inverse, l’Ile-de-France progresse de 50% en 2018 par rapport à 2015 en tant que destinataire des flux en provenance de Normandie. Les Hauts-de-France et la Bretagne enregistrent des augmentations respectives de 11% et 12%. Les Pays de la Loire et le Centre-Val-de-Loire, qui complètent le Top 5 des flux sortants, sont en revanche en régression de -3% et -4% entre 2015 et 2018.

Concernant la nature des flux, les trois principaux types de produits transportés par la route représentent 46% du trafic régional. Il s’agit "des produits alimentaires, des produits de l’agriculture et des marchandises groupées", précise l’Observatoire social des transports.

Un nombre d’entreprises stable

Les chiffres de 2019 du trafic routier de marchandises en Normandie ne sont pas encore disponibles. Selon le bilan de l’Insee, l’économie globale de la région était plutôt dynamique. Mais quelques clignotants s’allumaient. "L’activité portuaire, très impactante pour la région, a souffert ces deux dernières années, en raison des mouvements sociaux qui ont touché le port du Havre", regrette Jean-Marc Pelazza, délégué régional de la FNTR (Fédération nationale des transports routiers).

En 2020, la crise liée à l’épidémie de la Covid-19 n’a pas épargné la région, dans des proportions évidemment variables selon les secteurs et les types d’activité. Concernant le transport routier proprement dit, l’enquête de conjoncture de la FNTR portant sur le deuxième trimestre 2020 montre que lors de la première vague de confinement, la perte de chiffre d’affaires et le pourcentage de camions à l’arrêt en mai et en juin se situaient globalement dans la moyenne nationale pour les transporteurs normands. "La partie logistique et entreposage a plutôt bien fonctionné, ce qui a pu permettre à certaines entreprises de tenir", précise Pascal Vandalle, délégué Régional Hauts-de-France – Normandie de l’Union TLF. "Cette période laissera cependant des traces dont on n’a pas encore pris toute la mesure", estime Jean-Marc Pelazza, de la FNTR. "L’économie est davantage préservée durant le 2è confinement, mais nos entreprises n’ont jamais été confrontées à un tel manque de visibilité".

Au 31 décembre 2019, 1922 entreprises étaient inscrites au registre marchandises, contre 1935 en 2015. La Seine-Maritime arrive largement en tête avec 703 entreprises, suivie de l’Eure (405), du Calvados (366), de la Manche (263) et de l’Orne (185). Ces statistiques portent uniquement sur les entreprises ayant leur siège social en Normandie, sachant qu’une entreprise inscrite au registre marchandises est une entreprise qui effectue du transport pour compte d’autrui à titre principal ou non. "Cela peut donc être, par exemple, une entreprise de travaux publics ou une entreprise agricole", précise l’édition 2020 de l’Observatoire social des transports. Des sociétés comme le groupe Malherbe, le groupe Chatel, Alpak Transports, Mertz, Normandie Logistique, Noyon, Tratel, les Transports Jourdan, les Transports Olivier Leloup (adossés à l’Italien Marenzana), Hirsch Transports ou encore les Transports Vallée portent, parmi tant d’autres, les couleurs de la région. Jean-Marc Pelazza note une tendance à la concentration qui s’accentue. La crise vient renforcer le fait que, comme dans d’autres régions, la génération du "baby-boom" est en train de passer la main.

Des problématiques stratégiques, au-delà de la crise

Selon le rapport régional 2019 de l’OPTL (Observatoire prospectif des métiers et des qualifications dans le transport et la logistique), les entreprises de 1 à 9 salariés représentent 55% des établissements employant des salariés, mais ils n’emploient que 10% des personnels transport et logistique. À l’autre extrême, 8% des établissements comptent 50 salariés et plus, mais ils représentent 47% des salariés de la branche. Selon Jean-Marc Pelazza, si la tension sur les recrutements s’est réduite à la faveur de la crise, il serait dangereux de croire que cette problématique appartient au passé. "Même en ce moment, certaines entreprises nous remontent des difficultés de recrutement. Et à plus long terme, il ne faut pas oublier que la pyramide des âges n’est pas favorable", rappelle le représentant de la FNTR.

Second sujet actuellement en sommeil mais qui pourrait resurgir avec acuité lorsque la reprise économique se manifestera : le prix du gazole. Les États-Unis sont actuellement le premier producteur mondial grâce à l’exploitation des hydrocarbures de schiste. L’administration Biden décidera-t-elle d’un changement de stratégie, alors que le futur président s’est engagé à réintégrer l’Accord de Paris ? "C’est un sujet à suivre de près. Les entreprises de transport ont amorcé leur transition énergétique, mais il est évident que le gazole restera encore longtemps majoritaire. Si on atteint un seuil de 15% de véhicules roulant au gaz dans l’ensemble de la flotte, d’ici 10 ans, ce sera déjà une performance", estime Jean-Marc Pelazza. Selon le responsable de la FNTR, la Normandie a du retard à combler dans ce domaine. "La Région a beaucoup misé sur l’hydrogène. Mais c’est une technologie qui n’est pas encore au point pour les poids lourds. Nous avons écrit à notre président de région pour le sensibiliser à la nécessité d’aider les transporteurs à acquérir des véhicules au gaz, comme le font certaines régions, mais aussi de coordonner le déploiement d’un réseau de stations car jusqu’à présent, le développement s’est fait de manière un peu anarchique".