Toutes les fonctions dans l’entreprise (achats, production, ventes) oscillent entre deux mouvements : la centralisation dans un souci d’économies d’échelle et de standardisation ou la décentralisation, pour plus de proximité avec le client, d’agilité, et de singularité. L’organisation des transports n’échappe pas à cette quête.
La Supply Chain peut se scinder en plusieurs processus, dont le nombre varie en fonction des écoles. Certains d’entre eux, comme le "Cost to serve" ou le "Demand planning", sont déjà largement intégrés dans le langage professionnel commun.
Ces processus s’appuient sur des fonctions élémentaires (transport, entreposage, planification, achats...) qui sont classées en 3 catégories :
Positionnement des entrepôts : un nécessaire compromis
Plus on dispose de temps pour réaliser une activité, plus on peut s’éloigner de son client et donc centraliser l’activité. Mais la réciproque n’est pas forcément vraie. Le positionnement des entrepôts est fonction du délai d’acheminement moyen inscrit dans la promesse client. C’est donc un compromis entre le coût et la fiabilité du délai. Nous avons assisté ces dernières années à une centralisation nationale voire européenne des entrepôts. Ainsi, le groupe Lapeyre vient de concentrer sa distribution française au départ de Mer, dans le Loir-et-Cher, remplaçant un système de livraison directe depuis les entrepôts de ses usines de fabrication.
Évidemment, à certains niveaux de la chaîne ou pour certains types d’activité, il est cependant essentiel, comme le montre le graphique ci-dessous, que les entrepôts soient placés au plus près du client et donc décentralisés, pour assurer une bonne réactivité. C’est notamment le cas de la distribution urbaine, en plein essor avec le e-commerce et les problématiques du dernier kilomètre.
Source : Supply Chain Magazine (article sur la centralisation des fonctions Supply Chain, 2010).
Une culture de la décentralisation chez les transporteurs
Du côté des transporteurs, on peut dire de façon schématique que l’organisation s’articule autour d’une ou plusieurs agences. Chacune est constituée d’une base à laquelle sont rattachés les personnels roulant (les chauffeurs) et non roulant (exploitants, facturiers, mécaniciens, etc.).
Les principes de coordination opérationnelle, tactique et stratégique des agences entre elles indiquent le type de management, centralisant ou décentralisant. Ainsi, si les agences sont aux ordres stricts d’une cellule centrale, on parlera de centralisation forte et si elles sont totalement autonomes on parlera de décentralisation poussée. Il faut ajouter qu’entre ces deux systèmes existent de nombreuses variantes mixtes.
De profonds changements en cours
Historiquement, le métier de transporteur est par nature et par culture porté sur un modèle de responsabilisation de l’agence, autonome et donc décentralisé. Cependant des changements profonds sont venus bouleverser la donne. Deux facteurs ont été déterminants dans la centralisation des organisations transport :
La comparaison des chiffres du transport français de l’OPTL (Observatoire Prospectif des métiers et des qualifications dans les Transports et la Logistique) pour l’année 2017 par rapport à 2011 montre que la réduction du nombre d’exploitants, en proportion des effectifs, a été plus sévère (-18%) que celle des chauffeurs (-13%). Même si cette tendance s’explique par le fait que la croissance du transport routier de marchandises se situe désormais surtout dans les pays de l’Europe de l’Est, on peut aussi l’attribuer dans une certain mesure à la concentration des organisations transport.
L’irruption des plateformes digitales
Les nouvelles plateformes digitales se positionnent quant à elles comme des outils de désintermédiation. Qu’il s’agisse de places de marché ou bien d’applications métiers spécifiques (e-cmr, e-maintenance, track&trace, etc.), elles recherchent la mise en contact direct entre l’expéditeur, le destinataire, le chauffeur et le payeur.
Elles s’appuient sur :
En simplifiant l’administration, en supprimant tous les goulots qui empêcheraient la fluidité de l’information et en la rendant disponible à tous, elles éliminent donc les couches intermédiaires et favorisent la centralisation des organisations transport.
Ces nouvelles plateformes produisent également un volume de données exponentiel qu’elles mettent à disposition de leurs clients via des API (Interface de programmation). Le très grand appétit des datalakes des entreprises pour toutes sortes de données indique que la fonction transport, dans le cas présent, pourrait être intégrée dans un éco-système Supply Chain plus vaste. Comme le précise Johanna Von Geyr, partner chez ISG, dans un article publié sur ITProPortal, "l’immédiateté de l’information permettra de créer plus de valeur ajoutée en modifiant en temps réel la chaîne de décision".
Il y a là un nouveau paradigme. La fonction transport pourrait donc ne plus être centralisée ou décentralisée mais totalement intégrée dans un réseau de Supply Chain multiples.
En résumé
L’organisation des transports a d’abord muté d’un mode décentralisé et autonome vers un mode centralisé. Le mouvement a commencé par la réduction du pouvoir du chauffeur puis celle des bases locales. Cela s’est fait notamment sous la pression des coûts et avec l’appui de la technologie qui a depuis longtemps investi le secteur, contrairement à ce que l’on entend souvent.
En revanche, le potentiel décuplé de collecte et d’analyse des données ouvre la voie à une nouvelle étape. En ce sens, l’avènement des nouvelles plateformes digitales apparaît davantage comme une continuité dans l’évolution du transport que comme une rupture. L’organisation des transports passera désormais par son intégration dans le Cloud et sa connexion plus étroite aux autres fonctions supply chain des entreprises.
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