Market Insights

Économie : les évolutions clés à retenir de 2024

Rédigé par Anne Kerriou | 09 janvier 2025

INFOGRAPHIES. En 2024, la maîtrise de l’inflation n’a pas suffi à rétablir totalement la confiance, notamment en Europe, où la faible demande a pesé sur les prix du transport routier. Les taux de fret maritime et aérien ont mieux résisté, sous l’influence de facteurs géopolitiques qui bousculent la logique offre-demande.                                         

L’économie mondiale a progressé en 2024 à un rythme similaire à celui de 2023, mais avec toujours de fortes disparités géographiques. La croissance américaine est plutôt supérieure aux prévisions, nourrie par la consommation de biens et de services. En revanche, l’économie européenne se débat dans de grandes difficultés, souffrant notamment de la panne de son moteur historique, l’Allemagne.

L’augmentation des prix a continué à ralentir, mais dans un contexte économique morose, les ménages comme les entreprises restent prudents dans leurs dépenses et leurs investissements. La Chine affiche toujours un taux de croissance nettement supérieur à la moyenne mondiale, tout en pâtissant de l’affaiblissement de la demande occidentale et en particulier européenne, alors que les espoirs de voir la demande intérieure prendre le relai ne se concrétisent pas. Les volumes d’échanges mondiaux sont en croissance, à un niveau légèrement inférieur à ce que prévoyait l’Organisation mondiale du commerce (OMC).

Cette accalmie n’a pas empêché quelques perturbations dans les chaînes logistiques. Contrairement à 2022, ce n’est pas une explosion de la demande qui est en cause. En 2024, les principales difficultés sont liées aux attaques des rebelles houthis en mer Rouge, qui ont obligé les compagnies maritimes à éviter le canal de Suez, désorganisant au moins temporairement les schémas logistiques. D’autre part, plusieurs événements induits par le dérèglement climatique ont, de façon ponctuelle, engendré aussi des perturbations des conditions d’exploitation dans les ports, les aéroports ou les grands centres logistiques mondiaux.

1/ Croissance : la déception européenne

Selon les prévisions économiques préliminaires de l’OCDE publiées en décembre 2024, le produit intérieur brut mondial devrait avoir progressé de 3,2% en 2024. Ce taux de croissance, inférieur de 0,2 point à la moyenne 2013-2019, est stable par rapport à 2023, et légèrement supérieur aux prévisions de début d’année.

La bonne surprise est venue de l’économie américaine, qui a enregistré des résultats nettement supérieurs aux prévisions initiales, avec une croissance du PIB qui devrait s’établir à 2,8% en 2024, contre 2,1% annoncés par l’OCDE en février 2024. L’Inde et la Chine ont également délivré des résultats supérieurs aux attentes, même si la croissance de leur PIB ralentit par rapport à 2023.

L’Europe fait aussi légèrement mieux, avec une croissance qui devrait s’établir à 0,8% contre 0,6% prévus. Ce résultat n’en est pas moins décevant, la zone euro restant nettement à la traîne parmi les grandes économies mondiales. En 2024, elle a continué à souffrir de l’affaiblissement de l’Allemagne, locomotive de l’économie européenne depuis des décennies. Le pays s’apprête à connaître sa deuxième année consécutive de récession (-0,1%, après -0,3% en 2023). Selon les prévisions d’automne de la Commission européenne, la France se situera au-dessus de la moyenne de la zone Euro avec +1,1% et l’Italie légèrement en-dessous à +0,7%. L’Espagne, en revanche, poursuit sur une courbe de progression nettement supérieure à la moyenne avec +3%. Parmi les grands marchés européens, la Pologne réalise également un rebond significatif avec +3% attendus en 2024, après des mois difficiles compte tenu de son exposition particulière aux conséquences du conflit russo-ukrainien.

Au-delà de ces évolutions récentes, la trajectoire de long-terme de l’économie européenne inquiète. En documentant le déclin, le rapport Draghi, publié en septembre dernier, a fait l’effet d’un coup tonnerre. "Au cours des deux dernières décennies, la croissance économique de l'UE est restée inférieure à celle des États-Unis, tandis que la Chine a rapidement rattrapé son retard. L'écart entre l'UE et les États-Unis en ce qui concerne le niveau du PIB aux prix de 2015 s'est progressivement creusé, passant d'un peu plus de 15 % en 2002 à 30 % en 2023, tandis qu'à parité de pouvoir d'achat (PPA), un écart de 12 % est apparu. L'écart s'est moins creusé par habitant, car les États-Unis ont connu une croissance démographique plus rapide, mais il reste important : en termes de PPA, il est passé de 31 % en 2002 à 34 % aujourd'hui", indique le rapport. Pour l’ancien président de la Banque centrale européenne, auteur du rapport, ce décrochage est lié à "un affaiblissement de la croissance de la productivité", qui remet en question la capacité de l'Europe à réaliser ses ambitions en matière "d'inclusion sociale, de neutralité carbone et d'accroissement de son importance géopolitique". Les causes du décrochage, de même que les préconisations du rapport pour y remédier, sont assez largement sujettes à débat. En revanche, le constat s’impose, et la nouvelle Commission européenne a fait de la compétitivité européenne une de ses priorités stratégiques.

2/ Inflation : une maîtrise laborieuse

L’évolution de l’inflation reste un enjeu révélateur des défis propres à chacune des grandes économies mondiales.

L’accalmie s’est poursuivie sur ce front en Europe et aux États-Unis en 2024, ce qui a conduit les banques centrales à assouplir la politique de resserrement monétaire qu’elles avaient mise en place pour enrayer la surchauffe post-Covid. Cependant, cette maîtrise reste fragile, comme le montre le petit rebond constaté en fin d’année, et surtout, de part et d’autre de l’Atlantique, l’objectif d’un taux de 2% d’inflation annuel n’est toujours pas atteint.

La Banque centrale américaine (Fed) s’est d’ailleurs montrée très claire : le 18 décembre, elle a bien annoncé une nouvelle baisse d’un quart de point de ses taux d’intérêt directeurs, ce qui les ramène dans une fourchette de 4,25% à 4,50%, mais elle a parallèlement déclaré qu’elle était "prête à ajuster l'orientation de la politique monétaire si des risques susceptibles d'entraver la réalisation de ses objectifs apparaissent". Une annonce qui a refroidi les marchés financiers, et qui montre aussi que la FED n’est pas totalement rassurée par la trajectoire actuelle et potentielle de l’économie américaine. 

La Banque centrale européenne (BCE) a elle aussi procédé à une nouvelle baisse d’un quart de point de ses trois taux d’intérêt directeurs le 12 décembre. Le risque de nouveau dérapage de l’inflation semble moins élevé qu’aux États-Unis. Cependant, le chemin vers le seuil des 2% est ralenti par la répercussion de la flambée inflationniste de 2022-2023 sur les salaires et les prix dans certains secteurs, avec un décalage dans le temps.

La Chine, enfin, se bat contre la tendance inverse, à savoir le risque de déflation, témoin des difficultés économiques du pays. Le phénomène était très sensible en 2023, notamment au dernier trimestre. En 2024, seul le mois de janvier a montré un repli, de 0,8%. L’inflation a ensuite oscillé entre +0,1% et +0,7% selon les mois, mais il est évident que le marché reste très frileux, tant en termes de consommation que d’investissements. La Chine a d’ailleurs mis en place une série de mesures de relance dans le courant de l’automne 2024. "En 2024, confrontée aux défis posés par les situations nationales et internationales, la Chine a répondu en prenant toute une série de mesures, atteignant ainsi les principaux objectifs de développement économique et social pour l'année (…). L'année 2025 marque la conclusion du 14è Plan quinquennal (2021-2025), des efforts seront déployés pour mettre en œuvre des politiques macroéconomiques plus proactives afin de promouvoir une reprise et une amélioration économiques soutenues", a annoncé le président chinois, Xi Jinping, dans un discours prononcé le 31 décembre.

3/ Une production manufacturière toujours stimulée par la Chine

La production manufacturière mondiale a augmenté de 2,3% en glissement annuel au troisième trimestre 2024. Une performance similaire à celle du deuxième trimestre et supérieure à celle du premier trimestre (+1,5%).

La Chine, première puissance productrice avec une part de marché de 27%, assoit encore un peu plus sa domination avec une croissance de 5,9% au T3 2024, après une progression de 6,6% au T2 et de 5,2% au T1. À l’inverse, l’Amérique du Nord et l’Europe, qui détiennent une part de marché mondiale respective de 19,2% et 22,7%, ont toutes deux enregistré trois trimestres de déclin de leur production manufacturière.

Source : Rapport trimestriel Q3 2024, Organisation des Nations unies pour le développement industriel

L’analyse par type d’industrie montre une évolution nettement plus dynamique des industries classées dans les catégories "moyenne-haute" et "haute technologie", comparée aux autres secteurs manufacturiers.

Source : Rapport trimestriel Q3 2024, Organisation des Nations unies pour le développement industriel

4/ Commerce mondial

Selon les données de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), les échanges mondiaux de marchandises en valeur ont augmenté de 4,3 % en glissement annuel au troisième trimestre 2024, ce qui représente "une amélioration notable par rapport à la croissance de 1,8% observée au deuxième trimestre et à la contraction de 1,4% enregistrée au premier trimestre".

Parallèlement, le volume du commerce mondial des marchandises a augmenté de 1,1% en glissement trimestriel et de 3,3% en glissement annuel au T3 2024, sur une base corrigée des variations saisonnières, "marquant le quatrième trimestre consécutif d’expansion modérée du commerce", souligne l’OMC. En cumul annuel à fin septembre, le volume des échanges affiche une croissance de 2,4% par rapport à la même période en 2023. C’est un peu moins que les prévisions les plus récentes de l'OMC, publiées le 10 octobre, qui avançaient un chiffre de 2,7% pour 2024. L’institution reste néanmoins optimiste sur l’atteinte de l’objectif, possible si la croissance du quatrième trimestre — en glissement trimestriel — se poursuit à peu près au même rythme qu'au troisième trimestre.

La croissance des exportations en volume s'est notamment renforcée en Chine et dans les économies dynamiques d'Asie, dans un contexte de forte demande de produits liés à la technologie, indique l’OCDE dans ses dernières prévisions économiques. L’Europe, en revanche, patine."C’est la seule région qui enregistre une croissance négative des exportations et des importations en volume (-0,2% et -0,3% respectivement), le secteur manufacturier continuant de traverser une récession prolongée", décrypte l’OMC. En cumul annuel, les résultats sont également inférieurs aux prévisions. Sur 9 mois à fin septembre, les exportations de l’Europe ont chuté de 1,8% en glissement annuel, et les importations de 3,3%. "Cela peut être en partie lié à l'exposition de la région au commerce des voitures, qui représentait 6,9 % des valeurs d'exportation extra-UE", avance l’OCDE.

5/ Une évolution contrastée des prix de transport

L’analyse des prix de transport en 2024 fait apparaître des trajectoires différenciées. Globalement, on peut noter l’influence croissante de facteurs exogènes susceptibles d’influer sur le schéma offre-demande.

  • Maritime

L’année 2024 a apporté une nouvelle illustration de l’extrême volatilité des taux de fret maritime dans le transport de conteneurs. Après avoir littéralement flambé durant 18 mois, les prix s’étaient assagis au point de flirter avec les niveaux pré-Covid en 2023. Mais un événement politique est venu bouleverser le retour à l’équilibre entre l’offre et la demande. Les attaques des rebelles houthis du Yémen ont conduit à un déroutement massif des porte-conteneurs via le cap de Bonne-Espérance, avec à la clé des coûts supplémentaires et dans un premier temps, une désorganisation des chaînes logistiques. Cela a permis aux compagnies maritimes de faire remonter les prix, malgré l’arrivée massive de nouvelles capacités et une demande assez modeste en Europe.

Source : Upply Freight Index

  • Aérien

Les taux de fret aérien ont globalement diminué en 2024, mais de façon extrêmement graduelle et en se maintenant à des niveaux très nettement supérieurs à la situation pré-Covid. Plusieurs facteurs expliquent cette résistance. Sur l’axe Asie-Europe, en particulier, les perturbations du secteur maritime en mer Rouge ont pu réorienter au moins provisoirement certains flux vers l’aérien. D’autre part, le développement du e-commerce transfrontalier, en particulier nourri par la stratégie de conquête de part de marché des plates-formes chinoises Shein et Temu, a créé une forte demande pour les services de fret aérien. La période de haute saison a même surpris par sa vigueur, dans un contexte économique peu porteur, et cela a profité aux compagnies aériennes qui ont pu augmenter leurs tarifs sur cette période.

Source : Upply Freight Index

  • Routier

L’évolution des taux de fret routier est fortement influencée par les prix du carburant. En 2024, ils étaient plutôt en baisse malgré quelques soubresauts. Sur le marché contractuel comme sur le marché spot, les taux de fret sont relativement stables, ce qui témoigne quand même d’une difficulté à répercuter la hausse des coûts d’exploitation. Cela s’est traduit par une forte augmentation des défaillances d’entreprises.

Source : Upply Freight Index

Vers une année 2025 plus géopolitique que jamais

L’année 2024 est venue confirmer que l’organisation du commerce mondial et des chaînes logistiques qui existait avant le Covid a définitivement disparu, vaincue par la multiplication des crises, des tensions et des aléas.

En 2025, l’affrontement sino-américain devrait connaître de nouvelles tensions avec l’arrivée de Donald Trump à la présidence des États-Unis, et le durcissement attendu des droits de douane. La stratégie de contournement basée sur le nearshoring est également dans la ligne de mire du nouveau locataire de la Maison blanche, avec des menaces de droits de douane additionnels sur les biens en provenance du Canada et surtout du Mexique. Cela vise notamment les biens chinois qui transitent par le Mexique avant de rejoindre les États-Unis. Ce protectionnisme fait des émules. À la surprise générale, le Mexique a lui-même instauré des mesures douanières qui vont pénaliser certains produits transitant par son territoire, en laissant fort peu de temps aux entreprises pour s’adapter. Ainsi, un décret pris le 19 décembre par l'administration de la présidente mexicaine Claudia Sheinbaum a augmenté les droits d'importation jusqu'à 35 % sur certains vêtements et articles ménagers, avec une entrée en vigueur dès le 1er janvier. Cette mesure vise à "empêcher l'importation de certains produits qui échappaient aux taxes, à garantir des conditions de concurrence équitables pour les entreprises mexicaines et à protéger les emplois du secteur". Elle va aussi affecter les entreprises qui, en vertu du programme mexicain IMMEX, pouvaient importer des produits au Mexique en franchise d'impôt pour la fabrication, l'assemblage ou l'emballage en vue d'une vente directe aux consommateurs américains. Le 2 janvier, le Mexique a tiré une nouvelle salve, en annonçant des droits de douane de 19% pour les marchandises qui entrent au Mexique par l'intermédiaire d'entreprises de messagerie originaires de pays qui n'ont pas conclu de traité international avec le Mexique. Shein et Temu semblent clairement visés.

Le durcissement de la guerre commerciale affectera aussi l’Europe. D’une part, le Vieux Continent ne sera pas épargné par le protectionnisme américain. D’autre part, la Chine aura besoin de se tourner vers d’autres grands marchés de consommation pour exporter les marchandises fabriquées par son gigantesque système de production, et l’Union européenne est évidemment à ce stade le seul marché d’envergure avec l’Amérique du Nord, et donc une cible de choix.

On assiste à l’avènement d’une nouvelle logique de blocs, qui trouve aussi sa déclinaison dans les conflits armés. Au-delà des ratios économiques, en 2025, ce sont bien les décisions géopolitiques qu’il faudra suivre pour adapter les schémas de production et de transport. On peut oublier les plans à trois, cinq ou dix ans. Il va falloir naviguer à vue.