Alors que les Accords de Libre-Echange (ALE) devaient stimuler les échanges commerciaux entre l'UE et ses partenaires préférentiels, les données commerciales de 2018 montrent un résultat plutôt décevant, selon le 3e rapport annuel sur la mise en œuvre des accords commerciaux, publié par l'Union européenne le 14 octobre 2019. Le volume des exportations et des importations entre l'UE et ses partenaires préférentiels a respectivement diminué de 6% et 1,3%, alors qu'avec l'ensemble des États non membres de l'UE, l'érosion se limite à 2,3% pour les exportations tandis que les importations ont progressé de 2,3%. 31% des échanges de l'UE (33% des exportations et 29% des importations) ont été réalisés avec des pays bénéficiant d'accords de libre-échange préférentiels en 2018.
Dans cet article, nous tenterons de décortiquer cette réduction du volume des exportations de l'UE vers ses partenaires préférentiels en 2018 et examinerons brièvement tendances en 2019.
Figure 1- Source de données : Eurostat
Globalement, l’UE classe ses partenaires commerciaux préférentiels en quatre groupes en fonction du type de domaine concerné : Première Génération, Deuxième Génération, Accords de Libre-Echange Approfondi et Complet (ALEAC) et Accords de Partenariat Économique (APE).
Parmi les quatre groupes, les échanges avec les partenaires de la Première Génération arrivent en tête, en valeur et en volume, représentant plus de 70% du commerce total entre l'UE et ses partenaires préférentiels. Viennent ensuite la Deuxième Génération suivi par l’APE et l’ALEAC (figure 2). Les trois principaux partenaires commerciaux préférentiels, à savoir la Suisse, la Turquie et la Norvège, appartiennent tous à la première génération.
Figure 2 - Source des données : Eurostat
En 2018, le volume des exportations de l'UE vers tous les groupes a diminué, à l'exception des partenariats de type ALEAC (graphique 3). Une grande partie la perte de volume des exportations porte sur les accords de première génération. Plus précisément, la réduction des exportations de l'UE vers la Turquie et la Suisse représente près de la moitié de la perte totale de volume des exportations de l'UE avec ses partenaires commerciaux préférentiels. La baisse vers la Turquie représente à elle seule plus de 66% de la chute globale des expéditions en valeur et 39% en volume. Cela est dû à une baisse significative des importations de combustibles minéraux et d'acier en provenance de l'UE en 2018.
Figure 3 - Source de données : Eurostat
Le ralentissement de l'économie mondiale a entraîné une réduction de la demande de biens européens en 2018. Le taux de croissance du volume des exportations mondiales de l'UE est également passé de 4% à -2%. Notamment, la sous-performance de l'économie turque en 2018 s'est traduite par une baisse de la demande d'importations en provenance de l'UE dans presque tous les secteurs (sur la base de la division des codes SH ). En 2018, les importations mondiales de la Turquie ont diminué de 4,6% et ses importations en provenance de l'UE ont chuté de 8% en valeur et de 16% en volume.
En outre, le manque de modernisation des accords de libre-échange entre l'UE et certains partenaires commerciaux de première génération pourrait également avoir un impact négatif sur le développement des échanges entre les deux parties. Certaines conditions peuvent ne plus être adaptées à la relation commerciale d'aujourd'hui et certaines questions ne sont pas couvertes par les accords initiaux. Actuellement, l'UE négocie d'ailleurs avec le Mexique et le Chili en vue de moderniser les accords de libre-échange. En 2016, l'UE a proposé de moderniser son accord avec la Turquie, mais les préparatifs pour cet accord n'ont pas encore démarré.
Alors que nous approchons de la fin de 2019, il est temps de voir comment se portent les exportations de l'UE vers ses partenaires préférentiels depuis le début de l'année. Peut-on constater un meilleur résultat par rapport à 2018 ?
L'année 2019 a été une année très fructueuse pour l'UE en ce qui concerne la finalisation des accords préférentiels, avec la signature de deux ALE, avec le Vietnam et le Mercosur, l'entrée en vigueur de celui conclu avec le Japon puis de celui avec Singapour, le 21 novembre. Ainsi, 41% des échanges de l'UE seront couverts par des accords préférentiels. Les accords UE-Vietnam et UE-Mercosur doivent encore passer par le processus de ratification, d'autant plus que l'accord Mercosur a suscité des préoccupations croissantes de la part de l'industrie alimentaire européenne et de groupes environnementaux. Comme nous l'avons déjà évoqué, la mise en œuvre de l'ALE UE-Japon, en février, a montré des résultats positifs, car de plus en plus de vins et de fromages européens se retrouvent maintenant sur les tables japonaises.
Dans l'ensemble, les dernières données disponibles montrent qu'en août 2019, la valeur des exportations de l'UE vers des partenaires commerciaux préférentiels avait enregistré une croissance de 2,8% par rapport à la même période de l'année précédente. Toutefois, le volume des exportations a diminué de 2,7% par rapport aux huit premiers mois de 2018. La baisse est principalement due à la réduction des exportations de l'UE vers la Turquie et la Corée du Sud. Les producteurs de carburants minéraux et les constructeurs automobiles sont ceux qui en ressentent particulièrement les effets sur ces deux marchés. On observe en particulier une forte baisse des exportations de voitures allemandes vers la Corée du Sud et la Turquie au cours des huit premiers mois de 2019.
Néanmoins, on peut observer une amélioration progressive de la situation économique de l'UE, parallèlement à celle de la Turquie qui se redresse de la crise monétaire de 2018. Toutefois, comme le suggère une prévision de la Commission européenne, cette reprise semble fragile, en raison de divers problèmes économiques intérieurs et de tensions géopolitiques. Cette situation crée de nouvelles incertitudes quant aux échanges commerciaux entre l’UE et la Turquie. Cette incertitude est également présente dans les relations commerciales avec la Corée du Sud. Les exportations de l'UE à destination de la Corée du Sud pourraient continuer à souffrir, son économie continuant à ralentir.
Revenons à la question posée au début : l'UE bénéficie-t-elle des accords de libre-échange ? C’est une question à laquelle on ne peut pas répondre simplement par un oui ou un non. En 2018, l'UE a également capté une part de marché plus importante dans certains pays. Les échanges continuent de progresser avec les pays soumis aux accords ALEAC, notamment pour les exportations de l'UE en Ukraine qui ont progressé de 9% en valeur et de 4,5% en volume en 2018. De même, les exportations de l'UE au Canada ont augmenté de 4% en volume et de 10% en valeur en 2018, première année entière de l'application de l'ALE UE-Canada, ou CETA. L'augmentation provient en particulier de la demande croissante sur le marché canadien de fruits et de produits chimiques en provenance de l’Europe.
Ces deux secteurs sont également des domaines dans lesquels l'UE a connu une croissance globale de marché avec tous ses partenaires commerciaux préférentiels. Selon les rapports, en 2018, les secteurs agricole et chimique ont connu des taux de croissance respectifs de 2,2% et 2,5% de la valeur des exportations vers les marchés des pays partenaires commerciaux préférentiels.
Le secteur alimentaire est certainement celui qui a globalement bénéficié des ALE. Alors que les fromages et les vins de l'UE risquent de connaître des difficultés sur le marché américain en raison des derniers tarifs douaniers américains, les accords de libre-échange ont permis d'étendre le marché à d'autres États et régions, comme l'Asie. En dehors du marché japonais, l' ALE UE-Singapour entrera bientôt en vigueur et entraînera la disparition de tous les droits de douane sur les denrées alimentaires européennes entrant sur le marché singapourien.
En outre, le taux de croissance des exportations n’est que l’un des effets de la mise en œuvre des ALE. Ils visent à établir des relations commerciales régulatrices, notamment en ce qui concerne la protection de la propriété intellectuelle, la durabilité et les droits des travailleurs. Cela contribuera à établir des relations commerciales plus saines et plus durables qui amélioreront la compétitivité à long terme de l'UE sur le marché mondial.