L’écosystème portuaire italien se caractérise par une double fonction. Comme dans tous les pays, les ports servent d’abord de porte d’entrée et de sortie pour le commerce extérieur du pays. Mais plus que dans les autres pays d’Europe, les ports italiens jouent également un rôle central de hub dans le sud du continent.
Par sa position géographique, la péninsule italienne rapproche l’Europe de la partie orientale du Maghreb. Elle est aussi une avancée terrestre en plein cœur de la Méditerranée. La principale route maritime méditerranéenne, entre la sortie du canal de Suez et le détroit de Gibraltar passe à quelques encablures des côtes italiennes. Enfin, les ports italiens entretiennent des liens privilégiés avec les pays enclavés d’Europe centrale, à l’image de la Hongrie, de l’Autriche et de la Suisse. Ainsi, Trieste s’impose comme porte d’entrée préférée de l’Autriche et de la Hongrie. Pour mémoire, lors du conflit dans les Balkans, UN RoRo, armement turc, avait développé une ligne pour les camions entre la Turquie et Trieste. Les camions embarquaient à bord des navires tandis que les chauffeurs empruntaient l’avion. Reprise par DFDS, la ligne fonctionne toujours. Une partie des ensembles routiers rejoint ensuite la destination finale en accompagné. Les autres sont chargés sur des trains pour s’enfoncer dans le cœur de l’Europe.
Ce rôle de porte d’entrée et de sortie se décline aussi à l’ouest du pays, où Gênes joue un rôle central pour les trafics avec les industriels suisses. Les chargeurs suisses ont longtemps considéré le port italien comme leur ouverture méridionale sur l’international. Depuis quelques années, le grand port maritime de Marseille-Fos tente également de se positionner sur ce marché.
Enfin, la position géographique de l’Italie a amené des opérateurs portuaires à créer des hubs dans le pays. Cette fonction s’est d’abord développée dans le sud de la péninsule. Deux ports se distinguent : Gioia Tauro et Tarente. Le premier est né de la volonté d’un groupe de manutention germano-italien, Contship, qui a souhaité dès la fin des années 1990 créer un hub portuaire dédié à la conteneurisation. D’un simple quai utilisé pour les trafics locaux, Contship a fait de ce port le premier hub portuaire méditerranéen.
Le second hub du sud, Tarente, a été principalement un port charbonnier pendant des décennies, réceptionnant les produits de l’industrie du centre du pays. Lorsque le mouvement de désindustrialisation a touché le sud de la péninsule, l’autorité portuaire de Tarente a vu dans le trafic conteneurisé un relais de croissance potentiel. Mais si Gioia Tauro a réussi son pari, Tarente a connu plus de difficultés. Dans un premier temps, le port a confié la gestion de ce hub au groupe Evergreen au début des années 2000, alors que l’armement taïwanais était en pleine croissance. Malgré des investissements et des projets, Evergreen n’a jamais réussi à imposer ce hub méditerranéen. L’armement taïwanais a jeté l’éponge. Depuis, le hub de Tarente est passé entre les mains du groupe turc Yildirim. Avec le terminal de Malte, le groupe turc vise à s’imposer sur le centre de la Méditerranée entre l’Europe et l’Afrique du Nord.
Un troisième projet a existé à la fin des années 90. P&O Ports, filiale du groupe de ferry éponyme, avait souhaité se positionner dans le paysage des hubs méditerranéens en posant le pied à Cagliari, en Sardaigne. Il s’agissait de créer sur l’île un port concurrent de celui de Malte. Ce pari risqué n’a jamais eu le succès escompté. Quand DP World a repris les activités de P&O Ports dans les années 2000 pour se développer à l’international, le site de Cagliari a été rapidement abandonné.
L’Italie dispose au total d’une vingtaine de ports répartis le long des côtes de la péninsule mais aussi dans les deux îles de Sardaigne et de Sicile. Les principaux ports du territoire ont traité en 2023 un trafic cumulé de 11,03 millions d’EVP, en repli de 6,3% par rapport à 2022 mais néanmoins supérieur aux résultats enregistrés en 2020 et 2021. Cette baisse correspond à une tendance générale en Europe, où la quasi-totalité des principaux ports à conteneurs ont accusé un repli en 2023.
* Estimations – Sources : Autorités portuaires. © Upply/Ports et Corridors
L’Italie réalise environ le double du trafic conteneurisé français (environ 5 M EVP en 2023), avec quasiment le même nombre de ports. Trois ports entrent dans le cercle des millionnaires : Gioia Tauro, Gênes et La Spezia. Le premier profite de son statut de hub, quand Gênes et La Spezia s’apparentent plus à des ports de desserte de l’hinterland.
Gioia Tauro s’est particulièrement distingué en 2023 en affichant une croissance de son trafic de 5%. L’autorité portuaire indique que cette augmentation tient à la présence marquée de MSC dans le terminal. En effet, après avoir été développé par Contship, le terminal à conteneurs de Gioia Tauro est passé en partie entre les mains de Mærsk avant de rejoindre le giron du groupe MSC. L’armement suisse a fait de ce port son hub en Méditerranée.
Si Trieste ne parvient pas à atteindre le cap du million de conteneurs, il a frôlé cette barre en 2022 avec près de 900 000 EVP. Le port du nord-est du pays doit malgré tout combiner trafic conteneurisé et trafic roulier dans un espace parfois limité.
Les ports dont le trafic conteneurisé est compris entre 100 000 EVP et 700 000 EVP jouent davantage un rôle de desserte régionale. Il en est ainsi de Naples, Venise, Cagliari (pour la Sardaigne), Salerne ou encore Ravenne.
La position géographique de l’Italie et les capacités offertes par ses ports pour desservir le marché du sud de l’Europe ont attiré les grands opérateurs de manutention portuaire.
L’Italie est d’abord le nouveau "terrain de jeu" du groupe MSC. Après avoir dans un premier temps concentré ses activités en Europe du Nord, l’armement italo-suisse s’est intéressé depuis plusieurs années au système portuaire italien. Via ses différentes filiales, le groupe gère le terminal de Civitavecchia, celui de Gioia Tauro, le Mediterranean Gateway Container Terminal à Gênes, le terminal de Naples. Par ailleurs, il dispose de 80% de Marine Terminal de Trieste et 40% de La Spezia Container Terminal aux côtés de Contship. Enfin, le groupe est actionnaire dans les terminaux de Venise et d’Ancône. Récemment, le groupe MSC a manifesté son intérêt pour l’acquisition du Terminal Darsena Toscana, dans le port de Livourne en faisant une offre au concessionnaire actuel, GIP (Gruppo Investimente Portuali). Finalement, avant même que la commission en charge de la concurrence en Italie ne rende sa décision, la filiale manutention de MSC, Terminal Investment Limited, a renoncé à la reprise de ce terminal. Ses concurrents avaient sonné l’alerte sur le fait que MSC aurait alors été en situation de position dominante dans le port de Livourne puisqu’elle détient déjà 50% de Lorenzini, l’opérateur de l’autre terminal à conteneurs.
Parallèlement, les groupes étrangers s’intéressent aussi de près aux ports italiens. Ainsi, l’arrivée du groupe singapourien PSA à Gênes, dans le terminal SECH et Genova Pra, a constitué la première incursion du groupe en Europe. Le groupe singapourien a aussi pris position à Venise puis dans d’autres pays européens.
En 2019, le gouvernement chinois a également manifesté son intention de faire des deux ports italiens de Gênes et Trieste des points d’atterrissage, alors que l’Italie venait de signer un accord avec la Chine pour adhérer au projet des Nouvelles Routes la Soie porté par Pékin. L’arrivée au pouvoir de Giorgia Meloni a porté le coup de grâce à cet accord, dont l’Italie s’est retirée en décembre 2023. Les deux ports italiens ne seront pas la tête de pont de la Chine en Italie. L’affaire a fait grand bruit. Elle s’inscrit dans une fronde des opérateurs portuaires européens contre les prises de participation de groupes chinois, et notamment de Cosco, dans les ports du Vieux Continent. Si Cosco n’a pas pris position à Gênes et Trieste, le groupe chinois conserve cependant un pied dans le monde portuaire italien. En effet, dans le port de Vado Ligure, au nord-ouest du pays, le terminal à conteneurs est géré par APM Terminals et Cosco. Ce dernier détient 20% du capital de la société de gestion du terminal.
Parallèlement à l’arrivée de groupes étrangers sur le sol italien, une société locale a su se démarquer et s’imposer dans le paysage portuaire national : Contship Italia. Créé en 1969, le groupe est présent à La Spezia, Ravenne et Salerne en Italie. À l’étranger, Contship a posé le pied à Tanger Med. Outre les activités de terminaux portuaires, Contship Italia développe des offres multimodales ferroviaires et des plateformes logistiques.
Par ailleurs, l’opérateur italien Grimaldi est présent dans les ports de Savone, Livourne, Civitavecchia, Gioia Tauro, Catane, Palerme et Monfalcone).
Si le groupe MSC a son siège en Suisse, ses racines italiennes ne font aucun doute. L’Italie peut donc se targuer d’avoir des liens privilégiés avec la première compagnie mondiale de transport de conteneurs. Mais les activités de MSC ne s’arrêtent pas là. Le groupe est également actif dans le secteur des ferries depuis qu’il a repris l’activité de Moby Lines. Il est même désormais le premier opérateur italien de ferry.
L’armement italo-suisse est par ailleurs actionnaire des groupes italiens Ignazzio Messina et GNV (Grandi Navi Veloci), deux armements qui opèrent des trafics rouliers en Méditerranée et en Afrique. La présence de MSC à l’actionnariat d’Ignazio Messina a d’ailleurs incité Grimaldi, son principal concurrent italien dans ce secteur, à s’opposer à une prise de participation dans le terminal San Giorgio de Gênes, et l’Autorité de la concurrence a également exprimé des réserves. La décision est attendue pour la fin du premier semestre.
Née en 1992, la société GNV a été le premier opérateur ferry italien coté en bourse. L’armement se déploie sur les liaisons entre la péninsule italienne et les îles comme la Sardaigne. Pour surfer sur la vague du short sea dans les années 2000, GNV a étendu son offre sur l’Afrique du Nord en ouvrant une ligne de Gênes à Tunis dès 2003. En 2008, elle a poursuivi sa croissance en reliant Gênes à Barcelone et Tanger. Puis elle a accru sa présence en Méditerranée avec des liaisons entre Sète et Tanger et entre l’Italie et l’Albanie.
Alors qu’elle a pendant un temps accueilli à son capital la famille Grimaldi, GNV est désormais dans le giron de MSC. En 2011, Marinvest, filiale de MSC, s’est en effet porté au secours de l’armement en apportant de la trésorerie mais aussi trois navires. En 2013, le montant de la participation de la filiale de MSC au capital de GNV est passé de 50% à 58%.
Le groupe Grimaldi a été fondé à Naples par Emmanuele et Gianluca Grimaldi. Il a deux activités principales : l’armement et le tourisme. La structure qui gère les lignes maritimes regroupe une multitude d’armements, qui ont chacun a conservé leur marque commerciale. Ces différentes compagnies permettent au groupe Grimaldi de disposer d’une offre large qui regroupe le conteneur et le roulier tant en Méditerranée qu’en Europe du Nord vers l’Amérique du Nord, du Sud et l’Afrique de l’Ouest.
Outre cette activité de lignes régulières, Grimaldi est opérateur de terminaux sur différents continents.
© Crédit photo : Roberto Merlo