Quasiment un an jour pour jour après l’échouement de l’Ever Given dans le canal de Suez, la compagnie maritime taïwanaise Evergreen connaît de nouveaux déboires avec l’un de ses navires. Le porte-conteneurs Ever Forward s’est posé sur le fond dans la baie de Chesapeake, en dehors du chenal principal, alors qu’il quittait Baltimore pour Norfolk le 13 mars.
Avec sa capacité d’environ 12 000 EVP, il s’agit d’un très gros navire pour les standards d’accueil de la Côte Est des États-Unis, et de Baltimore en particulier, port un peu vieillissant et sous-équipé, disposant de moyens de remorquage limités.
Le navire a pu être renfloué le 17 avril et dirigé vers Annapolis où il va subir une inspection. Mais auparavant, le 31 mars, Evergreen a procédé à une déclaration d’avarie commune après deux tentatives de renflouement infructueuses. Cette disposition très spécifique du droit maritime permet d’appeler financièrement à la rescousse les propriétaires de la marchandise afin d’aider la compagnie à remettre son navire dans l’état de navigabilité dans lequel il se trouvait avant la déclaration du sinistre. La compagnie taïwanaise avait d’ailleurs eu recours à cette même disposition au moment de l’échouement de l’Ever Given.
Dans les deux cas, nous aboutissons à une déclaration d’avarie commune après quelques tentatives de déséchouement avec des remorqueurs locaux de faible puissance. Mais l’approche de résolution du problème est pourtant fondamentalement différente.
1/ Le risque de pollutionLa Baie de Chesapeake est une zone naturelle touristique et écologiquement très sensible, notamment en matière de faune et de flore. Prendre le risque d’une déchirure sous la ligne de flottaison causée par des opérations de remorquage, surtout si le fond du navire est endommagé, n'était pas envisageable dans le cas de l’Ever Forward. Rappelons-nous qu’aux États-Unis, la tragédie de l’Exxon Valdez à durablement marqué l’opinion.
Pour l’Ever Given, l’approche était bien différente. Le paramètre pollution était certes pris en compte, mais secondaire et plus facilement gérable compte tenu de la topographie des lieux. Dans la baie de Chesapeake, une fuite de carburant aurait été dramatique et rapidement hors de contrôle.
2/ Le degré d’urgenceDans l’affaire de l’Ever Given, la priorité absolue était de libérer le canal de Suez, artère vitale pour le commerce mondial, par tous les moyens et surtout le plus vite possible. L’Ever Forward, lui, n'était pas dans le chenal et n’entrave pas la circulation. Les garde-côtes américains ont donc privilégié donc le scénario le plus cher mais présentant le moins de risques. La marchandise contribuera aux frais, c’est même la finalité de la procédure de l’avarie commune...
Ce scénario consistait à décharger quelque 500 conteneurs sur les 4 964 EVP qui sont à bord pour alléger le navire, à l’aide de deux pontons flottants équipés de grues. Les conteneurs ont été chargés sur des barges qui ont fait la navette jusqu’au port de Baltimore. L’opération a été menée uniquement de jour pour des raisons de sécurité.
3/ Les volumes
Petit bateau, petit problème, gros bateau, gros problème... Cette maxime se vérifie une fois encore. Tout d’abord, l’Ever Forward transportait un volume de marchandises nettement moins important que l’Ever Given. D’autre part, le navire étant de plus petite taille, les options techniques pour mener des opérations de secours étaient plus nombreuses.
1/ La vitesse
Au moment de l’impact, dans les deux cas, la vitesse du navire était de 13 nœuds. Cette vitesse élevée est symptomatique d’une action de l’équipage pour récupérer de la manœuvrabilité au moment où le problème de navigation a été identifié.
2/ La formation et la compétence
Sans présumer de l’enquête en cours, l’Ever Forward n’avait ni avarie de machine ni avarie de barre au moment de l’impact, il n’avait juste rien à faire là où il s’est échoué. Dans l’affaire de l’Ever Given, en dehors des conditions climatiques, l’hypothèse d’une erreur humaine a également été évoquée. Les investigations concernent aussi bien le rôle des pilotes que celui de l’équipage du navire.
Les mêmes causes produisant les mêmes effets, aucune grande compagnie ne peut se prévaloir d’être à l’abri d’un échouement. Il ne s’agit pas ici de stigmatiser une compagnie de grand renom, qui reste la première grande victime de ces deux échouements.
Aussi étonnant que cela puisse paraître, il est important de noter qu’un échouement est, dans beaucoup de cas d’accidentologie maritime, un incident relativement "banal". Bien souvent, l’affaire se résout en engageant des frais relativement limités, ce qui évite d’avoir à faire appel à l’avarie commune et à ses dépenses exceptionnelles.
Nombre d’échouements sont d’ailleurs passés sous silence dans le quotidien de la vie de la marine marchande. Cependant, il est plus difficile de masquer ces incidents aujourd’hui avec l’outil AIS Marine Traffic, bien pratique pour géo localiser les navires en temps réel, mais aussi nouveau "mouchard" de la profession...