"What’s going on…", chantait Marvin Gaye en 1971. Voilà un titre on ne peut plus approprié pour évoquer la conjoncture actuelle dans le secteur de la ligne maritime conteneurisée… Maersk, MSC et CMA CGM vivent une fin d’année particulièrement sous pression. Les "Big 3" de la ligne maritime conteneurisée font en effet face à de grosses échéances de clôture de bilan avec un point commun : des besoins élevés en trésorerie pour passer le cap de l’IMO 2020 et des résultats opérationnels en-dessous des attentes, à l’exception du Transatlantique qui restera la seule bonne surprise de 2019 côté transporteur.
Dans ce contexte houleux, la Commission européenne vole au secours des compagnies maritimes en proposant une extension pour 4 ans des exemptions de groupe, à compter d’avril 2020. Mais elle s’est attirée illico une riposte cinglante, et atlantiste, des chargeurs et des commissionnaires : dans un élan d’unanimité suffisamment rare pour être souligné, Américains et Canadiens ont rejoint leurs homologues européens dans le rejet de cette reconduction d’exemption en l’état.
Sous la pression, la Commission est contrainte de ré-ouvrir les débats pour une période d’un mois afin de faire la lumière et statuer sur la suite à donner sur ce sujet. Dans la pratique, cependant, Bruxelles est rarement revenu sur une "préconisation" de ce type. Affaire à suivre donc même si le scénario actuel reste le plus crédible.
La reconduction ponctuelle semble en tout cas la moins mauvaise solution pour sauvegarder les intérêts des acteurs du marché, côté occidental comme côté asiatique. Sur ce sujet, il est illusoire, encore plus aujourd’hui avec une Chine conquérante qui sort ouvertement du bois, de croire que l’on peut sainement faire avancer cette problématique sans tenir compte de l’impact de la souveraineté des États. Qu’on le veuille ou non, ces derniers s’invitent dans la gouvernance des mastodontes du transport maritime.
Derrière se profile un enjeu majeur : assurer pour les années qui viennent l’équilibre géopolitique, économique et stratégique des forces en présence dans le secteur marchand sur la surface maritime du globe.
La balance Orient / Occident doit impérativement rester "acceptable" pour ne pas fragiliser un peu plus les grands équilibres mis à mal quotidiennement par de nombreuses micro-secousses de nature variée (Ormuz, Djibouti, Hong Kong, Iran, Irak, Kurdes en Syrie, positionnement des Russes sur la route arctique, demain Taiwan avec les prochaines élections de janvier…).
Dans cette logique, on comprend mieux l’amorce d’un rapprochement de gouvernance entre Maersk et MSC, déjà associés dans le M2. La prorogation des exemptions pour une période de 4 ans correspond - quelle coïncidence heureuse - à la fin du présent contrat M2 de 10 ans entre les deux leaders du marché… La "pilule" la plus difficile à faire passer reste celle des plafonds de part de marché acceptables. Bruxelles a fixé ce seuil à 30%. Hors le cumul M2, une fois sortie la part de Hyundai qui va rejoindre prochainement The Alliance, frise mécaniquement les 30%.
Ce dont le marché n’avait pas besoin, dans cette instabilité soudaine et inattendue au sein du M2, c’est que le 3ème acteur clé du marché, CMA CGM, se mette également à tousser. "Les investissements significatifs réalisés pour transformer Ceva Logistics pèsent sur les marges à court terme", écrit CMA CGM dans la présentation des résultats financiers du 3è trimestre 2019.
CMA CGM cherche aujourd’hui à dégager près de 2 milliards de dollars, dont notamment 860 millions par la vente ou la restitution de navires et 968 millions par la vente de leur participation dans 10 des 13 terminaux détenus avec Terminal Link.
L’État français doit-il intervenir ? Laissera-t-il progressivement la Chine prendre le contrôle total du fleuron tricolore et d’une partie de ses terminaux ? Si tel est le cas, c’est bien à un effondrement "d’une certaine idée de la France" que l’on assistera. Ce serait vraiment cher payer, à mon sens, ce fameux One Stop Shop CMA CGM/Ceva Logistics dont la pertinence économique reste pleinement à démontrer. Le précédent Maersk/Damco n’a pas démontré une pertinence de marché décisive aux yeux des analystes.