Market Insights

Transport routier : un marché prometteur pour les investisseurs

Rédigé par William Béguerie & David Thebault | 10 août 2021

Globalement, les fonds d’investissement s’intéressent encore assez peu au transport routier de marchandises. Un secteur cyclique mais pourtant prometteur, comme le révèlent les témoignages que nous avons recueillis.

L'économie des transports diffère de l'économie générale par son aspect dynamique, complexe et non figé. Parce que les marchandises circulent dans des réseaux à plusieurs vitesses et sur des distances diverses, le secteur est parfois difficile à appréhender pour un investisseur habitué à effectuer des raisonnements linéaires comme dans l’industrie.

D’autre part, en bourse, les sociétés de transports sont considérées comme des valeurs cycliques. Lorsque la conjoncture économique se porte bien, elles offrent de bons rendements aux actionnaires. Mais dans l’autre sens, elles sont également très sensibles aux ralentissements du marché.

Un secteur cyclique et complexe

La pandémie de coronavirus a bien montré cette complexité du secteur des transports et son hypersensibilité au contexte économique.

Les revenus des compagnies aériennes ont diminué de 70 % ou plus en 2020, et la demande de voyages en avion ne devrait pas revenir aux niveaux d'avant la pandémie avant la seconde moitié de la décennie. À l’inverse, les compagnies maritimes, à la peine financièrement depuis de nombreuses années, ont engrangé des profits record.

De même, la croissance du e-commerce liée à la pandémie a engendré une augmentation spectaculaire des volumes d'expédition pour des entreprises comme UPS, FedEx ou DHL. On peut parier que le commerce électronique, après la pandémie, restera vigoureux. Les revenus des entreprises de transport continueront donc probablement à croître, ce qui pourrait faire monter leur attractivité pour les investisseurs.

Mesurer l’efficacité des sociétés de transport routier

Depuis plusieurs mois, le secteur du transport routier de marchandises connaît d’ailleurs une augmentation des volumes, qui favorise une hausse des taux de fret. Selon la base de données Upply, les prix du transport routier à l’échelle européenne sont en augmentation de +3,2% depuis le début de l’année. Toutefois à l’échelle mondiale, le secteur est encore pénalisé par les restrictions économiques qui pèsent sur les performances des entreprises. Une étude publiée par l’IRU (Union internationale des transports) estime à 347 milliards de dollars les pertes pour les entreprises du transport routier de marchandises en 2021 au niveau mondial.

Pour les investisseurs, plusieurs critères permettent de mieux cerner l’efficacité d’une société de transport routier.

  • Un contrôle strict des coûts fixes : les entreprises de transport ont généralement des coûts fixes élevés, car c'est une activité à forte intensité capitalistique. La production de transport met en jeu du capital (camions, remorques…), dont les meilleurs savent optimiser l’utilisation.
  • Une maîtrise des dépenses énergétiques : le secteur est un gros consommateur d'énergie. Les performances financières des sociétés de transport sont liées au prix du pétrole brut. Réduire l’empreinte carbone et donc le besoin en diesel et mettre en place un processus d’amélioration continue de l’efficacité énergétique constituent des priorités pour les meilleures entreprises de transport.
  • Pour les commissionnaires de transport, la marge commerciale et le ratio d’exploitation (coûts d’exploitation / chiffres d’affaires) sont des critères d’appréciations essentiels puisqu’ils montrent si les achats de transport et l’organisation sont compétitifs ou non.

Financer la modernisation du transport routier

Le secteur du transport routier de marchandises est un marché de niche pour les fonds d’investissement. En Europe, les opérations réalisées dans ce secteur ne représentent que 1,8% des actifs détenus par les fonds.

Mais cette situation pourrait évoluer à partir du second semestre 2021 si la reprise économique s’accélère.

  • Pour les investisseurs, le secteur représente une belle opportunité de placement, car il est faiblement valorisé et par ailleurs attractif en cas d’anticipation d’un retournement rapide du cycle économique. "Nous sentons actuellement un marché très actif et une compétition accrue qui rend plus difficile la finalisation des transactions. Parce que le prix des entreprises reste raisonnable, les fonds d’investissements sont attirés. On a aujourd’hui la valorisation des entreprises de transport qui dépasse la barrière des multiples connus (5 à 6 fois les bénéfices) avec des perspectives de hausses futures. Cela accélèrera la consolidation, et la modernisation du secteur", estime Thibaud de Portzamparc, directeur du fonds d’investissement Siparex.
  • Pour les transporteurs, le recours aux outils d’ingénierie financière proposés par les fonds d’investissement peut se révéler une aide précieuse. Les entreprises de transport ont besoin de ressources financières importantes pour acheter l'équipement dont elles ont besoin. Beaucoup choisissent de financer ces dépenses en immobilisations au moyen d'une dette à long terme mais d’autres se tournent vers des financeurs. Les fonds d’investissements interviennent également dans plusieurs types d’opérations qui intéressent de près la vie des PME : investissement en capital, acquisition, transmission, cession, LBO. Au-delà de leur rôle purement financier, les fonds peuvent apporter des prestations de conseil dans les cas de transmission ou de reprise d’une entreprise par ses cadres dirigeants.

La recherche d’une taille critique est l’élément principal pour lancer une opération de croissance externe qui nécessitera des financements de la part des banques ou des fonds d’investissement. Dans le cas du transport routier, il s’agira le plus souvent d’étendre le maillage territorial, à l’échelle nationale voire européenne, mais aussi d’étoffer la gamme de services via des acquisitions ciblées (transport frigorifique, livraison urbaine, ...). Les fonds d’investissement ont leur rôle à jouer pour renforcer le capital et être de véritables partenaires dans l’émergence de leaders du transport dotés d’un maillage et de compétences étendues.

Ce sont aussi de potentiels acteurs de la transition énergétique. L’évolution des normes environnementales implique des investissements massifs pour le renouvellement des flottes et le passage à des motorisations GNC/GNL, hydrogène ou électrique. Ce mouvement stimule les besoins de financement et favorise le regroupement d’acteurs à la recherche d’économies d’échelle.

Retours d’expérience

  • Siparex et Jacky Perrenot

Siparex est l’un des tout premiers groupes de capital investissement français indépendants, et l’un des plus présents dans le transport routier de marchandises. Son métier est d’investir en fonds propres dans les entreprises en apportant une dynamique de croissance. Le groupe, qui totalise 2,5 Md€ d’euros d’actifs gérés, revendique dans ses valeurs une stratégie d’actionnaire actif sans être interventionniste. "Lorsque nous investissons en tant qu’actionnaire minoritaire, nous sommes avant tout très attentifs à la qualité des managers de l’entreprise et à la qualité de leur vision. Nous souhaitons leur donner les moyens de mettre en œuvre et développer leur stratégie", détaille Thibaud de Portzamparc, directeur chez Siparex.

L’investissement réalisé dans le groupe Jacky Perrenot apporte un bon exemple de l’effet d’accélérateur que peut avoir un fonds d’investissements. "Nous avons été séduits par ce transporteur, qui avait déjà la plus grosse flotte verte d’Europe avec 15 % de camions roulant au gaz. Nous sommes entrés au capital en janvier 2020, lui permettant de racheter plus de 200 millions d’euros de chiffres d’affaires en deux ans avec la reprise de Le Calvez et celle de VIR". Jacky Perrenot est aujourd’hui l’un des premiers acteurs français du transport routier de marchandises avec un chiffre d’affaires de près de 900 M€. Il s’appuie sur un maillage territorial fin (82 sites) et compte une des plus importantes flottes européennes (7 800 véhicules).

  • Arcole Industries et Girard Agediss

Arcole Industries est un autre nom bien connu dans le secteur du transport, mais il ne s’agit pas d’un fonds d’investissements, tient à préciser Renaud Sueur, associé et Président du directoire de Arcole Industries. "C’est une société anonyme, dont le capital est détenu par son équipe de management et par différents actionnaires réunis depuis sa création. Elle investit sur ses fonds propres, ce qui lui permet de gérer les entreprises dans la durée, sans obligation de cession".

Arcole Industries s’est spécialisé dans les affaires en difficulté. "Notre engagement est pragmatique et concret. Nous apportons les moyens humains et financiers nécessaires au redressement, à l’amélioration des performances, puis à la reprise d’un développement solide", indique Renaud Sueur. "Arcole Industries recherche la croissance et la rentabilité, en se fondant sur un projet industriel, qui se déploie dans la durée. Nous soutenons nos entreprises notamment en partageant les bonnes pratiques et en apportant des supports spécifiques pour le développement de la digitalisation ou la prise en compte des critères ESG (critères environnementaux, sociaux et de gouvernance, ndlr)".

La société est notamment intervenue auprès du groupe Girard Agediss, un logisticien spécialisé dans le transport de meubles et d’encombrants vers le professionnel et le particulier. Le groupe avait été placé en redressement judiciaire en 2010 à la suite du dépôt de bilan de la CAMIF, un de ses tous premiers clients. "Afin de le doter d’une surface financière suffisante pour retrouver la confiance de ses différents partenaires (fournisseurs, clients), Arcole Industries et le FCDE ont capitalisé le groupe Girard Agediss à hauteur de 11 M€. Nous avons redressé l’entreprise en redimensionnant l’effectif pour le mettre en adéquation avec le niveau d’activité, en mettant en place un plan de transport pragmatique et en réduisant les coûts", témoigne Renaud Sueur.

Ce plan d’action a permis au transporteur de retrouver en 15 mois une exploitation positive, puis de renouer avec la croissance par l’acquisition de nouveaux clients et l’élargissement de la gamme de prestations. En point d’orgue, en 2015, Girard Agediss est redevenu le leader français de la livraison de produits encombrants et de meubles dans le dernier kilomètre, avec un chiffre d’affaires annuel de près de 70 M€. En 2016, la société a été cédée au Groupe 3SI (Mondial Relay, Dispeo, Mezzo) pour enrichir la palette de prestations proposées par le Groupe 3SI aux e-commerçants en France.

"Nous ne nous interdisons pas de revenir dans le monde du transport si l’opportunité se présente. Nous y sommes aujourd’hui de manière connexe avec BENALU, qui est le plus grand fabricant de bennes aluminium en France avec une part de marché de plus de 50%", précise Renaud Sueur.

  • Waberer’s et Mid Europa Partners

Olivier Van Houtte, manager de transition, est arrivé chez Waberer’s en tant que directeur des Opérations fin août 2019. L’entreprise de transport hongroise, qui figure parmi les leaders européens du marché de transport routier, enregistrait alors des pertes croissantes depuis plus de 3 ans. Le fonds d’investissement Mid Europa Partners (MEP), propriétaire de plus de 70% du capital du transporteur, avait missionné son entreprise, Amadeus Executive, pour l’aider à redresser drastiquement la situation. En moins de 18 mois, après une refonte complète des organisations et du modèle économique, ainsi qu’un plan de restructuration important, l'entreprise a renoué avec la croissance et les bénéfices.

Le fonds MEP a commencé à "sortir" de la société hongroise en revendant une partie de ses parts à un autre fond hongrois-américain, Indotek, et surtout à l’ancien fondateur de l’entreprise, György Wáberer, qui détient désormais 20% du capital. "La relation avec le fond MEP était très régulière, au minimum hebdomadaire", précise Olivier Van Houtte.

Le redressement a commencé par un diagnostic précis de la situation. "Premièrement, Waberer’s avait placé depuis des années sa croissance fulgurante sur de faibles coûts de production ; mais cet avantage concurrentiel a été battu en brèche par la concurrence des autres pays de l’Europe de l’Est. Deuxièmement, le modèle économique de type "taxi", c’est-à-dire consistant à affecter les lots au camion au fil au plus près du lieu de chargement sans tenir compte du point de livraison, générait des surcoûts importants en raison des kilomètres à vide additionnels et de l’envoi de la flotte dans des régions moins propices au rechargement. Troisièmement, les organisations étaient construites en silo, le commerce et les opérations se parlaient peu", détaille Olivier Van Houtte.

Puis dans un second temps, le plan d’action a été déployé. Plus de 1 000 camions ont été retirés de la flotte. "L’Europe a été divisée en régions ou clusters, et le principe est de faire des aller-retours entre les clusters. Le travail du commerce et des opérations s’en est trouvé facilité et nous avons pu retrouver des points de marge. Tout ceci n’aurait pu se faire sans la confiance des partenaires de MEP qui suivaient le dossier", souligner Olivier Van Houtte.

Le recours à des fonds d’investissement ou à des financeurs autres que des banques peut donc être une option à considérer, surtout si l’on adjoint le conseil aux considérations purement financières.