Market Insights

2009-2019 : que sont devenus les "Big 3" du transport maritime ?

Rédigé par Jérôme de Ricqlès | 24 juin 2019

Le paysage mondial des compagnies maritimes s’est considérablement transformé en une décennie. Des "Big 3" Maersk Line, MSC et CMA jusqu’à la création de l’alliance P3, retour sur une brève tentative de "hold up" européen, qui s’est finalement soldée par le renforcement du leadership chinois sur l’industrie.

Souvenez-vous… Dans les années 50, en plein "American Dream", Ford, General Motors et Chrysler dominent l’industrie automobile face à des constructeurs indépendants qui vont rapidement fusionner ou disparaître, comme Hudson, Packard, Nash ou Studebaker. Les trois acteurs principaux du marché sont alors souvent désignés sous le nom de "Big 3".

Dans les années 2000, les consultants de tout poil ressortent la formule pour désigner cette fois les compagnies maritimes leaders sur le marché du transport de conteneurs : Maersk Line, MSC et CMA CGM.

L’explosion des capacités

En 2009, dans un climat économique plombé par les conséquences de la faillite de Lehmann Brothers, les pertes s’accumulent pour la quasi-totalité des compagnies. La surcapacité est déjà pointée du doigt comme un fléau de l’industrie, ce qui montre au passage que ce phénomène que l’on a pu considérer comme ponctuel se révèle plutôt structurel puisqu’il sévit dans l’industrie du liner depuis maintenant près de trois décennies.

Pas étonnant, quand l’on considère l’évolution de l’offre, notamment au cours de la dernière décennie. L’évolution de la taille des navires en 10 ans est tout simplement incroyable, et sans équivalent dans les autres secteurs du transport.

 

Les forces en présence

En 2009, solidement installé à la place de n°1 sur le podium mondial, on retrouve Maersk Line. La compagnie privilégie les relations directes avec les chargeurs et se montre également précurseur sur le marché du reefer. Maersk Line se garantit ainsi une position de leader qu’elle parvient à conserver lorsque se déclenche la course à la part de marché, grâce à l’importante acquisition de P&O Nedlloyd en 2005 puis le rachat au fil de l’eau de compagnies de second rang ou spécialisées.

Toujours en 2009, MSC fait figure de brillant second. L’entreprise commence à renouveler significativement sa flotte. Elle mise principalement sur le marché des commissionnaires de transport et connaît alors une vigoureuse croissance organique. En termes de progression, d’influence sur le marché et de modèle économique, MSC apparaît comme le vainqueur incontestable de ces deux dernières décennies, si l’on fait abstraction des récents développement du côté de la Chine.

CMA CGM connaît alors son âge d’or. La compagnie a parié sur la Chine dès le début des années 2000 et tire pleinement profit de ce positionnement. Elle sera d’ailleurs copiée par le reste de l’industrie. Autre coup de génie : CMA CGM ouvre l’Algérie au conteneur 40’ en plus du 20’, donnant ainsi naissance à une nouvelle dynamique rémunératrice. Au plus fort de la crise, Jacques Saadé, le patron de l’entreprise, affirme que seuls les plus grands ont une chance de survie. Une fois de plus, il avait raison et se montrait visionnaire. Même si l’équilibre financier de la compagnie était compliqué, la France pouvait s’enorgueillir de compter dans ses rangs le 3ème opérateur de ligne.

2013 – 2014 : le mirage européen

Assez naturellement, dans un contexte de dépression sans fin (à l’exception d’un court rebond au premier semestre 2010), l’idée d’une alliance opérationnelle entre les trois leaders du marché a émergé.

Les "Big 3" (qui détestaient ce nom, je vous laisse deviner pourquoi …) annoncent ainsi officiellement en juin 2013 la création d’une vaste alliance occidentale, baptisée P3. Objectif : assurer un meilleur contrôle des coûts, dans un contexte de déploiement massif de VLCS (very large container ships) au sein de toutes les compagnies majeures.

Le 24 mars 2014, la Federal Maritime Commission américaine donne son accord à la création de cette alliance. Quelques semaines plus tard, le 3 juin, la Commission européenne lui emboîte le pas. Pour l’ensemble des acteurs de lignes maritimes conteneurisées, l’affaire semble alors entendue. L’accord du ministère du Commerce chinois fait figure de formalité, et l’architecture des nouveaux services est en phase de finalisation. Les discussions portent alors sur l’emplacement du futur siège, tandis que le reste de l’industrie s’attelle à mettre en place à la hâte de nouveaux modèles d’organisation pour contrer la future alliance et tenter ainsi de survivre.

Mais le 18 juin 2014, coup de tonnerre. Le marché apprend par la presse que la Chine a refusé de donner son aval à l’alliance P3, sans autre justification. C’est un choc absolu. Après plus d’un an de préparatifs, chacun s’est préparé au nouveau champ de bataille (et l’attend même avec une certaine impatience).

Ce rejet de l’alliance P3 en 2014 se comprend mieux aujourd’hui à la lumière des évolutions qu’a connu le projet des Routes de la Soie. Il était tout simplement inacceptable pour la Chine de voir émerger une méga alliance sans ADN chinois, dont les décideurs seraient implantés à Copenhague, Genève ou Marseille, et non à Shanghai.

Le projet d’alliance P3 menaçait clairement de détruire les efforts des autorités chinoises, qui soutenaient le rapprochement programmé de China Shipping et d’OOCL avec Cosco.

C’était probablement d’ailleurs la dernière opportunité pour les Européens de conserver un fort leadership sur le marché de la ligne maritime conteneurisée.

2019 : où en sommes-nous ?

L’alliance P3 a donc échoué, mais elle a finalement donné naissance à une très puissante et très efficace petite sœur, l’alliance 2M, entre Maersk Line et MSC.

Cette coopération se caractérise par beaucoup de cohérence et de complémentarités. Quand on voit que la part de marché détenue désormais par ces deux acteurs frôle les 33%, on mesure l’impact d’une alliance P3 qui aurait pu atteindre 44,3% (sur la base du rapport 2019 de BRS).

CMA CGM, de son côté, a connu au cours de ces dix dernières années la plus forte croissance de toute l’industrie. Les capacités offertes sont ainsi passées de 1 million à 2,68 millions d’EVP. Mais cela n’a pas suffi pour que la compagnie conserve son rang de n°3 mondial. C’est désormais Cosco qui tient ce rang avec une capacité offerte de 2,88 millions d’EVP, suite à l’intégration de China Shipping et OOCL.

Certes, Cosco est un partenaire de CMA CGM. Les deux acteurs ont fondé en 2016 l’Ocean Alliance avec Evergreen et OOCL. Mais le gros enjeu à venir sera celui de l’indépendance future de CMA CGM, dans une alliance très majoritairement sous influence chinoise.

Captain UPPLY

Crédit photo @ Anne Kerriou