Depuis la réintégration de Damco, en 2020, le groupe Maersk a discrètement peaufiné sa nouvelle image de logisticien planétaire au détriment de son statut de compagnie maritime de ligne régulière. Il a mené depuis un an une politique active d’acquisitions ciblées, dans la commission de transport et le e-commerce.
Selon un article publié par le Loadstar le 20 octobre, le groupe Maersk s’apprêterait à franchir une nouvelle étape : il devrait annoncer qu’à compter du 1er novembre, il ne traitera plus que le fret des chargeurs directs, laissant sur la touche les commissionnaires de transport. Les pièces du puzzle ainsi assemblées commencent à former une image très claire. Si ce projet se confirme, on pourra considérer que Maersk franchit le Rubicon d’une façon assumée.
Cette stratégie a le mérite d’être claire et lisible pour les acteurs du marché. Maersk n’a jamais dissimulé son intérêt pour les gros chargeurs directs. Il vient d’en apporter une nouvelle illustration en signant un partenariat stratégique avec Danish Crown. À l’inverse, MSC s’est toujours positionné comme "pro-transitaire" et a assis sa superbe croissance organique sur ce segment.
En revanche, si l’information du Loadstar se confirme, elle pourrait faire tousser du côté des autorités de la concurrence européennes. En mars 2020, Bruxelles a autorisé pour 4 ans la prolongation des exemptions accordées aux consortia maritimes de ligne permettant la mise en commun de moyens. Mais les règles sont très claires : cette faveur est assortie d’une obligation de pratiquer des politiques marketing et commerciales bien distinctes. En cas d’enquête, il sera acrobatique pour le groupe Maersk de justifier pleinement qu’il n’est plus une compagnie maritime...
La stratégie de Maersk consistant à ne plus accepter certaines typologies de clients peut interroger sur le respect des textes. Plus généralement, elle peut poser la question du refus de vente, particulièrement pour certains marchés quasi captifs sous température dirigée. Maersk balaye cette objection dans les colonnes du Loadstar, indiquant que les commissionnaires auront toujours la possibilité de réserver des capacités via la plate-forme digitale du groupe.
D’une façon plus globale, la guerre est maintenant ouvertement déclarée entre les grands freight forwarders et les grandes compagnies maritimes qui affichent leur volonté de se muer en prestataires multi-services de transport et de logistique. L’heure de la revanche a peut-être sonné pour ceux qui supportent le coût du capital (navires, conteneurs, terminaux), face aux adeptes du modèle d’affaires "light asset" qui ont pu tirer les marrons du feu du marché pendant presque trois décennies.
La poussée de l’e-commerce, la digitalisation et la transition énergétique imposent des niveaux d’investissements colossaux aux acteurs du transport, qui plaident en faveur de la désintermédiation et impliquent nécessairement des relations contractuelles de plus long terme.
C’est une autre raison du virage de Maersk vers son nouveau positionnement de marché, afin de répondre et d’anticiper les enjeux du transport et de la logistique de demain.
Au niveau de l’alliance M2, notre lecture de cette stratégie est que les contrats long-terme iront préférentiellement vers Maersk, tandis que MSC trouvera toute sa pertinence dans des engagements de court terme au prix fort avec les transitaires. Cette stratégie "Good Cop / Bad Cop" au sein d’une même Alliance maritime peut permettre de ratisser large sur un marché désorienté, et surtout contraint comme il ne l’a jamais été dans l’histoire de la conteneurisation moderne.