L'Allemagne constitue le principal contributeur aux performances du transport ferroviaire de marchandises dans l'UE, avec 123 milliards de tonnes-kilomètres (tkm) en 2021, soit environ 31 % du total de l'UE. La Pologne et la France suivent avec respectivement 54 et 36 milliards de tkm.
La pandémie de Covid-19, en 2020, a engendré un trou d’air après trois années consécutives de progression. Mais l’activité est ensuite repartie fortement à la hausse en 2021, avec une croissance de 13,5% par rapport à l’année précédente.
Sur la durée, la part du fret ferroviaire dans l’acheminement des marchandises par voie terrestre est cependant stable, aux alentours de 19%, selon les dernières données publiées par Eurostat sur la base des tonnes-kilomètres. L’étude annuelle sur le marché ferroviaire publiée par la Bundesnetzagentur se montre un peu plus optimiste. Elle estime que le fret ferroviaire a battu un record en Allemagne en 2021, avec un total de 139 milliards de tkm, portant sa part dans l’acheminement terrestre des marchandises au niveau historique de 20,2%[1].
Source des données : Eurostat
Le trafic ferroviaire de marchandises, exprimé en tonnes, a atteint un total de 364 millions de tonnes en 2021, renouant ainsi avec le niveau de 2019, tout en restant sensiblement équivalent au niveau de 2012. Selon une étude de ECM Ventures pour l’Association européenne du fret ferroviaire publiée en 2022[2], si les volumes n’ont guère évolué, on observe en revanche "une évolution significative au détriment des marchandises en vrac traditionnelles, telles que le charbon, le pétrole, le pétrole et le gaz, et au profit du segment "Autres" - un conglomérat de marchandises généralement non spécifiées qui sont transportées dans des conteneurs maritimes, des caisses mobiles ou des remorques. La croissance du volume de fret ferroviaire résulte de la conquête de nouveaux clients et du transfert de marchandises de la route vers le rail, principalement dans le segment du transport combiné (intermodal)", conclut l’étude.
L’activité exprimée en nombre de trains-kilomètres a également renoué avec le niveau pré-pandémique en atteignant 263 millions de trains-km en 2021.
Le marché allemand du fret ferroviaire se distingue par son profil très international. Avec un total de 61,4 milliards de tkm, le marché national passe même légèrement sous la barre des 50% de l’activité totale en 2021. C’est une première au cours des cinq dernières années. Le trafic national a pourtant augmenté de 12% entre 2020 et 2021. Mais parallèlement, le trafic international a bondi de 17,3% par rapport à 2020 (tandis que le trafic de transit a plus modestement progressé de 7,3%), et de près de 24% par rapport à 2017. L’Allemagne se distingue très nettement de ses compagnons du Top 3, puisque la part de l’activité nationale s’élève à 69,5% en Pologne et à 61,2% en France.
Source des données : Eurostat
L’activité internationale est assez équilibrée en Allemagne entre les entrées et les sorties. Le fret ferroviaire entrant représente 25 Md tkm en 2021, en croissance de 15,6% par rapport à l’année précédente et de 23,5% sur cinq ans. Le fret sortant représente quant à lui 24,3 Md tkm, en hausse de 19% par rapport à 2020 et de 24,2% par rapport à 2017. "L'Allemagne est aussi le plus important pays de transit en Europe. Six grands corridors de fret ferroviaire traversent le pays dans toutes les directions, depuis les grands ports de la mer du Nord et de la mer Baltique jusqu'aux principales zones industrielles d'Europe continentale", précise l’étude ECM Ventures[3].
Source des données : Eurostat
L’analyse des flux ferroviaires internationaux montre qu’en 2021, les Pays-Bas sont le principal pays d'origine des flux vers l'Allemagne, devant l'Italie, l'Autriche, la Belgique, la République tchèque et la Pologne. "Les Pays-Bas et la Belgique sont des points d'origine clés en raison des grands ports de Rotterdam, Amsterdam, Anvers et Zeebrugge, qui représentent une part importante du trafic intermodal, tandis que l'Italie, l'Autriche, la République tchèque et la Pologne fournissent des matières premières, des composants et des produits finis à l'industrie et aux secteurs commerciaux allemands. Le trafic sera donc constitué d'un mélange de trains complets traditionnels pour les marchandises sèches et liquides en vrac et de trains intermodaux," précise l’étude réalisée pour l’ERFA. En provenance de l’Allemagne, l'Italie est le pays de destination le plus important pour le fret ferroviaire, suivi par l’Autriche, la Suisse, la République tchèque et la Pologne.
Ouvert dès 1996, le marché du transport ferroviaire de passagers et de marchandises en Allemagne est devenu très concurrentiel.
En termes de chiffre d’affaires, le fret ferroviaire représente, selon l’étude annuelle de la Bundesnetzagentur, un marché de 5,8 milliards d’euros en 2021, contre 5,5 Md en 2020 et 5,7 Md en 2019. La concurrence est bien installée puisque les opérateurs du groupe historique Deutsche Bahn représentent environ 42% de l’activité, contre 58% pour les "nouveaux entrants". En 2017, l’opérateur historique générait encore 52% de l’activité, mais l’équilibre s’est inversé l’année suivante et n’a cessé de se creuser depuis au profit des nouveaux acteurs du marché. "Les entreprises ferroviaires privées allemandes ont atteint une part de marché d'environ 20 %, tandis que les entreprises détenues par des sociétés ferroviaires publiques étrangères se partagent environ 19 % du marché", détaille l’étude.
Le transport ferroviaire de marchandises a vu ses recettes augmenter de 6% entre 2020 et 2021, tandis que l’activité en trains-kilomètres comme en tonnes-kilomètre nettes a progressé de plus de 10%, affirme la Bundesnetzagentur. Ce décalage, qui illustre une certaine pression sur les prix, est moins important du côté des opérateurs privés, estime l’agence.
Les opérateurs privés maintiennent d’ailleurs une pression forte sur le groupe Deutsche Bahn. En 2022, DB Cargo a vu son chiffre d’affaires augmenter de 6% à 4998 M€. En revanche, le résultat d’exploitation ajusté s’est encore dégradé, passant de -467 M€ en 2021 à -665 M€ en 2022. Une situation qui a violemment fait réagir l’association Güterbahnen, qui représente les intérêts des opérateurs privés : "DB Cargo a continué à s'assurer des parts de marché en pratiquant des prix qui ne couvrent pas les coûts. Pour compenser, elle spécule sur le fait que l'État fédéral débloque encore plus de subventions publiques. Ce modèle commercial non durable doit prendre fin cette année. Il coûte au reste de la branche du fret ferroviaire et aux contribuables de l'argent qui manque partout pour les investissements d'avenir", tonne Peter Westenberger, directeur de Güterbahnen.
L’Allemagne affiche des objectifs ambitieux de développement du fret ferroviaire, qui ont notamment été synthétisés en 2017 dans un schéma directeur[4] publié par le ministère des Transports. Ce plan visait à "améliorer de manière durable et tangible la compétitivité et les capacités logistiques du secteur ferroviaire". La même année, l’Allemagne a également dévoilé un plan pour les infrastructures de transport qui prévoyait une enveloppe de financement de près de 270 milliards d’euros d’ici à 2030, dont 112,3 milliards pour le ferroviaire.
Cinq ans après, l’association Güterbahnen estime pourtant que le compte n’y est pas. "Le gouvernement fédéral et DB Netz n’ont pratiquement mis en œuvre aucun des nombreux projets du Plan fédéral des infrastructures de transport. Au cours des cinq dernières années, 140 km de lignes ferroviaires ont été mises en service ou significativement modernisées. Depuis la réforme ferroviaire il y a 28 ans, le réseau ferroviaire n’a été étendu que d’environ 1800 km", déplore l’association. Le think tank allemand Agora Verkehrswende, dont l’objet est de promouvoir la transition vers un système de transport écologique et durable en Allemagne, estime également dans une analyse publiée en janvier 2023 que l’actuel plan sur les infrastructures ne permet pas de répondre aux objectifs de neutralité climatique.
Le sujet est revenu sur le devant de la scène politique allemande. Les dernières prévisions du ministère allemand des Transports[5], publiées au début du mois de mars 2023, font état d’une croissance du fret ferroviaire de 14% en tonnes et de 33% en tonnes-kilomètres entre 2019 et 2051. Dans le même temps, le transport routier progressera de 34% en tonnage et de 54% en tkm
Ce décalage, au bénéfice de la route, s’explique notamment par un changement dans la nature des marchandises transportées. Les flux de marchandises en vrac et les produits énergétiques (charbon, coke, produits pétroliers, minerais, etc.) sont amenés à se réduire, or il s’agit de marchandises traditionnellement clientes du rail.
L’un des grands enjeux du transport de fret ferroviaire pour les prochaines années sera donc aussi de parvenir à capter de nouveaux flux. Le trafic intermodal représente un marché prometteur. L’Allemagne a déjà obtenu des résultats concrets dans ce domaine, selon l’étude d’ECM Ventures pour ERFA. "La croissance du transport intermodal en Allemagne au cours des dix dernières années est principalement attribuable aux semi-remorques. Cela indique que le transfert des marchandises de la route vers le rail est de plus en plus réussi, mais pas en concurrence avec les transporteurs routiers. Il s'agit plutôt d'une nouvelle forme de coopération entre le rail et la route, où les trains intermodaux desservent les longues distances et les transporteurs routiers se chargent de l'enlèvement et de la livraison des marchandises au niveau local", indique l’étude. En Allemagne, les semi-remorques (non accompagnées) représentent environ un tiers du marché intermodal, contre deux tiers pour les conteneurs. Le poids du trafic de semi-remorques est "beaucoup plus élevé que sur n'importe quel autre marché européen", souligne l’étude.
Le défi consistera aussi à capter de nouvelles typologies de marchandises. En novembre 2022, trois associations professionnelles ont remis des propositions au gouvernement visant à favoriser le transport de colis par rail. Dopé par le e-commerce, l’acheminement de colis ne cesse de croître (4,5 milliards d'envois en Allemagne en 2021). L’option ferroviaire semble pouvoir être retenue dans certains cas comme alternative à la route, mais à condition de gagner notamment en souplesse, en fiabilité et en traçabilité. "Inversement, il est important pour les prestataires de services ferroviaires d'en savoir plus sur les volumes, les relations et les besoins des clients pour établir des perspectives à long terme", soulignent les associations Allianz Pro Schiene, BIEK et VDV.
Les professionnels demandent une augmentation des capacités, ciblant en priorité les corridors les plus stratégiques pour le transport de colis :
"Les corridors doivent également être pensés à l'échelle européenne, par exemple avec des liaisons vers l’Italie du Nord, la Scandinavie et la Grande-Bretagne".
Comme pour l’ensemble des projets ferroviaire, cela passe donc par des investissements massifs dans le réseau et dans des terminaux de nouvelle génération permettant d’intégrer le ferroviaire dans de nouveaux schémas logistiques. Malgré des résultats plutôt supérieurs à la moyenne européenne, l’Allemagne va devoir, elle-aussi, mettre un coup d’accélérateur.
[1] Nous présentons en priorité les chiffres d’Eurostat, qui correspondent à ceux de l’Office fédéral allemand de la statistique. Cependant, nous avons décidé d’exploiter également en partie les données de l’étude annuelle produite par la Bundesnetzagentur (Agence fédérale des réseaux). Les résultats ne sont pas identiques, en raison de l’application d’une méthodologie différente, par exemple dans la comptabilisation des résultats des opérateurs ferroviaires étrangers. Néanmoins, les tendances globales sont similaires et l’étude fournit des données détaillées qui permettent d’éclairer l’évolution du marché.
[2] ECM Ventures pour ERFA, "The European Rail Freight Market – Competitive Analysis and Recommendations", 2022
[3] ECM Ventures pour ERFA, "The European Rail Freight Market – Competitive Analysis and Recommendations", 2022
[4] Federal Ministry of Transport and Digital Infrastructure, "Rail Freight Masterplan", Juin 2017.
[5] Intraplan Consult GmbH, TTS TRIMODE Transport Solutions GmbH, pour le compte du Ministère fédéral du numérique et des transports : "Prognose 2022 - Gleitende Langfrist Verkehrsprognose 2021-2022", mars 2023.