Commerce international

Impacts de l'élection américaine sur le commerce international

15 novembre 2024

L’élection de Donald Trump à la présidence des États-Unis aura un impact lourd sur le droit commercial international, les institutions qui le soutiennent, et les relations entre les États-Unis, la Chine et l’Union européenne.

Alors que les États-Unis viennent d’élire Donald Trump pour un second mandat, le reste du monde se souvient encore douloureusement de la période 2016-2020 comme du début des mesures de rétorsion commerciale contre la Chine mais également contre les pays de l’Union européenne, alliés historiques des États-Unis. Mais en 2024, que peut-on attendre de lui et de son administration en termes commerciaux ? Va-t-il perpétuer les politiques de Biden, douces pour les alliés et dures envers la Chine ou doit-on dès aujourd’hui se préparer à une guerre commerciale généralisée ?

Trump ou l’abandon du libéralisme économique

Donald Trump, contrairement à ses prédécesseurs et à la candidate de l’autre camp, Kamala Harris, perçoit le commerce international comme un jeu à somme nulle. Les gains des uns font les pertes des autres – d’où son obsession pour les déficits commerciaux. Si la campagne de 2016 et le mandat qui s’en est suivi avaient clairement la Chine en ligne de mire, la campagne 2024 du candidat républicain ciblait également le commerce avec les alliés et les institutions internationales commerciales.

Cette vision du monde portée par le président élu américain risque d’accélérer le détricotage des institutions économiques internationales en commençant par la plus centrale : l’Organisation Mondiale du Commerce. Lors de son premier mandat, Donald Trump avait sciemment empêché la nomination de juges américains à la Cour d’appel de l’organisme de règlement des différends, empêchant ainsi la Cour de rendre des décisions juridiquement contraignantes [1]. Cette politique a été pérennisée par l’administration Biden, qui y a ajouté le retrait du soutien des États-Unis à la position traditionnelle de transparence en termes de partage de données dans le e-commerce [2]. Elle a aussi contesté les conclusions de l’institution qualifiant d’abusive l’invocation de Trump de la "sécurité nationale" dans l’imposition de sanctions tarifaires sur les importations d’acier et d’aluminium [3].

Les déclarations du candidat républicain au sujet du commerce ont varié au cours de la campagne mais les plus connues prévoient des droits de douanes allant de 10 à 20% pour l’ensemble des imports d'origine européenne, 60% sur les imports d’origine chinoise, 100% sur les imports d’acteurs ne commerçant pas en dollar, et 100% à 200% sur les imports d’entreprises américaines ayant délocalisé à l’étranger. Enfin, le nouveau président américain propose le "Reciprocal Trade Act" [4]. Il permettrait d'augmenter les droits de douane sur toute marchandise importée d'un pays tiers afin qu'ils soient égaux à ceux imposés par le pays tiers en question sur la même marchandise lorsqu'elle est importée des États-Unis.

Ces propositions prévoient des droits de douanes différenciés par pays, ce qui est contradictoire avec l’esprit de l’ordre commercial international contemporain. Si elles sont adoptées, elles remettraient en cause l’ensemble du fonctionnement de l’ordre commercial international qui est basé sur la clause du "pays le plus favorisé". Étant donné la clé de voûte que constituent les États-Unis dans le système économique mondial, il est peu probable que l’ordre mondial et ses institutions s’en sortent indemnes. Plus concrètement, on peut s’attendre à une politique commerciale beaucoup plus virulente, basée sur la loi du talion – œil pour œil, dent pour dent – exactement ce que la création de l’Organisation mondiale du commerce avait pour projet d’enrayer au départ.

Trump et l’Union européenne : la fin de la politique d’alliance

La politique de Trump vis-à-vis de l’Union européenne est celle qui diffère le plus de ce qui était pratiqué sous l’administration Biden. Les dernières années ont été marquées par un rapprochement des États-Unis et de l’Union européenne et ses États membres avec un objectif commun : faire front entre acteurs partageant les mêmes valeurs. La création du "Trade and technology council" en 2021 est l’action la plus emblématique qui va dans ce sens. L’UE et les États-Unis ont mené des politiques communes pour défendre leurs intérêts en termes de sécurité, comme les sanctions apposées en parallèle contre la Russie et tout État cherchant à l’aider. Les politiques de dérisquage des chaînes d’approvisionnement menées des deux côtés de l’Atlantique ont revigoré le commerce entre les deux entités, l’UE représentant 25% des imports américains en 2023 et les États-Unis atteignant 15% des imports européens la même année.

Trump sonne la fin du privilège commercial accordé aux alliés sous plusieurs aspects : tout d’abord, les États membres de l’UE sont concernés par les tarifs douaniers que le président élu souhaite voir apposés sur tous les imports américains. Ensuite, l’UE pourrait souffrir de façon indirecte des volontés de Trump d’apposer des droits de douanes de 60% sur les produits chinois. En effet, l’économie chinoise est actuellement en souffrance et reste très fortement dépendante des exportations pour sa croissance. Étant donné la similarité des marchés européens et américains en termes de consommation, il est probable que la Chine cherche à détourner une partie de ses exportations américaines vers l’Union européenne, mettant ainsi la pression sur Bruxelles, avec qui les relations sont déjà tendues par des dossiers bilatéraux comme les sanctions dirigées contre les exportateurs de véhicules électriques en provenance de Chine.

Cependant, à l’inverse de ce qui s’est produit lors du premier mandat de Donald Trump, l’Europe s’est préparée à un scénario catastrophe – et ce depuis plusieurs mois : Ursula Van Der Leyen, la présidente de la Commission européenne, s’est entourée d’une équipe baptisée la "Trump task force" [5] et Maros Sefcovik, le nouveau commissaire européen au commerce et à la sécurité économique s’est dit prêt "à défendre les intérêts européens en cas de scénario préjudiciable" [6] (i.e. l’élection du candidat républicain et l’instauration de droits de douanes allant jusqu’à 20% sur les produits européens). En 2018, lors des tensions commerciales avec les États-Unis, notamment sur le dossier de l’acier et de l’aluminium, l’UE avait cherché à désamorcer le conflit en n’appliquant que peu de mesures de représailles, sans succès. Les dirigeants européens se préparent désormais à un conflit ouvert dans lequel ils comptent prendre une part active si les mains tendues vers le nouveau président des États-Unis ne sont pas saisies. En d’autres termes, si Trump persiste à vouloir imposer des mesures tarifaires sur l’ensemble des importations, y compris celles en provenance de l’UE, il est fort probable qu’un ballet de mesures et contremesures soit lancé – aboutissant de facto à une forme de guerre commerciale entre alliés avec des tendances très volatiles, rompant avec l’augmentation solide et lente des importations réciproques observables ces dernières années.

Trump et la Chine : acte 2

Lors de son premier mandat, l’administration de Donald Trump a instauré des sanctions commerciales sur un grand nombre de biens en provenance de Chine, à hauteur de 7,5% à 25%. Les sanctions commerciales se sont ensuite progressivement élargies sous l’administration Biden. Aujourd’hui, 60% des produits en provenance de Chine sont soumis à une sanction.

Toutefois, la proposition de Trump pour son second mandat reste inédite : imposer des droits de douane de l’ordre de 60% sur l’ensemble des produits chinois. Les études sur le commerce entre les États-Unis et la Chine ont démontré l’efficacité des droits de douanes dans la politique de dérisquage américaine : les catégories de biens taxées sont moins importées que les autres [7]. Compte tenu de l’étendue des produits concernés par les sanctions, on a globalement assisté en quelques années à une baisse très significative des importations chinoises aux États-Unis. Pourtant, le marché américain a une telle importance pour les exportations chinoises que le pays a en grande partie absorbé les sanctions en rognant sur ses marges – les prix sur le marché cible ont donc peu fluctué. Avec des droits de douanes à hauteur de 60% du prix de vente, les vendeurs chinois ne seront pas en mesure d’absorber les sanctions et avec l’augmentation des prix sur le sol américain, les exportations risquent donc de chuter encore d’avantage, et ce de façon assez drastique.

Toutefois, par rapport au premier mandat de Donald Trump, deux éléments ont changé côté chinois : d’une part l’économie chinoise est dans une situation nettement plus difficile qu’en 2016 et d’autre part, les dirigeants savent à quoi s’attendre. En effet, depuis les années COVID, l’économie chinoise est en difficulté : croissance insuffisante, écroulement du secteur immobilier, échelon provincial en difficulté, et consommation interne à la traîne. Si les économistes s’accordent sur la nécessité pour la Chine de diversifier ses ressorts de croissance, le levier principal qui lui permet de garder la tête hors de l’eau reste aujourd’hui l’export [8]. L’élection de Donald Trump risque d’avoir un impact important sur les chiffres du commerce chinois mais aussi sur l’organisation des exportations : depuis la mise en place de sanctions, la Chine a fait transiter certaines de ses exportations par d’autres pays comme le Mexique pour s’affranchir des sanctions douanières américaines. Ce type de stratégie va sûrement s’accentuer.

Enfin, les dirigeants chinois ont déjà l’expérience du premier mandat de Donald Trump et notamment de la signature difficile et assez humiliante de l’accord de Phase One où la Chine acceptait d’importer des quotas de produits américains en échanges de droits de douanes abaissés [9]. Étant donné la violence exercée et l’absence de concessions côté américain pendant le premier mandat de Trump, il est probable que la Chine, elle aussi, ait recours à une politique de durcissement rendant la pareille aux États-Unis, en limitant les exports de matériaux critiques, en lançant des procédures commerciales tous azimuts au niveau de l’OMC et en mettant en place des mesures commerciales douloureuses en représailles d’actions unilatérales américaines.

Globalement, un des effets indirects de l’élection du candidat républicain à la présidence des États-Unis pourrait être de forcer la Chine et l’Union européenne à reprendre les discussions de fonds sur le soutien au système commercial international à mettre en place en l’absence des États-Unis, et à trouver des solutions amiables à leurs nombreux contentieux commerciaux. Dans tous les cas, l’élection de Donald Trump pour un second mandat à la tête de la première puissance mondiale est une promesse d’un chemin (très) cahoteux pour le commerce international et ses acteurs : le droit commercial international et les institutions qui le soutiennent sont au bord du précipice et les États-Unis promettent une forte hausse du nombre de barrières commerciales et des contentieux avec les deux autres gros acteurs de la mondialisation, l’Union européenne et la Chine.


[1] Tom Miles, "U.S. blocks WTO judge reappointment as dispute settlement crisis looms", Reuters, 27/08/2018.

[2] Bureau du la représentation du commerce des États-Unis, "USTR Statement on WTO E-Commerce Negotiations", 24/10/2023.

[3] Doug Palmer, "WTO says Trump’s steel tariffs violated global trade rules", Politico, 12/09/2022.

[4] Site official de la campagne de Donald Trump 2024, "Cementing Fair and Reciprocal Trade with the Reciprocal Trade Act", 21/06/2023.

[5] Jakob Hanke Vela, "En cas de guerre commerciale de Trump, l’UE a un plan : “riposter vite et fort", Politico, 22/10/2024.

[6] Centre multimédia du parlement européen, "Discours d’ouverture du commissaire désigné pour le commerce, la sécurité économique, les relations interinstitutionnelles et la transparence, Maros Sefcovik", 04/11/2024.

[7] Caroline Freund Et Al (2023), "US-China Decoupling: Rhethoric and Reality", VoxEU, CEPR, 31/08/2023.

[8] David Lawder, "IMF's Georgieva says China can no longer rely on exports for growth", Reuters, 17/10/2024.

[9] Bureau de la représentation du commerce des États-Unis, "United States – China Phase One Trade Agreement", 15/01/2020.

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Camille Brugier est chercheuse en sciences politiques, spécialiste de la Chine.
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