L’Allemagne caracole historiquement en tête des économies européennes. En 2021, selon les chiffres de la Banque mondiale, son PIB a atteint USD 4 260 milliards dollars US (environ 3 571 M€), loin devant celui de la France, de l’Italie et de l’Espagne. À l’échelle mondiale, l’Allemagne se place en 4ème position derrière les États-Unis, la Chine et le Japon, et devant l’Inde, le Royaume-Uni et la France. La population est estimée à 83,2 millions d’habitants, ce qui place l’Allemagne également à la 1ère place en Europe et au 19è rang mondial.
L’économie allemande se caractérise par la puissance de son industrie, qui représente 26,7% du PIB en 2021, contre 22,4% pour l’ensemble de la zone euro. Cette part se révèle relativement stable depuis 20 ans si l’on excepte le creux lié à la crise de 2008.
Source : Banque mondiale
La place de l’Allemagne sur l’échiquier industriel mondial n’est pas le fruit du hasard. "Après la Seconde Guerre mondiale, puis après la réunification, ce sont les centres industriels allemands qui ont rendu de nouveau possible une grande partie de la création de valeur permettant de se tourner vers l'avenir", soulignait le ministère allemand des Affaires économiques en novembre 2019, en préambule de la présentation du plan Stratégie industrielle 2030.
Lorsque la mondialisation s’est imposée puis accélérée, l’Allemagne s’est ainsi retrouvée en position très favorable. "Depuis le début des années 2000, l’industrie allemande a bénéficié pleinement de sa forte spécialisation de longue date dans les biens d’équipement, au moment où la Chine, l’Inde et d’autres pays émergents accéléraient leur industrialisation: quand les usines se sont mises à pousser comme des champignons dans les pays du Sud, ce sont partout des machines allemandes qu’on a installées et non des machines françaises, car l’industrie française des biens d’équipements avait déjà quasiment disparu (...)", rappelle l’expert William Desmonts dans une analyse publiée par Le Grand Continent[1]. "De même, l’Allemagne a bénéficié à fond de sa spécialisation dans les voitures haut de gamme au moment où apparaissait en Chine en particulier une classe moyenne susceptible d’acquérir ou de faire acquérir par sa société une BMW, une Mercedes ou une Audi, que cette nouvelle classe riche préférait de beaucoup à une Renault ou une Citroën", ajoute l’auteur.
L’industrie automobile arrive en effet en tête des principaux secteurs industriels allemands, avec plus de 430 milliards d’euros de chiffre d’affaires annuel. L’Allemagne se situe au 6è rang mondial des fabricants automobiles et occupe la 1ère place européenne avec 3,7 millions de véhicules assemblés en 2022, devant l’Espagne et la France, selon les statistiques de l’OICA.
L’Allemagne se distingue également dans les industries mécaniques (environ 250 Md€), le secteur chimique et pharmaceutique (environ 200 Md€), l’industrie agro-alimentaire (environ 185 Md€) ou encore le secteur de l’électrotechnique (environ 180 Md€).
L’économie allemande présente une autre spécificité : la densité de son réseau de petites et moyennes entreprises, souvent à capitaux familiaux et basées dans des petites villes. Cet écosystème, baptisé "Mittlestand", joue un rôle important en termes d’emploi et de répartition de l’activité économique dans tout le pays, aux côtés des grands acteurs de l’industrie et des grands centres industriels. Il participe aussi au dynamisme du pays en matière d’innovation et de présence internationale : "44% des entreprises allemandes exportent leurs produits ou des biens intermédiaires vers d'autres marchés (...). Au moins une entreprise allemande sur deux réalisant un chiffre d'affaires annuel de 2 millions d'euros ou plus est une entreprise exportatrice", souligne le ministère allemand des Affaires économiques.
Cette solide assise industrielle assure à l’Allemagne une puissance inégalée en matière de commerce extérieur. Numéro 1 pour les exportations en valeur, c’est aussi l’un des rares pays de l’Union européenne à pouvoir se targuer d’une balance commerciale positive.
En 2022, la flambée des prix de l’énergie a pesé sur le résultat. Avec un total de 1 576 milliards d’euros d’exportations et 1 495 milliards d’importations, l’Allemagne affiche un excédent de 81 milliards, contre 175,3 milliards en 2021 et 224 milliards en 2019, dernière année pleine avant la pandémie de Covid-19. Les importations ont augmenté de 24,1% en valeur, contre une hausse de 14,2% pour les exportations. Il s’agit néanmoins d’une performance relativement satisfaisante, compte tenu de la forte exposition de l’Allemagne à la hausse des prix de l’énergie.
Les véhicules à moteur et leurs pièces détachées ont représenté 15,5% des exportations totales, et sont ainsi le principal produit d'exportation de l'Allemagne en 2022. Les machines (13,3%) et les produits chimiques (10,3%) se classent respectivement au deuxième et au troisième rangs.
Source des données : Destatis, résultats préliminaires.
Source des données : Destatis, résultats préliminaires.
Le commerce extérieur allemand se caractérise par une forte dimension internationale. Les échanges avec les autres pays de l’Union européenne se situent sous le seuil des 50% (47% pour les exportations et 49,4% pour les importations). Le profil du commerce extérieur allemand montre que le pays s’inscrit pleinement dans les supply chains mondiales. En dehors de l’Union européenne, ses principaux partenaires sont la Chine et les États-Unis, à l’import comme à l’export. Toutefois, la balance commerciale est déficitaire avec le premier (-84,5 milliards d’euros en 2022) et excédentaire avec le second (+64,4 Md€). Au sein de l’Union européenne, les principaux partenaires commerciaux, si l’on cumule importations et exportations, sont les Pays-Bas, la France, la Pologne, l’Italie et l’Autriche.
Source des données : Destatis, résultats préliminaires.
Source des données : Destatis, résultats préliminaires.
Le rayonnement international de l’Allemagne est étayé par un écosystème transport et logistique performant. Le pays a pris soin de garantir l’existence de champions nationaux du secteur.
L’Allemagne compte deux poids lourds de la commission de transport : DB Schenker (dont le groupe Deutsche Bahn prépare la cession) et Deutsche Post DHL. Par ailleurs, si Kuehne + Nagel a aujourd’hui son siège en Suisse, le groupe a été fondé à Brême en 1890 et conserve de cette histoire un certain tropisme germanique.
Le pays peut aussi compter sur des transporteurs internationaux d’envergure mondiale, avec Hapag Lloyd dans le transport maritime conteneurisé ainsi que Lufthansa Cargo et DHL dans le fret aérien.
Les infrastructures portuaires et aéroportuaires font également de l’Allemagne une plaque tournante incontournable. Le port de Hambourg occupe la 3è place sur le podium européen en matière de trafic conteneurisé, tandis que les aéroports de Francfort et Leipzig se situent respectivement au premier et troisième rangs du classement européen des aéroports de fret. Deux autres aéroports allemands figurent dans le Top 15 : Cologne et Munich.
Enfin, l’Allemagne présente enfin la particularité d’avoir un développement significatif de l’ensemble des modes de transport terrestre, à savoir le transport routier, bien sûr, mais aussi le transport fluvial et le ferroviaire. Dans le transport routier, le pavillon allemand se classe au 2è rang européen en 2021, derrière la Pologne et devant l’Espagne, avec un total de 307,3 milliards de tonnes-kilomètres. En matière de transport ferroviaire de marchandises, l’Allemagne fait figure de leader européen incontesté avec un trafic total de 123,9 milliards de tonnes-kilomètres en 2021, loin devant la Pologne (54 Md tkm) et la France (35,7 Md tkm). Enfin, dans le transport fluvial, l’Allemagne bénéficie d’une géographie favorable avec le Rhin. Le port de Duisbourg est aujourd’hui le premier port fluvial européen.
Les succès de l’économie allemande ont longtemps alimenté l’idée d’une forteresse inébranlable, qui avait su concilier discipline budgétaire, activités industrielles florissantes et développement de services transport et logistique offrant une autonomie stratégique au pavillon allemand. Même la pandémie de Covid-19 semblait épargner davantage l’Allemagne qui, en 2020, affichait une mortalité inférieure à ses voisins européens et un recul moindre du PIB (-3,7%, contre une chute de 6,1% pour l’ensemble de la zone euro).
Mais en 2022, le déclenchement de la guerre en Ukraine a agi comme un révélateur des vulnérabilités du modèle économique du pays, en particulier sur le plan énergétique.
"L’existence encore très prégnante de l’industrie manufacturière sur le sol allemand (...) est liée à la survie, également en Allemagne, d’une industrie de base qui soit capable de lui livrer les composants indispensables aux industries traditionnelles (...). Or, cette industrie de base est une industrie à forte intensité énergétique, c’est-à-dire très gourmande en énergie", souligne une note de l’Institut français des relations internationales (Ifri) publiée en juillet 2022[2].
Cette situation est synonyme de multiples défis pour l’économie allemande, à commencer par la transition énergétique. L’Allemagne s’est engagée dans la réduction de la production d’énergies fossiles sur son sol, qu’elle paye désormais au prix fort. "Le problème de dépendance énergétique se pose aujourd’hui brutalement aux Allemands, qui avaient considéré ces importations énergétiques sous un angle purement commercial mais aussi comme une solution idéale leur permettant de fermer progressivement leur propre production pour répondre ainsi aux fortes contraintes environnementales européennes et en attendant la montée en puissance des énergies renouvelables. Ils ont, pour ce faire, ignoré la dimension géopolitique de ces approvisionnements. Or, c’est non seulement une grande dépendance par rapport aux prix mondiaux mais aussi une dépendance par rapport à la pérennisation de l’accès", décrypte l’Ifri.
La pandémie de Covid-19 puis la guerre en Ukraine ont également mis en lumière la dépendance de l’industrie allemande pour l’approvisionnement en métaux rares et en semi-conducteurs, indispensables pour mener à bien la transition énergétique. Un point crucial, en particulier, pour l’industrie automobile.
Si la guerre en Ukraine a accéléré la prise de conscience et les difficultés, les vulnérabilités avaient toutefois été identifiées bien avant. "Les développements que nous observons actuellement dans les domaines de l'intelligence artificielle, des biotechnologies, des nanotechnologies ou des nouveaux matériaux est comparable à celui du développement de la machine à vapeur. Chaque année aux États-Unis, des centaines de milliards de dollars sont injectés dans ces technologies, principalement grâce aux fonds propres des grandes entreprises technologiques. En Chine, l'État fournit une grande partie du financement. En Allemagne et en Europe, les investissements dans ces technologies sont bien moindres et il y a un grand besoin de rattraper le retard", indiquait le ministère allemand des Affaires économiques dans son plan Stratégie industrielle 2030 présenté en novembre 2019. Les fabricants ne se privent pas de faire monter les enchères. Intel, qui a annoncé en mars 2022 avoir choisi l’Allemagne pour implanter deux nouvelles usines de semi-conducteurs, demande aujourd’hui davantage de subventions publiques.
"En moins de dix ans, Trump, Poutine et Xi Jinping ont ruiné les fondements du modèle allemand", résume abruptement William Desmonts, estimant que "l’invasion de l’Ukraine, le protectionnisme américain et le raidissement chinois" obligent l’Allemagne à remettre en cause toutes ses certitudes quant à sa place dans le monde.
Les bouleversements profonds et rapides de l’économie mondialisée contraignent l’Europe, et en particulier l’Allemagne, à réagir vite et fort pour construire une véritable politique industrielle. Mais selon William Desmonts, les signes d’une volonté tangible se font encore attendre. "Pour l’instant, les mesures annoncées dans ce domaine au niveau européen, en réponse notamment à l’IRA américaine, restent en réalité très limitées faute de moyens supplémentaires. La seule mesure réellement significative consiste à pérenniser l’assouplissement des règles encadrant les aides d’État mis en place pour faire face à la pandémie de Covid-19 en 2020 puis à la crise énergétique en 2022. L’Allemagne en avait d’ailleurs fait un usage massif en accordant à elle seule 356 milliards d’euros d’aides aux entreprises en 2022, soit 55% des aides totales apportées en Europe. En pratique, on se dirige donc vers une renationalisation des politiques industrielles plutôt que vers la mise en œuvre d’une politique industrielle véritablement européenne", estime l’expert.
Le raisonnement vaut également pour la politique en matière d’infrastructures. Le sujet est éminemment stratégique : la Chine l’a bien compris, comme en témoigne le plan "One Belt, One Road", communément appelé les nouvelles Route de la Soie, qui célèbre cette année son 10è anniversaire. Pourtant, en octobre dernier, contre l’avis de la Commission européenne et d’une partie de la coalition allemande au pouvoir, le chancelier allemand Olaf Scholz a accepté la prise de participation de Cosco dans le terminal à conteneurs Tollerort du port de Hambourg, concédant une limite à 24,9% du capital au lieu des 35% initialement prévus.
L’Allemagne n’a certes pas le monopole de cette tentation de faire cavalier seul. Mais compte tenu de l’importance économique de l’Allemagne sur la scène européenne et mondiale, ses décisions seront déterminantes pour l’avenir de l’Europe dans les nouveaux schémas de mondialisation.
[1] William Desmonts, "L’Allemagne au piège de sa mutation", Le Grand Continent, février 2023.
[2] Patricia Commun, "La puissance industrielle de l’Allemagne en danger. Le double choc de la transition énergétique et du risque géopolitique", Notes du Cerfa, n° 170, Ifri, juillet 2022.