Market Insights

Le rebond de l’économie mondiale crée de fortes tensions

Rédigé par David Thébault | 24 septembre 2021

La supply chain mondiale ne devrait pas sortir avant plusieurs mois de la zone de turbulences dans laquelle elle est entrée en 2021, en raison de l’explosion de la demande.

Après le repli de 3,2% du PIB enregistré en 2020, selon les chiffres du Fonds Monétaire International (FMI), l’économie mondiale a bénéficié d’un phénomène de rebond au cours du 1er semestre 2021. Cette accélération est portée par une forte augmentation de la consommation, tant en Europe qu’aux États-Unis. Le FMI anticipe une croissance mondiale de +6% pour l’année 2021, plus rapide pour les pays émergents et les pays en développement (+6,3%) que pour les économies avancées (+5,6%).

Selon les données de l’OCDE, au deuxième trimestre 2021, le PIB des États-Unis a augmenté de 1,6% par rapport au trimestre précédent et celui de la Chine de 1,3%. En Europe, on note une accélération plus marquée pour les pays du sud. L’Espagne affiche une croissance de 2,8% et l’Italie 2,7%, alors que l’Allemagne se situe à 1,6% et la France à 1,1%. Le Royaume-Uni entre en revanche dans une phase de "déverrouillage" post-Brexit et profite pleinement de la levée des restrictions sanitaires au deuxième trimestre avec +4,8% de croissance du PIB par rapport au premier trimestre.

L’économie européenne reste sous le signe d’une accélération de l’activité. La Banque Centrale Européenne a relevé son estimation de croissance à +5% pour l’année 2021 et estime que le niveau d’avant crise sera atteint dès la fin du 4ème trimestre.

Source des données : OCDE

 

Un record d’activité pour le commerce mondial

Le commerce de marchandises en valeur se hisse également à un nouveau record au 2ème trimestre pour les pays du G20. Les données collectées par l’OCDE montrent que les exportations s’élèvent 4 213 milliards de dollars, en croissance de 4,1% par rapport au trimestre précédent. Les importations augmentent quant à elles de 6,4%, atteignant ainsi le chiffre record de 4 252 milliards (données mesurées en dollars courants et corrigées des variations saisonnières). Le baromètre de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) confirme cette reprise vigoureuse du commerce des marchandises et affiche également un record depuis sa création.

Si la reprise économique explique en partie ces bons résultats, l’augmentation du prix des matières premières est aussi un facteur essentiel d’explication. Par exemple, les exportations australiennes ont augmenté de 10% en bénéficiant de la hausse des prix de ventes de métaux, de charbon et de céréales. De même, les exportations du Brésil ont affiché une hausse de 29,6% grâce aux minerais de fer et au soja. Autre exemple : la croissance des prix de l’énergie a favorisé une augmentation de +30,7% des exportations russes.

L’amélioration des perspectives économiques sera soutenue par une hausse de 11,4% du commerce mondial de biens pour l’année 2021, selon les estimations de la direction générale du Trésor, mais aura pour corollaire une augmentation des tendances inflationnistes.

Une hyperinflation des produits primaires et stratégiques

Une reprise économique "en V" peut générer un certain niveau d’inflation. En revanche, il est nécessaire d’être vigilant si la hausse des prix est la conséquence de l’augmentation du coût du travail qualifié, de l’énergie et des matières premières. En ce moment, la hausse exponentielle des prix du transport du fret maritime et aérien vient ajouter un surcoût de production et pourrait devenir un facteur d’accélération de l’inflation des prix de vente aux consommateurs.

Au niveau européen, la Banque Centrale Européenne a pour objectif de limiter l’inflation à 2%, mais cela semble difficilement tenable cette année. Au mois d’août, les prix à la consommation ont augmenté de 3% dans la zone euro. Cette augmentation s’explique par un rattrapage de la consommation, la hausse du pétrole et l’ajustement de la TVA en Allemagne. Un pays particulièrement touché puisque l’inflation allemande a atteint 3,9% au mois d’août, soit son plus haut niveau depuis 27 ans. Devant le principe de réalité, la Banque Centrale Européenne a réévalué ses estimations d’inflation à 2,2% pour 2021 mais considère que ce phénomène est temporaire et que l’inflation refluera à 1,7% en 2022.

Les prix à la production industrielle ont augmenté de 12,2% dans l’Union Européenne au mois de juillet 2021 comparativement à juillet 2020. La situation est similaire aux États-Unis où les prix à la production des produits fabriqués et des services ont crû de 8,3% au mois d’août 2021 comparativement à août 2020, soit un record depuis 10 ans. La crise sanitaire a bouleversé les unités de production et les chaînes logistiques, occasionnant des pénuries de matériaux, de semi-conducteurs et de pièces détachées. Les matières premières et les produits pétroliers ont subi de plein fouet cette envolée des prix. D’après les prix spot traités sur les bourses de New York, Londres et Paris, le pétrole brut (WTI) a augmenté de +87% depuis 12 mois, l’aluminium de 59%, le soja de 27,5% et le café de 42%.

En matière de transport, les données Upply révèlent une flambée des prix de transaction du transport maritime de conteneurs de +189% sur le corridor Asie-Amérique du Nord Côte Ouest sur la période allant du 8 août 2020 au 8 août 2021. La tendance est aussi haussière pour le secteur du fret aérien international avec une augmentation de +27% sur le corridor Asie-Europe pour la même période. L’augmentation est moins marquée pour le secteur routier, mais le marché fait face à une sous-capacité des moyens de transport, un manque crucial de chauffeurs et une augmentation du coût du travail. 

Source : Upply

Les pénuries et les retards de livraison désorganisent la production

Depuis la réduction des restrictions sanitaires, l’activité du secteur privé de la zone euro mesurée par l’indice PMI composite progresse à un rythme soutenu. Après avoir atteint 60,2 en juillet et 59 en août, le PMI se stabilise à son plus haut niveau depuis une quinzaine d’années. Mais cette progression fulgurante a pour conséquence une forte pression sur les chaînes d’approvisionnement et une hausse record des délais de livraison et des ruptures de stocks.

Au-delà de l’effet prix, la pénurie de semi-conducteurs conduit à la mise à l’arrêt pour plusieurs semaines de certaines usines, en particulier dans le secteur automobile. Les immatriculations de voitures neuves en France ont baissé de 15% au mois d’août 2021 comparativement à août 2020 et de 23% en Allemagne. Mais il en est de même pour le premier marché mondial en Chine où les ventes de voitures neuves ont accusé un repli de 14,7%. Un retard qui ne pourra être rattrapé au dernier trimestre. Ainsi, Toyota annonce début septembre une baisse de 40% de son niveau de production et réduit son objectif annuel de production de 300 000 véhicules en raison de la pénurie de puces et de pièces détachées.

Les tensions dans le transport maritime entraînent aussi des retards de livraisons depuis plusieurs mois et des ruptures de stocks historiques pour le secteur de la distribution. Congestion record des ports de la côte Ouest des États-Unis, désynchronisation des services, manque crucial de conteneurs vides disponibles en Asie et en Europe, fermetures de terminaux portuaires en Chine en raison de cas de Covid : les problèmes s’accumulent. Face à une situation aussi complexe pour le transport conteneurisé, Ikea a emboîté le pas à Home Depot ou Walmart en annonçant début septembre l’achat de conteneurs et l’affrètement de navires dédiés pour sécuriser l’approvisionnement de ses magasins. Outre les chargeurs, plusieurs grands commissionnaires de transport mondiaux ont également affrété des navires.

Au Royaume-Uni, c’est la pénurie de chauffeurs de poids lourds qui pèse sur l’économie. Sous l’effet du Brexit et de la crise sanitaire, les chauffeurs étrangers manquent à l’appel, ce qui pénalise les chaînes logistiques jusqu’à la rupture de stock. Par exemple, McDonald's a dû retirer les milkshakes de sa carte par manque de lait et Nando’s a fermé 45 restaurants devant une rupture de stock de poulet. Face à une telle situation, les distributeurs proposent une réévaluation des salaires. La chaîne de grands magasins John Lewis propose une augmentation de 5 000 £ et une prime à l’embauche de 1 000 £ aux nouveaux chauffeurs, suivant ainsi l’exemple d’autres grands détaillants comme Tesco, Marks&Spencer et Aldi.

La normalisation demandera du temps. Selon les prévisions du FMI, la croissance mondiale sera plus modérée en 2022, mais elle devrait encore atteindre 4,9%. Les échanges de biens continueront également à progresser, même si, là encore, la croissance s’amenuisera. Les tensions constatées dans la supply chain devraient donc s’atténuer mais elles ne disparaîtront pas et les prix de transport se maintiendront à des niveaux élevés.