"Comment parler d’une « économie de guerre » sans être soi-même en guerre ?", titrait le journal Le Monde dans un article du 10 janvier 2024, rappelant que le terme était apparu en 1914. Il s’agissait alors de "réorienter les matières premières, la production industrielle, mais aussi alimentaire et textile, la logistique, la fiscalité, l’investissement et l’épargne vers les seuls besoins de l’armée. Quitte à rationner la consommation civile sans sacrifier les besoins essentiels", raconte le Monde.
En juin 2022, le président de la République, Emmanuel Macron, a annoncé que la France était entrée dans une économie de guerre suite à l’invasion de l’Ukraine par la Russie, sans que cela n’ait d’impact visible sur l’économie "civile" du pays. Le sujet revient aujourd’hui en force sur le devant de la scène, alors que les tensions s’accroissent avec la Russie.
Si le passage à une véritable "économie de guerre" concerne notamment les industries de la Défense, appelées à mobiliser leurs capacités, il aurait aussi un fort impact sur le monde du transport maritime conteneurisé.
Guerre hybride, guerre économique, guerre cybernétique, les qualificatifs ne manquent pas pour désigner ce type de guerre dites "modernes" qui semble se répandre sur le continent européen avec une inquiétante inéluctabilité.
Le passage à une économie de guerre aurait des impacts très concrets pour les compagnies maritimes.
Le principal enjeu, pour les chargeurs, serait de savoir s’ils continuent ou non à commercer à l’international en temps de guerre avec des pays a priori amis…mais pas seulement. Le conflit russo-ukrainien nous éclaire sur ce point. Malgré les sanctions, le pétrole russe a continué à circuler et à rejoindre l’Europe, même si les Occidentaux semblent commencer à réagir. En février, les Etats-Unis ont sanctionné 14 pétroliers d'une 'flotte fantôme" utilisés par Moscou pour contourner le plafond imposé par les pays occidentaux. Le commerce du blé ukrainien s’est également poursuivi.
Situation de guerre et commerce maritime international ne sont donc pas deux notions incompatibles, mais cela impose un cadre plus restrictif, plus contrôlé et forcément régulé par les autorités régaliennes pour les produits de première nécessité à importer. À ce titre, l’expérience de la pandémie de Covid-19 a eu des effets bénéfiques en termes de prise de conscience et d’élaboration de schémas logistiques de crise.
Dans un contexte d’économie de guerre, le risque le plus élevé pour la marchandise réside finalement dans une hausse des prix de transport, qui n’auraient plus de raison de marché de s’établir en-dessous des coûts de revient, comme nous avons pu le voir au quatrième trimestre 2023 entre l’Asie et l’Europe. Le passage quasi "obligatoire" via le Cap de Bonne-Espérance se fait encore pour l’instant au-dessus des pivots de rentabilité pour les compagnies maritimes.
Pour aller jusqu’au bout du raisonnement, rappelons qu’une économie de guerre sous-entend une régulation de l’activité commerciale internationale par rapport aux intérêts d’exportation et d’importation de tel ou tel pays ou de tel ou tel ensemble de pays "amis".
Dans ce contexte, des institutions supra-nationales pourraient s’entendre pour définir des prix de transport par conteneur par "trades" maritimes, qui deviendraient de fait les tarifs publics pratiqués par les compagnies.
On reviendrait alors à des publications de "Commodity box rates" (CBR, taux au conteneur par type de marchandise et par relation de port à port), avec des tarifs valides de 6 à 12 mois renouvelables, pour pouvoir organiser dans un contexte opérationnel dégradé une poursuite d’activité qui garantisse une rentabilité financière pour les opérateurs et un tarif maîtrisé pour les acheteurs. Il est aujourd’hui facile d’harmoniser à l’international des CBR sur la base de la nomenclature douanière harmonisée internationale (codes SH). La publication de ces CBR serait une forme de retour provisoire à des tarifs régulés tels qu’ils étaient pratiqués par les conférences maritimes avant 2008.
À la lumière de ces arguments, il apparaît donc que le passage à une économie de guerre pourrait signifier pour le transport maritime de marchandises conteneurisées la suspension de la dérégulation totale du marché pendant la période de conflit... Il reste à redéfinir ce qu’est un conflit, sa couverture géographique précise et la durée que l’on y associe tant cette tension internationale et cette combinaison de guerres larvées et ouvertes est aujourd’hui protéiforme.