Peu connu en dehors des cercles d’initiés, le commissionnaire de transport maritime allemand J.F. Hillebrand est parvenu à contrôler plus de 50% des flux planétaires de vins et spiritueux au fil des années, grâce au génie de ses dirigeants et à l’implication de ses équipes. Fondé en Allemagne il y a 177 ans, il revendique aujourd’hui un chiffre d’affaires de 1,4 milliards d’euros et 625 000 EVP traités annuellement (flexi bags inclus).
En France, Hillebrand est également un acteur de premier plan, sur un segment particulièrement important à l’exportation. Les vins et spiritueux constituent la première marchandise exportée en conteneur du port du Havre, avec un peu plus de 100 000 EVP par an, et à destination du monde entier.
Le rachat d’Hillebrand par DHL n’est pas une simple acquisition de plus, mais bien une opération déterminante sur le marché.
Pour une compagnie maritime, Hillebrand est un client de marque, pour les volumes qu’il représente mais aussi pour la qualité de la relation professionnelle associée à ce nom. Celle-ci se construit sur des décennies de collaboration, avec des hauts et des bas au gré des politiques des uns et des autres mais sans jamais rompre le fil. Malgré sa taille et sa couverture internationale, Hillebrand a toujours su garder des valeurs humaines de premier plan dans son management au quotidien.
En procédant à l’acquisition de cette société, le groupe Deutsche Post DHL intègre donc un savoir-faire reconnu et apprécié, mais aussi un volume d’affaires qui consolide ses positions. Même si Hillebrand ne fusionne pas avec DHL Global Forwarding, la branche du groupe dédiée à la commission de transport, une vision consolidée en dit long sur la "puissance de feu" qui vient de se créer sur le marché : les volumes cumulés des deux entités placent le groupe Deutsche Post DHL au 2è rang mondial de la commission de transport maritime derrière Kuehne + Nagel et devant Sinotrans (voir notre panorama financier des groupes de transport mondiaux).
L’intérêt dans la commission de transport pour le segment des vins et spiritueux n’est pas nouveau pour le Groupe DHL qui avait déjà racheté le commissionnaire spécialisé italien Giorgio Gori en 2014. L’activité consolidée de Hillebrand et de Giorgio Gori va laisser peu de place aux autres acteurs du marché et certains grands chargeurs directs comme les groupes Pernod Ricard ou Bacardi Martini devront se reposer encore plus sur ce nouveau dispositif pour assurer une couverture globale de leurs marchés.
En sortie de France, la part de marché cumulée de DHL et de Hillebrand peut friser les 40% du portefeuille export de certaines grandes compagnies maritimes. En cette période de toute puissance des transporteurs, il est intéressant de constater une telle concentration du côté de la demande. Même si les marchés export Europe sont 3 à 5 fois moins rémunérateurs pour les compagnies que les marchés import (en provenance d’Asie), le poids des trafics reefer export et la nouvelle volumétrie totale va peser dans le rapport de force client-fournisseur.
Le transport maritime sous température dirigée impose des contraintes complexes en matière de fournitures de conteneurs adaptés et de capacités de branchement sur les terminaux. Or ce segment à très forte valeur ajoutée croît régulièrement ces dernières années (environ 10% par an) car il a bénéficié d’un intérêt accru de l’industrie pharmaceutique, encore renforcé par la pandémie.
La concurrence est donc rude pour avoir accès aux équipements et aux capacités de branchement. Le poids que pèse la nouvelle entité peut être un atout dans la compétition avec d’autres types de marchandises. Les synergies sont également énormes pour utiliser et optimiser des conteneurs reefers vides en retour sur une base "reefer as dry", particulièrement dans un contexte actuel de pénurie de conteneurs dry.
Développées depuis des années par Hillebrand et ses partenaires, la technologie du flexi-bag est aujourd’hui parfaitement au point et offre la possibilité de transformer à moindre coût un conteneur dry en "cubitainer" géant, et ce pour transporter tous types de liquides, et pas uniquement du vin.
Il s’agit d’un savoir-faire très pointu qui entre directement en concurrence avec l’offre des opérateurs de citernes Iso (comme Stolt). Ces opérateurs de citerne, propriétaires de leurs équipements, avaient justement pu reprendre des marchés ces deux dernières années dans le cadre de la pénurie générale de conteneurs dry.
Il n’est en revanche pas acquis que le client final soit le grand gagnant de ces grandes manœuvres, le match se jouant pour l’instant essentiellement entre les grands commissionnaires de transport et les compagnies maritimes.