Nous avions mis en avant l’hypothèse d’une réduction drastique des passages de porte-conteneurs par le canal de Suez dans notre baromètre de novembre 2023. Notre analyse s’appuyait sur le fait que l’attaque du Galaxy Leader par des rebelles Houthis illustrait une réelle menace pour les navires, leurs équipages et leurs marchandises, mais aussi sur le fait qu’il paraissait évident que cette situation constituait aussi une opportunité pour les compagnies maritimes de restaurer leurs marges en désertant la zone pour emprunter la route du Cap.
La principale incertitude résidait alors dans la capacité des compagnies à coordonner la riposte. Elles ont finalement fait preuve d’une discipline impressionnante. À l’initiative d’une communication de Maersk, en l’espace de seulement 48 heures, l’ensemble de l’offre conteneurisée Est-Ouest n’a plus transité par la Mer Rouge à de rares exceptions près. Certains navires ont même payé le passage du Canal de Suez dans les deux sens pour rebrousser chemin face aux menaces bien réelles de drones ou de missiles. Il convient de rappeler qu’en droit maritime, la compagnie de marine marchande a le devoir de prendre des mesures conservatoires vis-à-vis de la marchandise confiée par le chargeur si elle a connaissance d’un risque ou d’un péril sur sa route, ce qui est manifestement le cas actuellement.
L’impact sur les taux FAK du mois de janvier a été immédiat. En novembre, nous avions estimé à environ 3500 USD le 40’ la restauration du marché Spot Asie-Europe en cas de blocage. C’est visiblement l’ordre de grandeur minimum qu’il faut payer aujourd’hui pour des volumes déjà référencés pour embarquer en janvier, tout en acceptant un voyage plus long d’une quinzaine de jour via le Cap de Bonne-Espérance.
Tant que la menace persiste dans la zone de passage obligée de la Mer Rouge et du Golfe d’Aden, il y a aura un risque qui pèsera obligatoirement sur les taux de fret, d’une façon ou d’une autre. Les hésitations de certaines compagnies sur le fait d’emprunter à nouveau ou pas le canal de Suez n’ont fait que désorienter et tendre un peu plus le marché des taux de fret, en entretenant la confusion.
Pour tenter de protéger cette voie essentielle au commerce mondial, les États-Unis ont annoncé le 18 décembre le lancement de l’opération "Prosperity Guardian", une coalition internationale sous commandement américain visant à contrer les attaques des Houthis. Cette initiative peine toutefois à convaincre. La France a annoncé son soutien, mais en précisant que les moyens qu’elle déployait restaient sous commandement national. Elle a d’ailleurs assuré avec ses propres moyens l’escorte d’un certain nombre de navires, dont des porte-conteneurs de CMA CGM. Par ailleurs, l’Inde, qui est l’un des acteurs majeurs du "Sud Global", a également engagé des ressources militaires pour escorter des navires porte-conteneurs.
La multiplication des attaques de navires en Mer Rouge a presque chassé de l’actualité l’assaut initial du Galaxy Leader. Pourtant, il convient de ne pas oublier que l’équipage de ce navire est toujours retenu en otage à ce jour. Ce paramètre a longtemps freiné une intervention militaire directe. Cependant, dans la nuit du 11 au 12 janvier, les forces navales et aériennes américaines, soutenues par les Britanniques, ont frappé "des cibles utilisées par les rebelles houthis".
Au-delà de la complexité logistique que représente pour les chargeurs l’allongement des délais de transit, la remontée des taux de fret fait renaître la crainte d’une inflation non maîtrisée pour le consommateur final (...).