Une aide d’urgence de 378 millions de dollars annoncée par le gouvernement de Corée du Sud pour la compagnie maritime coréenne Hyundai Merchant Marine, Taïwan qui fait de même en sortant un milliard pour desserrer l’étau sur Yang Ming Marine Transport Corporation (YM) et Evergreen Marine Corporation (EMC) ou encore CMA CGM qui obtient un prêt d’1,05 milliards d’euros garanti à 70% par l’État français : les autorités publiques se mobilisent pour voler au secours des compagnies maritimes, frappées de plein fouet par la quasi paralysie des échanges qui a accompagné l’épidémie de coronavirus au plus fort de la crise.
Cette problématique n’est pas nouvelle. Comme le transport aérien, qui procède d’une dynamique cyclique assez similaire, le transport maritime de ligne régulière est confronté de manière récurrente et endémique à des difficultés qui conduisent les États à intervenir plus ou moins directement.
Comment expliquer cette situation ? Nous pourrions montrer du doigt la "démocratisation" du transport moderne, avec ses effets déflationnistes sur les coûts de transport, associés à des croissances fortes en volume. Ainsi, les plus anciens de l’industrie du shipping vous indiqueront, un brin nostalgiques, que l’époque de la "vraie rentabilité" a disparu avec "le bon vieux temps" du conventionnel et la montée en puissance hégémonique de la conteneurisation. D’autres vous parleront de certains marchés sur lesquels des monopoles de fait ont pu perdurer un certain temps après la décolonisation.
Nous pourrions également mettre en avant les ambitions territoriales de certains États ou encore les egos de certains grands capitaines de compagnies. L’économie maritime a toujours été, dans ses fondamentaux, une hybridation mêlant le régalien aux dynasties du monde des affaires, un monde partagé entre les corsaires et les pirates …. C’est volontairement très caricatural mais c’est un fait, affaires et intérêt supérieur des États ont toujours fait plus ou moins bon ménage au gré des changements de donnes économiques et géostratégiques. La seule certitude étant que dans le concert des Nations, quel que soit l’époque étudiée, la maîtrise par un État d’une flotte de commerce (oublions la notion de pavillon qui n’a plus beaucoup de sens autre que de l’optimisation fiscale) a toujours plus constitué un avantage qu’un inconvénient.
Cette équation mêlant une industrie lourde en capital et peu flexible, une rentabilité faible sur un temps long et une forte exposition aux aléas politiques et climatiques, aboutit à une gestion tantôt de type 100% privé, tantôt bras armé d’un État pour accompagner son expansion, "quoi qu’il en coûte" pour paraphraser le président Emmanuel Macron.
Pour toutes les compagnies modernes, la concurrence est indéniablement un moteur d’amélioration continue des process et de la qualité. Aucune entreprise du Top 10 ne peut être considéré comme un pur opérateur de service public dans son fonctionnement. Toutes partagent à peu près les mêmes outils de yield management et pilotent leur activité en temps réel sur la base de leur résultat d’exploitation.
Si les règles de l’économie de marché s’appliquent, la dimension politique n’a pourtant jamais disparu, et a même pris de l’ampleur avec la mondialisation. Ainsi, la Chine a d’abord décidé de fusionner ses plus grands groupes maritimes de transport nationaux, Cosco et China Shipping, et trois ans plus tard, le groupe Cosco a procédé au rachat d’OOCL. Ce nouveau géant, qui vise la première place du top 10 mondial est sans ambiguïté le bras armé d’un État qui veut consolider son empire maritime sur toutes les mers du globe. Partageant cette même Alliance, CMA CGM est clairement imbriquée dans ce courant tout en gardant un ADN et une coloration tricolore. Un exercice au demeurant périlleux, surtout dans la période actuelle de défiance des opinions publiques vis-à-vis de la Chine.
Soren Skou, le CEO de Maersk, n’a pas caché son agacement face à ces interventions financières publiques considérées comme de graves atteintes en matière de concurrence. Mais c’est sans doute oublier un peu vite que si Maersk est devenu le géant qu’il est aujourd’hui, c’est en partie grâce à la consolidation de l’Américain Sealand dans le groupe APM il y a de cela une vingtaine d’années, avec "l’aide amicale" de l’administration du président George Bush père...
Derrière la vitrine "business" des compagnies maritimes, les États sont évidemment présents, directement ou indirectement, dans les stratégies à long terme, les investissements, et maintenant dans les trésoreries, épidémie de coronavirus oblige.