Il aura fallu trois ans pour que se concrétise la transformation du cadre législatif du transport routier de marchandises (TRM) européen, voulue par la Commission. En approuvant sans modification, dans la nuit du 8 au 9 juillet 2020, les trois actes législatifs sur le TRM adoptés par les ministres de l’UE en avril 2020, le Parlement européen enclenche en effet le processus d’entrée en vigueur de ces textes.
Ce premier volet du Paquet Mobilité avait pour ambition affichée d’améliorer les conditions de travail des conducteurs et de réduire les distorsions de concurrence. Les textes adoptés vont notamment modifier :
Ces règles entreront en vigueur après leur publication au Journal officiel de l’UE, qui doit intervenir dans les semaines qui viennent. Sur le premier point, la transition sera courte puisque les règles sur les temps de repos, y compris les retours des conducteurs, s’appliqueront 20 jours après la publication de l’acte. Sur les autres points, les règles s’appliqueront 18 mois après l’entrée en vigueur des actes législatifs.
1. Temps de conduite et de repos
Sur le premier point, le nouveau règlement instaure l’obligation de permettre aux conducteurs du secteur du transport international de marchandises de rentrer chez eux à intervalles réguliers. Reste toutefois une ambiguïté de taille : les conducteurs peuvent soit rejoindre un centre opérationnel de l'entreprise de transport dans son État membre d'établissement soit leur lieu de résidence. Ils sont en théorie libres de choisir où passer leur temps de repos mais dans les faits, certains craignent que les conducteurs soient fortement incités à rejoindre un centre opérationnel plutôt qu’à rentrer réellement rentrer chez eux.
Le texte prévoit par ailleurs que le repos hebdomadaire normal ne peut pas être pris dans la cabine du camion. Par conséquent, si ce temps de repos n’intervient pas sur le lieu de résidence, l’entreprise doit payer les frais d’hébergement. Sur ce point, la difficulté majeure vient du manque crucial "d’aires de stationnement sûres et sécurisées offrant des niveaux de sécurité appropriés et des installations adéquates". La Commission est chargée d’élaborer des normes qui "contribueront à favoriser la création d'aires de stationnement de haute qualité."
2. Les conditions de détachement des conducteurs
Le transport routier sera intégré à la directive sur le détachement des travailleurs, mais avec des dispositions spécifiques permettant de tenir compte du caractère "extrêmement mobile" de la main d’œuvre. "Les règles en matière de détachement s’appliqueront au cabotage et aux opérations de transport international, à l’exception du transit, des opérations bilatérales et des opérations bilatérales avec deux chargements ou déchargements supplémentaires", précise un communiqué du Parlement publié à l’issue du vote. Le Parlement se félicite que ces règles s’appliquent également aux pays tiers.
3. Concurrence équitable et lutte contre la fraude
Dans ce domaine, le législateur a d’abord prévu de s’attaquer au problème des sociétés "boîtes aux lettres" : les entreprises de transport routier devront être en mesure de démontrer qu’elles ont un volume important d’activités dans l’État membre où elles sont enregistrées. Les nouvelles règles exigeront également que les camions retournent au centre opérationnel de l’entreprise toutes les huit semaines. Un point qui fait grincer des dents du côté de la Commission européenne. "Les avancées sociales du Paquet Mobilité 1 sont importantes, et à ce titre, je me félicite du vote intervenu au Parlement. Mais la Commission regrette que certaines dispositions ne soient potentiellement pas en phase avec les ambitions du Pacte Vert pour l'Europe ("Green Deal") et les objectifs de neutralité carbone à l’horizon 2050. C’est en particulier le cas du retour obligatoire des véhicules toutes les 8 semaines dans le pays membre d’origine, ainsi que des restrictions imposées en matière d’opérations de transport combiné", a réagi la commissaire européenne aux Transports, Adina-Ioana Vălean. La Commission avait déjà émis des réserves sur ces deux points dans une communication publiée au mois de mai 2020. Principal argument mis en avant : ces dispositions nuiraient aux objectifs de réduction de la pollution, le retour obligatoire des véhicules engendrant notamment des kilomètres à vide. La Commission mène actuellement une étude d’impact et ne s’interdit pas de mettre sur la table une nouvelle proposition législative ciblée avant que ces deux dispositions n’entrent en vigueur. Elle trouve un écho favorable du côté de certains pays de l’Est de l’Europe, qui étaient farouchement opposés au Paquet Mobilité 1 et estiment aujourd’hui avoir perdu la bataille. Il faut dire que ces mesures pèseront lourd sur les coûts d'exploitation des transporteurs de ces pays, comme le montrait par exemple pour la Pologne une étude du cabinet de conseil Pwc Poland.
Dans ce chapitre de lutte contre la concurrence déloyale, le législateur a également agi en décidant de soumettre les véhicules utilitaires légers de plus de 2,5 tonnes à un certain nombre de règles, à commencer par l’installation d’un tachygraphe.
Enfin, afin de prévenir le cabotage systématique, une période de carence de quatre jours sera introduite avant que d’autres opérations de cabotage puissent être effectuées dans le même pays avec le même véhicule.
Lors d’une conférence de presse organisée le 9 juillet après le vote du Parlement européen, les rapporteurs des différents textes ont indiqué que la Commission européenne publierait des lignes directrices à l’automne pour clarifier encore un certain nombre de points.