Market Insights

Supply chain et transport en Europe : quelle reprise ?

Rédigé par William Béguerie | 18 mai 2020

Marasme durable, redémarrage rapide ou activité en dents de scie : examinons ensemble les différents scénarios possibles à l’issue de la première vague de la pandémie de Covid-19, et les conséquences sur le transport et la logistique en Europe.

La levée progressive des mesures de confinement se généralise en Europe. L’Autriche a été le premier pays à ouvrir le bal, suivie par la Tchéquie, le Danemark et l’Allemagne. L’Italie, l’Espagne et la France leur emboîtent le pas dans le courant du mois de mai. Le redémarrage des activités commerciales et industrielles dans toute l’Europe (ou presque) signe la fin du confinement strict, sans toutefois revenir à une la liberté totale de circulation des personnes dans l’Union européenne.

Une période transitoire, que l’on peut qualifier de période de reprise de l’activité, s’ouvre donc aujourd’hui. Mais le chemin sera difficile car la pandémie de coronavirus a eu un impact à la fois sur "la consommation, la production industrielle, l’investissement, le commerce les flux de capitaux et les chaînes d’approvisionnement", souligne la Commission européenne dans ses dernières prévisions, publiées le 6 mai. Le PIB devrait ainsi se contracter de 7,4% dans l’Union européenne en 2020, avec de fortes variations puisque le repli atteindrait par exemple 9,7% en Grèce mais "seulement" 4,3% en Pologne. D’autre part, la Commission souligne la persistance de grandes incertitudes, signalant notamment qu’une nouvelle vague d’infection pourrait se traduire par une réduction supplémentaire de 3% du PIB. Au niveau mondial, le déclin attendu du PIB s’élève à 8%.

Selon les chiffres de l’IRU, l’industrie du transport routier de marchandises, à l’échelle mondiale, a vu ses revenus plonger de 40% pendant la période de confinement, par rapport à l’an dernier. Dans certains secteurs, et notamment l’automobile, le textile, les fleurs ou les matériaux de construction, les opérations ont été quasiment réduites à néant. Les voyages à vide ont augmenté jusqu’à 40% et les nouveaux contrats ont diminué de 60-90%.

Il serait illusoire de prétendre décrire tous les scénarios économiques possibles de reprise. Nous allons donc nous concentrer sur trois scénarios référents - le pire, le meilleur et le plus probable -, pour décrire les conséquences de cette crise sur la supply chain et les transports, et dégager des idées pratiques qui peuvent nous servir d’enseignements.

> Le scénario noir : le pire des cas

Supposons que nous soyons incapables d’endiguer l’épidémie de Covid-19, qu'aucun vaccin ou traitement ne soit disponible avant longtemps et qu'il existe un besoin prolongé de maintenir des mesures de distanciation sociale. Dans un tel scénario, on peut s’attendre à un nombre important de faillites d'entreprises. Sont d’abord irrémédiablement condamnées toutes celles qui n’ont ou n’auront pas pu s’adapter aux mesures de distanciation sociale. Et pour les autres, ce scénario implique une baisse significative de la demande et de la productivité. L’impossibilité de couvrir totalement les frais fixes laisse alors entrevoir une deuxième vague de faillites.

Dans ce scénario, du côté des transporteurs, les entreprises restent, comme pendant le confinement, à 50% de leur volume nominal. Chez les chargeurs, les entreprises de produits non essentiels voient leur chiffre d’affaire s’effondrer ; les autres voient leur chiffre d’affaires baisser mais leurs marges s’effondrer.

La préservation du cash est la clé de la survie. Tous les investissements sont réduits à zéro, ce qui précipite la faillite des fournisseurs (machines, carrosserie industrielle, ...).

La période d’hibernation économique vécue pendant le confinement continue. Le retour à la normale est donc un processus très douloureux pour les clients, les prestataires et les fabricants. Ce scénario est celui dit de la courbe en L.

> Le scénario blanc, le meilleur des cas

L'Union Européenne est en mesure de contrôler et de réduire la pandémie grâce aux tests et à la distanciation sociale. La vie revient quasiment à la normale courant juillet 2020.

Les chantiers redémarrent, toutes les usines, y compris dans l’automobile, reprennent la production. Les entreprises se mobilisent pour accélérer leurs activités et rattraper le temps perdu : honorer les commandes mises en attente et essayer de réduire les délais de retard pris pendant le confinement. Le mot d’ordre pour toutes les entreprises intermédiaires : "regonfler les stocks de réapprovisionnement", car une partie est devenue obsolète.

La capacité logistique à fournir le service et les produits devient alors cruciale voire problématique, d’abord parce que la demande est très forte et ensuite parce que certains prestataires n’ont pas survécu aux conséquences de la première vague sur leur activité.

Le transport retombe dans ses préoccupations structurelles de manque de chauffeurs. L’Union Européenne proroge les assouplissements votés pendant le confinement avec roulage facilité. Certains pays ou Länder comme le Schleswig-Holstein maintiennent le droit de circuler le dimanche.

Ce scénario blanc est celui de dit de la courbe en forme de V. On peut alors légitimement estimer une forte augmentation (supérieure à 20%) du prix des prestations de transport et de préparation dans les entrepôts logistiques.

> Le scénario gris, une reprise progressive

Les pics de pandémie varient dans le temps et dans leur ampleur selon les pays. La crainte d’une deuxième vague violente venue d’ailleurs occupe dans tous les esprits. Les effets de la pandémie sur l’économie s’étendent au-delà du deuxième trimestre.

La demande est durablement affaiblie. L'usine d'un fournisseur peut fonctionner pendant quelques semaines puis s’arrêter de nouveau quelques semaines. D’un pays à l’autre, les frontières peuvent s’ouvrir puis se refermer…

L’automobile est un secteur très touché parce que ses approvisionnements sont mondiaux. Cela implique que les constructeurs doivent être capables de changer leur sourcing en fonction des aléas. De multiples ruptures d’approvisionnement sont probables. Réduire la gamme de leur fabrication pour diminuer les risques de rupture peut être une solution envisagée.

Tous les autres secteurs sont également touchés mais le degré est fonction de leur exposition à des approvisionnements mondiaux voire européens. En effet, l’économie européenne est largement mondialisée ; et à l’intérieur de l’UE, l’industrie manufacturière s’est déplacée vers l’Europe centrale et orientale. Idem pour le transport international : celui-ci est opéré par les flottes polonaises, roumaines, bulgares, hongroises ou lituaniennes.

Toute fermeture de frontière, comme ce fut le cas à la frontière tchèque lors de la première vague, entraîne des ruptures de produits finis et de produits intermédiaires, mais aussi empêche les chauffeurs de rentrer ou sortir de chez eux pour faire rouler les camions dans d’autres pays.

Le scénario le plus probable est celui dit du V/L alternés plusieurs fois au gré de la résurgence du virus.

Quels enseignements tirer de ces 3 scénarios ?

La gestion du cash, le pilotage fin de la Supply Chain et la préservation de son écosystème en prenant soin de ses partenaires sont primordiaux.

  • Limiter l’utilisation du cash au strict nécessaire semble être une décision de bon père de famille. Nul ne sait quelles seront les futures évolutions de la pandémie ; autant rester prudent. De plus, aider à la réduction de la consommation du cash de ses partenaires (notamment logistiques) peut permettre de ne pas subir les futures augmentations de coûts qui apparaîtront nécessairement lorsque trop d’acteurs auront disparu.
  • Adapter sa supply chain, la rendre agile et réactive aux limitations de circulation et aux interruptions de flux est une arme indispensable pour continuer à servir ses clients dans les meilleures conditions. Augmenter les stocks, multiplier les sources et s’assurer des capacités de transport tout en améliorant les procédures de contrôle pour limiter les risques semblent importants.
  • Enfin, préserver et renforcer son écosystème, c’est coopérer avec ses fournisseurs voire ses pairs pour améliorer sa propre efficacité. Par exemple, mettre en commun l’affrètement des matériels de transport serait un moyen sûr pour diminuer les kilomètres à vide et augmenter la capacité de transport de facto. Sur ce point, le recours à des outils digitaux, source d’économie de paperasserie et outil de conquête de nouveaux clients et fournisseurs, est une piste à considérer encore plus urgemment.