Market Insights

Le Royaume-Uni reste un marché attractif pour le transport routier

Rédigé par Anne Kerriou | 02 mai 2025

DOSSIER 3/5. Comme ailleurs en Europe, le transport routier occupe une place prépondérante dans l’acheminement des marchandises au Royaume-Uni. L’importance de l’économie britannique en fait un marché attractif, même si les deux dernières années ont été difficiles.

En 2019, dernière année pleine avant la concrétisation du Brexit, le pavillon routier britannique occupait la 5è place européenne derrière l’Allemagne, la France, l’Espagne et la Pologne, avec un total de 1471 millions de tonnes et 160,8 milliards de tonnes-kilomètres (tkm) selon les données d’Eurostat. On peut considérer qu’il a depuis conservé son rang, même si les différences de méthodes statistiques rendent difficiles les comparaisons exactes. Le marché britannique reste une économie importante, et un partenaire de premier plan pour l’Union européenne.

Cependant, les transporteurs routiers britanniques vivent depuis deux ans une période difficile. Comme leurs homologues de l’Union européenne, ils constatent une érosion des volumes après la belle reprise post-Covid de 2021-2022.

1/ Évolution de l’activité

En 2023, les poids lourds de + 3,5t ont représenté 16,9 milliards de véhicules-miles sur les routes britanniques, soit une baisse de 2,5 % par rapport à 2022 et de 1,6 % par rapport à 2019. Le trafic sur les autoroutes s'élevait à 8,1 milliards de véhicules-miles, soit 48 % du total, contre 7,6 milliards sur les routes nationales (45%) et 1,3 milliard sur les routes secondaires.

  • Trafic domestique

L’activité domestique représente une part écrasante de l’activité des transporteurs routiers britanniques puisqu’elle s’élève à 96,5%. Selon l’Office national des statistiques (ONS) du Royaume-Uni, le pavillon britannique a enregistré un volume d’activité de 167 milliards de tonnes-kilomètres en 2023 sur ce segment domestique[1], en baisse de 5% par rapport à l’année précédente. Le transport routier détenait ainsi une part de 81% dans l’acheminement des marchandises sur le marché domestique britannique, contre 12% par la voie d’eau et 8% par le rail.

Les chiffres disponibles à date pour l’année 2024 montre que l’érosion du trafic de fret routier constatée en 2023 s’est poursuivie. En année glissante à la fin du troisième trimestre 2024, le trafic était en repli de 3% à 165 milliards de tkm. En tonnage, l’activité suit une courbe similaire, avec une diminution de 5% à 1552 millions de tonnes (Mt) en 2023, et une chute de 4% à 1538 Mt en année glissante à fin septembre 2024.

Les poids lourds sous pavillon britannique ont parcouru 19 milliards de tonnes-kilomètres, ce qui représente une baisse de 3% par rapport à 2022.

  • Trafic international

Le déclin est encore plus sévère à l’international. Le trafic en tonnage du pavillon britannique est descendu à 5,7 millions de tonnes en 2023, en baisse de 12,4% par rapport à 2022 et de 30% par rapport à la moyenne enregistrée entre 2015 et 2019. Le phénomène est particulièrement sensible à l’exportation du Royaume-Uni vers l’Europe, même si les deux sens sont touchés. "Au cours des 20 dernières années, le volume de marchandises transportées par les poids lourds immatriculés au Royaume-Uni a globalement diminué, tant pour les importations que pour les exportations, les poids lourds immatriculés au Royaume-Uni important généralement plus de marchandises qu'ils n'en exportent. L'écart entre les importations et les exportations s'est creusé en 2023 pour atteindre 0,7 million de tonnes, contre 0,4 million de tonnes en 2022", précise l’Office national des statistiques. Par rapport à la moyenne 2015-2019, le repli des tonnages transportés par les poids lourds britanniques s’élève à -35% à l’export et -24% à l’import.

Le Top 5 des origines et destinations des véhicules lourds immatriculés au Royaume-Uni est plutôt stable dans le temps. Il suit assez largement une logique géographique, avec la France et la Belgique largement en tête à l’import comme à l’export. Toutefois, le pavillon britannique perd du terrain depuis le Brexit. Ainsi, en 2023, l’Italie a ravi la 5è place à l’Irlande sur le segment des importations.

La dégradation de l’activité internationale touche aussi les pavillons étrangers. En 2023, les poids lourds immatriculés à l'étranger acheminant des marchandises à destination et en provenance du Royaume-Uni ont transporté 28 millions de tonnes, soit une baisse de 5,1 % par rapport à 2022 et de 24 % par rapport à la moyenne des tonnes transportées entre 2015 et 2019 :

  • Les exportations au départ du Royaume-Uni vers l’Europe sont passées sous la barre des 10 millions de tonnes, après une baisse de 4% en 2023 et de 32,2% par rapport à la moyenne de la période 2015-2019.
  • Les importations du Royaume-Uni en provenance d’Europe assurées par les pavillons étrangers ont quant à elles diminué de 5,6% par rapport à 2022 et de 19,3% par rapport à la moyenne de la période 2015-2019.

Le pavillon polonais occupe une place prépondérante dans le paysage des transporteurs étrangers actifs sur les lignes internationales du Royaume-Uni, tant à l’import qu’à l’export, suivi par le pavillon irlandais. Globalement, les flottes d’Europe de l’Est se sont fortement développées sur le marché britannique, comme dans l’ensemble de l’Europe de l’Ouest. On relève également une forte présence des transporteurs espagnols du continent vers le Royaume-Uni.

En ce qui concerne les importations vers le Royaume-Uni, les véhicules immatriculés en Pologne ont également représenté la part la plus importante, passant de 22 % en 2012 à 28 % en 2022, tandis que les véhicules immatriculés en Roumanie sont passés de 2 % à 6 %.

Tant pour les importations que pour les exportations, la majorité des marchandises transportées par des véhicules immatriculés en Pologne et en Roumanie sont des marchandises en transit.

2/ Caractéristiques du TRM britannique

  • Chiffre d’affaires et valeur ajoutée brute

Le chiffre d’affaires global du secteur a atteint 37,1 milliards de Livres Sterling en 2023 (environ 43 milliards d’euros), en baisse de 2% par rapport à une année 2022 record. La valeur ajoutée brute s’est aussi repliée de 5% pour s’établir à 16,9 milliards de Livres Sterling (19,7 Md€), soit 15,6% de la valeur ajoutée brute du secteur transport et entreposage.

  • Nombre d’entreprises

Au Royaume-Uni comme sur le continent européen, le secteur du transport routier de marchandises se caractérise par une forte atomisation, qui a culminé en 2020. Mais depuis, le nombre d’entreprises n’a cessé de diminuer, et la chute a été particulièrement drastique en 2023, avec un repli de 17%. Le secteur comptait ainsi un peu plus de 46 000 entreprises : il faut remonter à 2015 pour trouver un chiffre aussi bas. Il s’agit très majoritairement de petites entreprises puisque 92% d’entre elles comptent moins de 10 salariés.

"La présence des entreprises de transport routier de marchandises est concentrée autour des Midlands, qui sont reliés au reste du Royaume-Uni par trois autoroutes principales (M42, M1 et M6, également connues sous le nom de "triangle d'or"), offrant la possibilité au transport routier de marchandises d'atteindre environ 90 % du territoire britannique en moins de quatre heures", précise une étude de AtkinsRéalis sur le marché du transport routier britannique publiée en 2023.

  • Flotte

Selon le dernier rapport de l’Association européenne des constructeurs automobiles (ACEA) sur les véhicules en circulation en Europe, la flotte britannique de camions s’établissait à 780 919 véhicules en 2023, en augmentation de 2,9% par rapport à 2022. L’âge moyen des poids lourds en circulation s’élève à 11,6 ans, ce qui en fait une flotte relativement jeune. La transition énergétique est en revanche un peu à la traîne puisque 98,1% des véhicules lourds roulent au diesel, pour une moyenne de 96,4% dans l’Union européenne.

En 2023, le marché des nouvelles immatriculations de poids lourds s’est replié de 2,1%, avec un total de 54 016 immatriculations de véhicules de +3,5t. Le marché des +16 tonnes représente près des trois quarts des immatriculations (38 857), mais il a chuté de 7,7 % en 2023, alors que le segment des véhicules de 3,5 t à 16t a progressé de 17,8% pour totaliser 14 017 immatriculations.

Les défis du TRM britannique  

  • Pénurie de conducteurs

En 2023, le nombre de conducteurs routiers de poids lourds au Royaume-Uni a diminué de 5% pour atteindre 271 800. Comme tous les pays européens, le pays est confronté à une situation de pénurie. Cependant, celle-ci est moins critique qu’en 2020-2021. À l’époque, le Covid-19 avait conduit de nombreux conducteurs de l’UE à quitter le Royaume-Uni. Beaucoup ne sont ensuite pas revenus, le Brexit compliquant les démarches administratives. En 2021, le pays a vécu une situation très critique, alors que la demande de transport routier redémarrait en flèche. Le gouvernement a volé à la rescousse du secteur avec un programme incluant des actions de court-terme, avec par exemple des dérogations en matière de temps de conduite ou des aides à l’embauche d’apprentis, mais aussi des mesures de moyen-terme. Il a notamment mis en place en 2022 des formations gratuites, les "Skill Bootcamps", et le système a depuis été étendu jusqu’en février 2026. Plus de 10 000 nouveaux conducteurs ont obtenu leur permis grâce à ces stages depuis 2022, selon la Road Haulage Association (RHA).

Si la situation s’est améliorée, la pénurie de main d’œuvre reste un sujet de préoccupation pour les années à venir. Aujourd’hui, l’âge moyen d’un conducteur de poids lourds au Royaume-Uni est de 51 ans, et selon les derniers chiffres de Logistics UK, 48,7% des conducteurs actuels ont plus de 50 ans. Cela laisse donc augurer de fort besoin de renouvellement. "Alors que les salaires proposés aux conducteurs ont augmenté de près de 4 % au dernier trimestre 2024 par rapport à l'année précédente, les offres d'emploi ont crû de plus de 33 % et le nombre d’examens de conduite de poids lourds passés entre janvier et novembre 2024 a chuté de plus de 20 % par rapport à l'année précédente. Les entreprises doivent donc redoubler d'efforts pour attirer les futures générations de conducteurs", avertit Logistics UK.

  • Augmentation des coûts d’exploitation

Dans sa dernière étude annuelle sur l’évolution des coûts du transport routier, la RHA souligne que 2024 a été une nouvelle année difficile pour les opérateurs. Les entreprises de transport routier sont confrontées à une hausse persistante des coûts d’exploitation. L’enquête menée par la RHA auprès de ses membres au début du mois d’octobre 2024 établit l’augmentation à +3,58%, carburant compris. Le scénario hors carburant reste beaucoup plus élevé, à +5,95 %. "Le coût d’exploitation d’un véhicule de 44 tonnes s’élève annuellement à 160 604 £, hors carburant et additifs. Cela représente une augmentation de 9 025 £ par rapport à l'année précédente. En incluant le carburant et les additifs, le coût annuel total grimpe à 208 397 £, avec un prix moyen du carburant de 113,46 pence par litre à la fin du mois de septembre", détaille la RHA.

Selon les adhérents interrogés, ces hausses de coûts dépassent la plupart du temps les augmentations tarifaires passées auprès des clients, ce qui se répercute sur la santé des entreprises. "En 2023, près de 500 entreprises ont fait faillite et le mouvement s’est poursuivi cette année, les difficultés touchant même des opérateurs réputés et autrefois prospères", indique la RHA, sans préciser le nombre de défaillances pour 2024.

  • La décarbonation

En 2022, le gouvernement britannique s’est engagé à ce que 100% des nouveaux véhicules lourds mis sur le marché soient des véhicules à zéro émission d’ici 2040. Mais comme dans tous les autres pays européens, la question du coût de la décarbonation est un sujet crucial.

Les petites entreprises, qui constituent en nombre la grande majorité du marché, ont tendance à privilégier les véhicules d'occasion, ce qui pourrait retarder l'adoption de véhicules à zéro émission. Le coût d'achat de ces véhicules reste un obstacle. Afin de soutenir la transition, l’État a mis en place il y a quelques années un système d’aide pour l’achat de camions électriques. Le taux de subvention pour les camions éligibles est fixé à un maximum de 20 % du prix d'achat, et un financement pouvant atteindre 25 000 £ pour les poids lourds de + de 12 tonnes est prévu.

Le 1er avril 2025, la ministre des Transports Lilian Greenwood a annoncé la prolongation de cette subvention jusqu’en avril 2026. La Road Haulage Association s’est félicité de cette décision mais estime que "des aides financières additionnelles seront nécessaires".

Globalement, le transport routier de marchandises britannique est finalement confronté à des défis assez similaires à ceux que doivent relever les pavillons d’Europe de l’Ouest de l’Union européenne, même si certaines difficultés peuvent être exacerbées par l’insularité, et par les conséquences du Brexit.

[1] Transport routier national réalisé par les véhicules de +3,5t immatriculés au Royaume-Uni