En 2024, la croissance du PIB mondial s’est établie à +2,8%, selon les données de la banque mondiale. L’augmentation se limite à +1,7% pour les économies avancées. La performance supérieure aux prévisions enregistrée aux États-Unis (+2,8%) a en effet été contrebalancée par des résultats décevants dans la zone Euro (+0,9%) et au Japon (+0,2%). Les économies émergentes et les marchés en développement ont pour leur part connu une progression de 4,2%, portée notamment par la Chine (+5%) et l’Inde (+6,5%), malgré un ralentissement de la croissance dans ces deux pays par rapport à 2023.
Le processus de désinflation s’est poursuivi en 2024. Cependant, "bien que l'inflation des prix des biens de base soit revenue à son niveau tendanciel ou en dessous, l'inflation des prix des services reste supérieure aux moyennes d'avant la pandémie de COVID-19 dans de nombreuses économies, notamment aux États-Unis et dans la zone euro", souligne le Fonds monétaire international. En conséquence, les banques centrales se sont montrées prudentes en matière de réduction des taux d’intérêt, ce qui continue à peser sur le pouvoir d’achat des ménages, sur la capacité d’investissement des entreprises, et donc sur la demande.
Le commerce mondial des biens et des services a rebondi en 2024, avec une croissance estimée à 2,7% après une expansion modérée l'année précédente. La croissance du commerce des biens s'est accélérée au second semestre 2024, après une reprise plus faible que prévu au premier semestre. Cette reprise s'explique en partie par la constitution de stocks de précaution en prévision d'éventuelles perturbations, notamment celles résultant de potentielles grèves des dockers sur la côte est des États-Unis et dans le golfe du Mexique, et d’une augmentation des droits de douane aux États-Unis.
En 2024, l’équilibre entre l’offre et la demande était plutôt favorable aux chargeurs, ce qui est cohérent avec la croissance économique modérée.
Pourtant, sur certains segments de marché, les prix de transport sont repartis à la hausse. Mais cela s’explique essentiellement par des facteurs externes. Les acteurs du transport international ont d’abord profité de l’instabilité créée par le conflit au Moyen-Orient : les attaques des Houthis en mer Rouge ont désorganisé les chaînes logistiques en imposant un contournement par le cap de Bonne-Espérance. Cela a permis aux compagnies maritimes d’augmenter les taux de fret. Les compagnies aériennes en ont également profité, car l’allongement des délais de transit maritime a pu contraindre certains chargeurs à recourir au fret aérien, au moins le temps que les chaînes logistiques via le cap se stabilisent. Les transporteurs aériens et maritimes ont aussi bénéficié des annonces faites par le président Donald Trump lorsqu’il n’était encore que candidat à la Maison Blanche. La perspective de droits de douane additionnels a poussé les importateurs à anticiper leurs commandes. La très forte augmentation des prix du transport maritime sur l’axe Asie-Europe et sur le Transpacifique, en particulier au 2è semestre, illustre bien ce phénomène. Dans le transport aérien, un facteur lié à la demande est toutefois intervenu dans l’augmentation des prix : la forte demande liée au développement du e-commerce, et en particulier des plates-formes chinoises.
Le contraste avec l’évolution des prix dans le transport routier européen est très marqué. Sur l’ensemble de l’année, les taux de fret sont en légère hausse en Europe, et en légère baisse sur le marché français. Sur le marché européen, les prix ont augmenté de 4% en glissement annuel sur le marché spot, grâce à une reprise au second semestre, et de 1% sur le marché contractuel. En France, ils ont stagné sur le marché contractuel et diminué sur le marché spot. Pourtant, dans le même temps, les coûts d’exploitation ont continué à augmenter, malgré une baisse du gazole et une accalmie de la croissance des rémunérations. La difficulté à répercuter les hausses de coûts dans les prix de transport se reflète dans la trajectoire des défaillances d’entreprises de transport routier. En France, selon les données d’Altarès, elles ont augmenté de 35,4% au 4è trimestre 2024, après une hausse de 39,1% au 3è trimestre et de 37,2% au premier semestre. Pour l’ensemble de l’année de 2024, les défaillances d’entreprises de transport routier ont bondi de près de 30%.
"On avait l’habitude de dire qu’une crise chassait l’autre. Aujourd’hui, ce n’est plus le cas, les crises se superposent et s’additionnent", a déclaré début juillet lors d’une conférence de presse le chef d’État-major des armées françaises, Thierry Burkhard, citant un décompte du Comité international de la Croix-Rouge qui fait état de 120 conflits importants dans le monde aujourd’hui, contre 30 il y a 30 ans.
Cette conflictualité, par ailleurs de plus en plus multiforme, a un impact sur les chaînes logistiques. On l’a vu dans le transport maritime conteneurisé, contraint d’éviter quasiment du jour au lendemain une route maritime historique, celle qui passe par la mer Rouge et le canal de Suez, en raison des attaques des Houthis. On le voit aussi avec la guerre en Ukraine. Les transporteurs des pays de l’Est, qui avaient l’habitude de puiser dans le vivier ukrainien pour trouver des conducteurs, ont vu cette source se tarir, là aussi quasiment du jour au lendemain, dans un contexte déjà tendu de pénurie de conducteurs. Ce conflit impacte aussi très sérieusement les compagnies aériennes de l’Union européenne, interdites de survol du territoire russe, ce qui implique environ 2h30 de temps de vol supplémentaire par rapport, par exemple, à une compagnie chinoise. Cela signifie un surcoût d’environ 70 000 à 90 000 euros par rotation (aller-retour). L’impact en termes de compétitivité n’est donc pas neutre.
Le risque géopolitique a pris par ailleurs une nouvelle tournure avec l’élection de Donald Trump à la Maison-Blanche. Tout d’abord, le nouveau président des États-Unis a lui-même manifesté des volontés de conquête territoriale, citant notamment le Groenland et le Canada. Certes, le sujet a depuis quitté les devants de l’actualité trumpienne, mais il n’en est pas pour autant anodin, légitimant potentiellement les ambitions similaires d’autres grandes puissances.
Par ailleurs, Donald Trump a décidé d’utiliser l’arme des droits de douane, à la fois à des fins politiques et économiques, et dans des proportions sans commune mesure avec ce qui avait été déployé lors de son premier mandat. La Chine a montré qu’elle avait mis à profit le laps de temps qui s’est écoulé entre les deux mandats de Donald Trump pour peaufiner un arsenal de contre-mesures redoutablement efficace. L’Europe, en revanche, se montre bien plus démunie, et mesure le décalage entre ses ambitions affichées en matière de souveraineté et sa capacité à les concrétiser.
À cela s’ajoute un risque climatique qui grandit également année après année, frappant là aussi de manière imprévisible, et n’épargnant aucune région du monde.
Dans ce contexte, l’année 2024 a confirmé encore un peu plus le rôle stratégique des directions Supply Chain dans les organisations. La gestion de risque consiste à prévoir des solutions alternatives en cas d’aléas, mais aussi, de façon plus structurelle, à concevoir des schémas logistiques associant davantage robustesse à agilité. Le prix du transport reste un élément déterminant, toujours principalement tributaire de l’équilibre entre l’offre et la demande mais il n’est plus le seul, et surtout, on s’aperçoit que des facteurs autres que le rapport offre-demande peuvent l’influencer dans les proportions importantes.
Les entreprises commencent à avoir bien conscience de ces nouveaux enjeux et à les intégrer. Mais les derniers développements de l’année 2024 montrent que la stratégie en matière de chaîne d’approvisionnement est aussi une affaire éminemment politique. L’indépendance et la souveraineté passent par des politiques publiques ambitieuses en matière de Supply Chain.