Le transport maritime redécouvre malgré lui les routes du 19ème siècle via le Cap de Bonne-Espérance et le Cap Horn avec quelques avantages… très provisoires.
1/ Quelles étaient les principales motivations pour construire les canaux de Suez et Panama à la fin du 19è siècle ?
- Accompagner le développement de l’industrie basée sur la vapeur et structurer une offre moderne de services de lignes régulières.
- Raccourcir les temps de transit pour développer les économies, l’idée qu’une vitesse accrue puisse apporter des gains étant particulièrement structurante.
- Asseoir une certaine suprématie occidentale dans le commerce international.
- Monter des opérations financières de grande envergure basées sur de la gestion de grands projets.
2/ Quelles sont aujourd’hui les faiblesses de ces ouvrages ?
- Ils présentent des contraintes nautiques non négligeables.
- Ils coûtent chers en exploitation et en passage.
- Ils sont sensibles aux aléas géopolitiques.
- Ils génèrent des goulots d’étranglement.
- La vitesse, synonyme de consommation d’énergie, n’est plus un facteur primordial.
- Du point de vue occidental, l’avantage stratégique est amoindri par le fait que leur utilisation est désormais partagée par l’ensemble des acteurs mondiaux.
- Dans un contexte de surcapacité structurelle, les compagnies n’ont pas forcément intérêt à privilégier les voies les plus courtes.
3/ La route des caps offre-t-elle des opportunités ?
- Avantage chargeur : Emprunter la route des caps peut faciliter une "re-métronomisation" des services, avec un retour à des fréquences hebdomadaires mieux respectées. Or la régularité et la fiabilité des services maritimes ont aujourd’hui plus de valeur que la vitesse pure dans l’organisation des supply chains.
- Avantage compagnie : L’allongement du temps de navigation présente un effet d’aubaine pour les compagnies maritimes qui doivent actuellement absorber l’arrivée massive de nouvelles capacités, dans un contexte de demande morose. Le contournement permet donc un certain rééquilibrage du rapport de force entre la marchandise et la compagnie.
4/ Des inconvénients qui l’emportent
- Un bilan carbone très défavorable, difficilement acceptable surtout si les navires doivent augmenter un peu leur vitesse pour compenser en partie l’allongement de la distance.
- Un manque à gagner pour les États traversés par ces deux canaux, à savoir l’Égypte et Panama, qui risque d’accroître les tensions politiques.
- Un lourd handicap pour les États du "Sud global", particulièrement l’Inde et la Chine, qui ont besoin de ces accès pour accélérer leur développement.
- Une exposition accrue à la volatilité des prix du carburant qui complexifie les budgets d’exploitation prévisionnels.
- Un taux de rotation de conteneurs pleins par cellule par an qui se dégrade fortement.
5/ Des facteurs à ne pas négliger
Les compagnies maritimes sont en théorie décisionnaires des routes qu’elles font emprunter à leurs navires, après analyses des avantages et opportunités que nous venons de lister. Cependant, d’autres paramètres entrent en ligne de compte.
- La sécurité : Dans le cas du canal de Suez, la menace directe contre les navires, les marchandises et surtout les équipages renvoie à la responsabilité de la compagnie, qui en tant qu’employeur se doit d’assurer la sécurité de son personnel et en tant que prestataire de service, se doit de faire tout ce qui est en son possible pour préserver l’intégrité du fret qui lui est confié.
- La gestion du risque : Les assureurs ne couvrent plus le passage de la mer Rouge ou à des tarifs si dissuasifs qu’en fait, les compagnies n’ont pas vraiment d’autre choix que d’utiliser la route via le Cap de Bonne-Espérance. Ce sont finalement eux qui, le moment venu, donneront en quelque sorte le feu vert pour ré-emprunter la route de Suez.
- Les contraintes naturelles : la situation du Canal de Panama est très différente, puisque les restrictions de navigation sont cette fois liées à une saison sèche anormalement prolongée par le réchauffement climatique et le phénomène El Nino. On peut espérer qu’une atténuation de ce phénomène cyclique permettra de retrouver en 2025-2026 des conditions de navigation plus favorables, mais là encore, c’est bien un facteur exogène qui conditionnera les options des compagnies maritimes. Le canal de Panama est loin d’être près de fermer ses portes pour des raisons techniques, mais la ressource en eau devra être bien mieux gérée lorsque la situation se normalisera.