La compagnie Brittany Ferries, basée à Roscoff, fut fondée en 1972 pour transporter des pommes de terre vers le Royaume-Uni. Au fil du temps, l’activité a évolué. L’entreprise est devenue un opérateur majeur entre le Royaume-Uni et la France pour les marchandises diverses et surtout pour les passagers, ouvrant un accès complémentaire aux destinations normandes, bretonnes et du Grand Sud-Ouest prisées par nos amis britanniques… Ne parle- t-on pas de "Dordonshire" à propos du département de la Dordogne !
À première vue, le partenariat annoncé par CMA CGM et Brittany Ferries à Nice, lors des Assises de la Mer, peut surprendre. Que vient faire le n°3 mondial du transport maritime conteneurisé, aux performances financières dopées par les niveaux actuels des taux de fret, auprès d’une compagnie très orientée sur l’activité passagers, fragilisée par la pandémie de Covid-19 et le Brexit ? Pourtant, à y regarder de plus près, les effluves de pomme de terre et de fleur d’oranger devraient harmonieusement s’unir.
Le partenariat prévoit un investissement de 25 millions d’euros de CMA CGM dans Brittany Ferries. Cet apport d’argent frais sera salutaire pour la compagnie bretonne, après deux années de dégradation des comptes qui l’ont contraint à solliciter un certain nombre d’aides publiques pour rester à flot.
Mais CMA CGM réalise également une bonne opération. Tout d’abord, l’investissement sera vu très bon œil par l’État, certainement heureux de constater une certaine solidarité franco-française entre entreprises, après qu’il ait lui-même consenti des efforts considérables pendant la pandémie dans de nombreux secteurs d’activité, au prix d’un "quoi qu’il en coûte" vertigineux. D’autre part, cet investissement somme toute modeste au regard des bénéfices actuellement engrangés présente un véritable intérêt opérationnel.
L’accord prévoit un partenariat commercial entre CMA CGM et Brittany Ferries, via l’utilisation des espaces de fret disponibles à bord des navires de Brittany Ferries desservant le Royaume-Uni, l’Irlande et la péninsule ibérique. "Le transport de marchandises Ro-Ro sur les navires Brittany Ferries permettra au groupe CMA CGM de renforcer son offre de transport sur le secteur Ro-Ro sur la façade Atlantique et Nord France vers la Grande-Bretagne", indique un communiqué du groupe.
Alors que le fonctionnement douanier post Brexit reste encore balbutiant, avec nombre de déclarations douanières non apurées, il paraît particulièrement pertinent pour le groupe CMA CGM, y compris pour sa banche de commission de transport Ceva Logistics, d’intégrer des options de transport maritime de courte distance complémentaires de son réseau actuel.
En termes de couverture commerciale, cela va permettre au groupe CMA CGM de pouvoir offrir dans les appels d’offre mondiaux des options souples entre le Royaume-Uni et le reste du monde, ce qui était jusqu’à présent assez délicat.
D’autre part, si les grandes alliances modifient leurs dessertes du range Nord de l’Europe en défaveur du UK, c’est-à-dire en privilégiant les escales des porte-conteneurs géants sur le continent et une desserte du Royaume-Uni par feeder, cet accord donnera une capillarité bienvenue et des options supplémentaires au groupe CMA CGM.
Enfin, stratégiquement, cela peut être également un moyen pour des marchandises françaises de bénéficier d’un accès privilégié aux nouveaux accords de libre-échange qu’a ou que va signer le Royaume-Uni.
Le partenariat avec CMA CGM pourrait par ailleurs permettre à Brittany Ferries de muscler son expertise dans le domaine du fret et de la logistique, et en particulier se développer dans le domaine du transport de remorques sans chauffeur, qui a le vent en poupe dans le contexte actuel de pénurie de conducteurs.
Les ferries, jusqu’à maintenant, transportent très peu de conteneurs sur châssis squelette car le fret voyage essentiellement en remorque de type tautliner. Le savoir-faire de CMA CGM en matière de transport routier de conteneurs pourrait peut-être faire basculer certains trafics, alors que la question de la continuité de la desserte du Royaume-Uni par les grands navires océaniques de plus de 20 000 EVP se pose chaque jour un peu plus. La navigation de ces mastodontes dans le Solent, la voie maritime qui mène au port de Southampton, reste très complexe. Par ailleurs, cette voie subit de nombreuses congestions, tout comme Felixstowe et London Gateway.