Analyse Transport & Logistique

Aéroports européens : un repli quasi général en 2022

03 mars 2023

Le trafic cargo chute en 2022 dans la plupart des grands aéroports européens, illustrant la fin de la forte reprise post-Covid.

Selon les données préliminaires de l’Airports’ Council International (ACI), le trafic cargo des aéroports européens a diminué de 5% en 2022, après avoir connu une spectaculaire croissance de 21,8% en 2021.  

Ces chiffres témoignent de la fin du rebond économique qui a succédé aux confinements massifs décidés en 2020 lors du déclenchement de la pandémie de Covid-19. Depuis le mois d’avril 2021, les compagnies aériennes mondiales constatent une diminution de leur trafic cargo en glissement annuel.

Outre le ralentissement économique, l’industrie du fret aérien a subi de plein fouet l’impact de la guerre entre la Russie et l’Ukraine, qui a entraîné des interdictions de survol réciproques. Contraintes de rallonger les temps de vols, alors que l’inflation faisait flamber les coûts du carburant et que la demande ralentissait, certaines compagnies ont choisi de supprimer des fréquences, notamment entre l’Asie et l’Europe.

Ce phénomène a logiquement pesé sur les résultats des aéroports européens, même si le trafic reste 2% au-dessus du niveau pré-pandémique. Selon l’ACI, la contraction du trafic a été moins sensible dans les aéroports de l’Union européenne (-8%, contre -5% pour les aéroports de l’UE), ce qui permet aux plates-formes de l’UE de se maintenir 3% au-dessus du niveau de 2019, alors que le trafic global des aéroports du reste de l’Europe affiche un déclin de 2%.

Notre classement 2022 montre pourtant que toutes les plates-formes du Top 10 ont subi un ralentissement.

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Résultats provisoires - Sources des données : autorités aéroportuaires - ©Upply

Leipzig monte sur le podium

Après des années de forte croissance, liée en particulier à l’implantation du hub principal de DHL en Europe, Leipzig se hisse pour la première fois sur le podium européen en 3è position. La plate-forme allemande a pourtant connu une diminution de son trafic en 2022. Mais le choc a été encore plus rude pour Amsterdam-Schiphol, qui se retrouve ainsi relégué en 4è position. La plate-forme néerlandaise a connu une année particulièrement difficile, non seulement dans le secteur du fret mais aussi dans l’ensemble de ses activités.

Leipzig rejoint donc sur le podium sa compatriote Francfort, historique n°1 européen. Une preuve, s’il en était besoin, des fondements solides de l’économie allemande, même si son modèle est aujourd’hui en grande souffrance. Munich fournit un autre exemple de cette résilience. Servi par la forte reprise des vols passagers, l’aéroport bavarois décroche la palme de la croissance parmi les principales plates-formes européennes et intègre ainsi le Top 15.

Sur le podium, en tête du classement, Paris se glisse entre Francfort et Leipzig. La capitale française parvient à se maintenir au-dessus de la barre des 2 millions de tonnes si l’on en prend compte le trafic cumulé de Roissy-CDG et Orly. En revanche, pris isolément, l’aéroport Charles-de-Gaulle repasse sous cette barre symbolique des 2 Mt franchie en 2021.

Londres-Heathrow ferme toujours solidement la marche du Top 5, avec un repli du trafic limité à -3,8%. Toutefois, si l’on intègre la Turquie dans la classement européen, l’aéroport d’Istanbul devance Londres-Heathrow. Selon l’ACI, cette plate-forme a traité 1,43 millions de tonnes de fret en 2022, soit une croissance de 88%. Une montée en puissance en phase avec ses ambitions logistiques revendiquées.

Les plates-formes du Bénélux en difficulté

Plusieurs aéroports du Benelux ont mis en place ces dernières années une politique volontariste de développement de l’activité cargo. Cette stratégie s’est révélée extrêmement payante en 2021. La forte reprise économique a saturé les capacités maritimes et congestionné les chaînes logistiques, ce qui a favorisé le report sur le fret aérien. Mais la donne a changé en 2022, et Amsterdam n’est pas le seul à avoir souffert.

Liège maintient sa place de n°6 européen, mais avec un déclin du trafic qui avoisine les 20%. L’aéroport belge a cumulé les vents contraires. "Après deux années de forte augmentation des capacités et de l'offre de fret aérien (conversion d'avions passagers en cargo, remise en service d’avions cargo plus anciens, forte croissance de l’e-commerce, etc.), Liège Airport connaît, à l’instar de tous les aéroports ‘cargo’, une diminution par rapport à 2021. Cette diminution survient de manière tout à fait prévisible vu l’instabilité géopolitique créée par la guerre en Ukraine, les tensions mondiales actuelles, la stratégie zéro Covid en Chine", explique Laurent Jossart, le CEO de Liège Airport, dans un communiqué.

Les circonstances exceptionnelles qui avaient dopé le trafic cargo ont disparu ou sont en phase d’extinction. La reprise progressive des vols passagers oriente de nouveau le fret vers les soutes des appareils mixtes, ce qui se fait au détriment des compagnies et des aéroports quasi-exclusivement orientés cargo. D’autre part, les capacités de nouveau disponibles à bord des navires et la baisse des taux de fret maritime ont mis fin au besoin de report modal. Enfin, l’inflation a un impact important sur la consommation, et notamment sur le e-commerce, qui constitue un des moteurs de la croissance du fret aérien à l’heure actuelle. À ces paramètres collectifs sont venues s’ajouter des difficultés spécifiques. L’aéroport de Liège a notamment subi les effets de la restructuration de FedEx et l’arrêt des activités de la compagnie russe Air Bridge Cargo.

Bruxelles dresse un constat assez similaire. "Dans le segment du tout cargo, on assiste à un recul de 13% par rapport à 2021. De son côté, le fret transporté à bord d’avions passagers a augmenté de 27%, en raison de la hausse continue du nombre de vols. Enfin, le segment des services express a diminué de 13% par rapport à 2021. De manière générale, les volumes cargo ont été sous pression toute l’année en raison des tensions géopolitiques persistantes, des confinements en Chine, de la menace d'une récession et de son impact sur le e-commerce", indique un communiqué. L’aéroport belge enregistre un déclin du fret avionné de 7%. Si l’on inclut les vols camionnés, le trafic atteint 775721 tonnes, en baisse de 8%.

L’aéroport de Luxembourg, siège de la compagnie tout cargo Cargolux, subit le même sort que ses voisins belges, avec une chute de près de 12%. Il repasse ainsi sous la barre du million de tonnes et se fait ravir une place au classement par Cologne, qui se réjouit d’avoir limité le recul à -1,5%.

Milan limite l’érosion grâce à DHL

Neuvième du classement européen, Milan continue de bénéficier de l’implantation d’un hub de DHL intervenue en 2020, trois ans après FedEx. Le trafic a diminué de 2,8% en 2022 en glissement annuel, mais il reste supérieur de 28% au niveau de 2019. Avec un total de 291000 traitées en 2022 sur un total de 721 000 tonnes, le segment courrier/express génère environ 40% des flux, contre 14% en 2019. "La croissance du transport express et l'augmentation des volumes des vols de fret traditionnels (surtout à l'import) ont largement compensé le déficit de marchandises transportées dans les soutes des vols passagers, fortement touchés par la pandémie", souligne l’aéroport italien, qui traite 65% des flux de fret aérien du pays.

Des évolutions très contrastées en Espagne

En Espagne, on constate une évolution contrastée au sein du Top 3, dont le trafic cumulé représente 85% des flux nationaux. Après avoir déjà connu une forte reprise en 2021, Madrid a poursuivi sur une trajectoire ascendante significative. C’est aussi le cas de Barcelone qui, avec une croissance à deux chiffres, totalise un trafic de 155 600 tonnes et reprend sa place de n°2 au détriment de Saragosse.

La plate-forme aragonaise enregistre en revanche la plus forte baisse des aéroports du Top 20 européen. À 126 957 tonnes, son trafic cargo chute de 34,7%, et de 30,5% par rapport au niveau pré-pandémique de 2019. Comme Liège, Saragosse a pâti de l’arrêt des activités de la compagnie russe Air Bridge Cargo, qui a suspendu fin février les quatre vols hebdomadaires qu'elle assurait avec Moscou et Krasnoïarsk. "La plate-forme a ainsi perdu la deuxième compagnie de fret opérant dans ses installations, après Qatar Airways Cargo", souligne El Periodico de Aragon. "Ce n'est pas le seul marché où les flux se contractent. C'est également le cas du Qatar (-27,5%), des États-Unis (-25,5%), des Émirats arabes unis (-19%) et de la Chine (-15,4%). En revanche, les mouvements de marchandises avec le Mexique (7,1%), le Bangladesh (13,1%) et la Turquie (22,6%) ont augmenté", précise le journal espagnol.

Saragosse a bâti l’essentiel de son succès sur les flux internationaux du géant galicien de la mode Inditex, connu pour sa marque Zara. Ce trafic représente environ 80% des tonnages traités par la plate-forme. On peut donc estimer que l’évolution des flux par pays reflète notamment une certaine diversification des sources d'approvisionnement. 

Désormais conscients de leur vulnérabilité et de leur manque d’indépendance stratégique, les États occidentaux mais aussi les entreprises travaillent à l’élaboration de nouveaux schémas de mondialisation. Une transformation que les aéroports, et notamment ceux qui ont fait du fret le socle de leur développement, doivent intégrer dans leur stratégie.

 

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Diplômée de l'École Supérieure de Journalisme de Lille, Anne a exercé l’essentiel de sa carrière dans la presse spécialisée Commerce international & Logistique, avant de rejoindre Upply.
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