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Transport routier français : le bilan 2023 révèle l’érosion des marges

Rédigé par Anne Kerriou | 22 novembre 2024

Les résultats financiers du secteur du transport routier en France, présentés lors du congrès de la FNTR, illustrent le ralentissement net de l’activité.

L’enquête annuelle de la Banque de France sur le transport routier de marchandises en France, dévoilée lors du dernier congrès de la FNTR, met en évidence la fragilisation du secteur en 2023.

1/ Les données financières

Tableau 1 - Source des données : Banque de France - Étude sur la situation économique et financière des entreprises de TRM, novembre 2024.

  • Chiffre d’affaires

Le secteur du transport routier de marchandises français a connu deux années de croissance à deux chiffres de ses revenus : +10,6 % en 2021 et + 11,9% en 2022. Toutefois, ces hausses étaient très largement imputables à la répercussion de l’augmentation des prix du carburant. Les résultats 2023 le confirment : maintenant que les prix du carburant sont repartis à la baisse, la progression du chiffre d’affaires du secteur est tombée à +0,8%.

En effet, le niveau d’activité n’a pas permis de compenser l’effet carburant. Des secteurs clés pour le transport routier, comme la grande distribution ou le bâtiment, ont en effet subi un ralentissement économique significatif, a précisé Carine Jupin, directrice régionale de la Banque de France Hauts-de-France, lors de la présentation des résultats de l’enquête.

  • Rentabilité

L’évolution des marges, dans un secteur où elles sont déjà traditionnellement faibles, est encore plus préoccupante. Le taux de résultat courant avant impôt (RCAI), c’est-à-dire le ratio RCAI/chiffre d’affaires a chuté de 0,8 point, passant de 2,2% en 2022 à 1,4% en 2023. Il atteint ainsi son plus bas niveau de la période 2019-2023 puisque même en 2020, quand la pandémie de Covid-19 avait partiellement paralysé l’activité, le taux de résultat courant avant impôt avait atteint 1,5%. En 2022, le secteur avait bénéficié de mesures de soutien exceptionnelles qui avaient permis d’amortir le choc, alors que l’on est maintenant "revenu à des subventions classiques de longue période", analyse Carine Jupin.

Les entreprises subissent l’impact du déclin de l’activité, qui avait commencé en 2022 mais s’est accentué en 2023 (voir tableau 3). D’autre part, l’inflation des coûts d’exploitation se poursuit. Selon l’enquête longue distance annuelle 2023 publiée par le Comité national routier (CNR), le coût total annuel du personnel de conduite a augmenté de 5% entre 2022 et 2023, avec en particulier une progression de + 4,1 % pour la rémunération brute moyenne d’un conducteur. Or ce poste de coût est très important puisqu’il représente 35,3 % du coût de revient total d’un véhicule en 2023.

Les autres postes de coûts sont également sous pression. La seule baisse concerne le carburant, en raison de la baisse des prix du pétrole.

Tableau 2 - Source : Enquête CNR Longue Distance 2023

La fragilisation du secteur se reflète aussi dans le nombre d’entreprises dans le rouge. Elles étaient 40% en 2023, contre 31% en 2022. "On est proche du niveau constaté lors de la crise financière et économique de 2008-2009", a souligné la représentante de la Banque de France. Et sur les 4 entreprises sur 10 qui sont déficitaires, la moitié l’était déjà l’année précédente.

  • Endettement

L’endettement financier des entreprises de transport routier de marchandises a diminué, en lien principalement avec le remboursement des PGE (prêts garantis par l’État) octroyés lors de la crise Covid. Un indicateur suscite en revanche une certaine inquiétude : la capacité de remboursement, c’est-à-dire le ratio entre endettement financier et la capacité d’autofinancement. Lorsque cet indicateur est supérieur à 7 ans, cela témoigne d’une certaine fragilisation de l’entreprise car elle a alors plus de difficultés à trouver des financements. En 2023, 1 entreprise sur 4 était dans cette situation, contre 1 sur 5 l’année précédente.

2/ Les données opérationnelles

En 2023, les camions et tracteurs routiers du pavillon français ont connu une contraction de leur activité de transport de marchandises de 2,5 % sur un an, qui est passée de 168,4 milliards de tonnes-kilomètres en 2022 à 164,2 milliards en 2023, indique le Bilan annuel des transports 2023 publié en novembre 2024 par le ministère des Transports. Le transport national du pavillon français, c’est-à-dire le transport de marchandises entre deux villes du territoire métropolitain effectué par des poids lourds immatriculés en France, représente près de 96 % du transport intérieur du pavillon français. Il a diminué de 2,3 % sur un an, passant de 161,0 milliards de tonnes-kilomètres en 2022 à 157,3 milliards en 2023. La baisse est plus marquée pour le transport national opéré pour compte propre (- 7,2%) que pour le compte d’autrui (- 1,6%).

Tableau 3 - Source : Bilan annuel des transports 2023 - (*) Véhicules de moins de 15 ans - Camions de plus de 3,5 tonnes de PTAC et tracteurs routiers de 5 tonnes de PTRA ou plus. (**) Pour assurer la continuité des séries à la suite de la sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne, la contribution du pavillon britannique est estimée à partir de 2021. (***) Estimations à partir du TRM européen d'Eurostat, données 2023 provisoires, 2022 révisées. Champ : France métropolitaine. Sources des données : SDES, enquête TRM ; Eurostat, TRM-EU. 

L’enquête longue distance annuelle 2023 publiée par le Comité national routier (CNR) étaye également le constat posé par l’enquête de la Banque de France sur la dégradation du marché du transport routier. Les conditions d’exploitation des véhicules se détériorent en 2023. L’indicateur de production d’un véhicule calculé par le CNR diminue ainsi de -2% par rapport à 2022. "Le déficit de production par rapport à 2019, dernière année pleine avant crise covid, atteint - 6,7 % en 2023", précise le CNR. Par ailleurs, l’indicateur d’activité du parc des ensembles articulés longue distance s’élève en 2023 à 94,4. Il faut remonter à 2010, juste après la crise de 2008 / 2009, pour retrouver une valeur plus faible (94). Le kilométrage moyen a baissé de 0,8% en 2023, après avoir déjà reculé de 3,4% en 2022.

L’enquête du CNR met également en évidence une diminution de 0,9% du taux de chargement, ce qui renforce la tendance constatée l’année précédente (-0,6%).

Source : Enquête CNR Longue Distance 2023

Les données disponibles à ce jour pour l’année 2024 montrent une évolution toujours défavorable. Les volumes sont en baisse et les coûts d’exploitation, hors gazole, restent sous pression inflationniste. Dans ce contexte morose, les transporteurs éprouvent des difficultés à répercuter ces hausses de coûts sur les prix de transport. Étant donné la faiblesse structurelle des marges et leur dégradation, la situation devient périlleuse.