Les acteurs du transport maritime de conteneurs sont résolument engagés dans la décarbonation du secteur, mais les progrès sont lents. Pour atteindre un transport maritime réellement zéro émission, sans transfert à terre de la pollution maritime, le nucléaire est la seule technologie mature disponible, comme nous l’avions déjà souligné il y a trois ans dans un article consacré au verdissement du transport maritime.
Il existe pourtant à ce jour peu d’exemples civils de recours à la propulsion nucléaire. Jusqu’à présent, les enjeux qu’elle soulève en termes de sécurité, et donc d’acceptabilité, ont freiné son adoption. Pourtant, depuis quelques mois, des programmes de recherche appliquée de grande ampleur remettent au goût du jour cette technologie.
Si l’on fait abstraction des coûts de fabrication et de déconstruction, la magie de cette technologie réside dans le fait que les seuls rejets sont de la vapeur d’eau et qu’un navire peut naviguer plusieurs années sans refaire le plein ce qui, soit dit en passant, ne ferait guère l’affaire des compagnies pétrolières. D’autre part, des puissances colossales peuvent être tirées des turbines à vapeur, permettant aux navires d’atteindre des vitesses commerciales dépassant les 25 nœuds.
Cette technologie devrait donc a priori séduire les chargeurs et la supply chain moderne en combinant deux attentes fondamentales autrement inconciliables : l’augmentation de la vitesse et la baisse drastique des émissions.
Pour les chercheurs et les analystes d’aujourd’hui, il s’agit donc de reprendre l’histoire là où elle avait échoué dans les années 60 sur deux écueils majeurs, les coûts et les refus de transit portuaire, coupant court à toute exploitation commerciale de ces navires.
La question des autorisations de transit dans des zones politiquement instables n’est pas une mince affaire non plus. On imagine mal, par exemple, des navires à propulsion nucléaire naviguer en ce moment via le canal de Suez. L’adoption de cette technologie pourrait donc favoriser le développement de solutions alternatives. Les grandes compagnies occidentales ont réaffirmé à plusieurs reprises leur refus d’un passage par la Route Maritime Nord, officiellement pour des raisons écologiques mais sans doute aussi pour des questions géostratégiques puisqu’il s’agit d’emprunter un espace maritime contrôlé par la Russie. En revanche, d’autres acteurs s’y intéressent de près. L'agence nucléaire russe Rosatom a annoncé en juin dernier la signature d’un protocole d'accord avec la compagnie maritime chinoise Hainan Yangpu NewNew Shipping. Il vise à établir une coentreprise pour la conception et la construction de navires porte-conteneurs et l'exploitation partagée d’une ligne maritime ouverte toute l’année via la Route Maritime Nord.
Ce projet est loin d’avoir abouti, et il ne prévoit de relier que la Chine et la Russie. Cependant, si les deux pays parviennent à bâtir une offre tangible sur ce nouveau corridor en devenir, nucléaire ou pas, on peut imaginer que son extension à l’Europe pourrait constituer l’étape suivante. La Chine dispose d’un atout : le terminal à conteneurs de Gdynia (GCT) est exploité par Hutchison Port Holdings, une filiale de CK Hutchison Holdings, dont le siège est à Hong Kong. De quoi se prendre à rêver d'une offre de transport maritime décarboné à grande échelle de Shanghaï jusqu’au nord de l’Europe, à zéro émission, dans un environnement sûr et à haute vitesse, 8 mois sur 12 (pour l’instant). Si l’on pense maîtrise de stocks, rotation accélérée des marchandises et bilan carbone, l’option est séduisante, même si elle n’existe encore que sur le papier.