DOSSIER 2/5. Le Royaume-Uni misait sur son indépendance retrouvée pour développer les échanges commerciaux hors Union européenne. Cette approche théorisée sous la notion de Global Britain n’a pour l’instant pas fait ses preuves.
Depuis 2016, le Brexit a amené de nombreux changements au Royaume-Uni. Les démarches engendrées par ce schisme politique et institutionnel arrivent aujourd’hui à leur terme. Depuis avril 2025, il est désormais nécessaire d’obtenir un visa et une autorisation de déplacement pour se rendre outre-Manche depuis un pays de l’Union européenne, ce qui marque une séparation nette dans la libre circulation des personnes entre le Royaume-Uni et l’espace européen.
Conséquence prévisible de la sortie britannique de l’UE, le Royaume-Uni négocie désormais seul au sein de l’Organisation mondiale du commerce, face aux 27 voix rassemblées de l’UE, ainsi que celles des géants américain et chinois. Sixième économie mondiale en 2024, le Royaume-Uni a également changé de bord politique. La nomination du Premier ministre travailliste Keir Starmer en juillet 2024 marque un tournant majeur après près d’une décennie de majorité conservatrice. En dix ans, la situation géopolitique et économique mondiale a elle aussi connu des virages à angles droits, voire des retournements à 180 degrés. L’allié inconditionnel du 20ème siècle, les États-Unis, ne soutiennent plus le libéralisme économique mondial et restent ambigus quant à leur coopération militaire au sein de l’OTAN, remettant en cause leur ‘special relationship’ avec Londres.
Dans ce contexte international inédit, combiné avec les profonds changements internes à l’oeuvre au Royaume-Uni, quelles perspectives commerciales s’offrent au nouveau gouvernement travailliste ? Le Brexit a-t-il fondamentalement modifié le commerce britannique ? Le Royaume-Uni s’est-il replié sur un commerce appuyé avec les pays du Commonwealth ? La montée en puissance du partenaire chinois avant le Brexit a-t-elle pâti de la politique hostile des gouvernements britanniques conservateurs successifs, et particulièrement du dernier ? Les États-Unis et l’Union européenne occupent-ils toujours une place de choix dans le commerce britannique ?
En d’autres termes, le Royaume-Uni a-t-il réussi à atteindre ses objectifs de devenir un Royaume-Uni "global" plutôt qu’européen, comme l’avait affirmé la Première ministre Theresa May en 2017 ? Éléments de réponse.
Un seul partenaire majeur : ‘good old’ Europe
Les Britanniques échangent beaucoup de biens et services avec le reste du monde, et cela de façon plutôt équilibrée. Londres étant déficitaire en termes d’échange de biens, mais largement excédentaire dans le domaine des services, cela se traduit par un léger déficit commercial global. On observe une petite contraction du commerce de biens en 2020, année marquée par le Covid-19 mais aussi par la fin de la période de transition vers la sortie de l’UE. Le commerce UE-Royaume-Uni a amorti le choc avant de repartir à la hausse l’année suivante.
Même si le Royaume-Uni a quitté l’UE, celle-ci reste de très loin son premier partenaire commercial, en termes d’imports comme d’exports de biens et de services. Pour les biens, l’UE représentait 47% des exportations britanniques et 53% de ses importations en 2023. Dans les services, l’UE représentait 45% des importations et 36% des exportations[1].
En comparaison, l’allié commercial et militaire traditionnel du Royaume-Uni, les États-Unis, ne représentait (pour la même année) "que "16% de ses exportations et 9,5% de ses importations de biens, et 19% de ses importations et 26% de ses exportations de services. La Chine est le deuxième partenaire du Royaume-Uni en termes d’importations de biens, le troisième pour les exportations. Elle commerce très peu de services avec le Royaume-Uni.
Côté européen, le Royaume-Uni demeure la troisième source d’approvisionnement en biens de l’UE, mais la baisse des exportations britanniques vers l’UE est notable à partir de 2021. Cette année-là, soit un an après l’entrée en vigueur effective du Brexit, le Royaume-Uni a rejoint la "seconde division" des partenaires commerciaux européens, à l’instar de la Norvège ou la Suisse. Négocié dans la douleur, l’accord de commerce et de coopération (Trade and Cooperation Agreement, TCA), qui régit désormais les relations commerciales entre l’Union européenne et le Royaume-Uni n’a pas instauré de droits de douane, mais à défaut de reconnaissance mutuelle formelle des réglementations appliquées de part et d’autre, il impose des formalités aux frontières qui allongent les délais et augmentent les coûts. Le cas des contrôles sanitaires et de sécurité des produits alimentaires et agricoles est particulièrement édifiant. Les États membres de l'UE ont introduit des contrôles sur les importations en provenance du Royaume-Uni immédiatement après l’entrée en vigueur de l'accord commercial transatlantique, avec cependant des périodes de tolérance et des reports pour certains dispositifs. Le Royaume-Uni a encore plus dû procéder par étapes, tant la transition est complexe.
Par ailleurs, selon certaines études, le commerce intra-européen a été beaucoup plus dynamique que le commerce mondial après 2020. En se coupant de cette dynamique, le commerce britannique a aussi donc perdu des opportunités d’expansion. D’autres analyses[2] suggèrent aussi que sur le long terme, sur la base des données actuelles, le commerce britannique avec l’ensemble de ses partenaires diminuerait d’environ 15%.
Les espoirs déçus du Global Britain
L’un des arguments des défenseurs du Brexit était de rendre au Royaume-Uni sa liberté de négocier des accords de libre-échange (ALE). En s’affranchissant des nécessaires compromis que ce type d’accord implique au sein de l’Union européenne, afin de prendre en compte les intérêts de l’ensemble des États membres, le Royaume-Uni espérait mieux défendre ses propres filières. Aujourd’hui, "plus de 70 accords commerciaux sont en place, mais la grande majorité d'entre eux sont des accords de reconduction qui ont permis au Royaume-Uni de poursuivre ses échanges avec des pays clés avec un minimum de perturbations", souligne le rapport UK Trade 2024[3]. Seules exceptions : les accords avec l'Australie, la Nouvelle-Zélande et, dans une moindre mesure, l’accord avec le Japon. "Les négociations sont en cours avec l'Inde, mais se sont avérées difficiles, avec des questions telles que les visas de travail post-études difficiles à résoudre. Un ALE avec la Chine n'est pas possible actuellement en raison des tensions géopolitiques. L'objectif initial du Royaume-Uni après le Brexit de conclure un ALE avec les États-Unis n'a pas non plus été atteint et ne semble pas pouvoir l'être à court terme", précise le rapport.
- Le virage de l’allié américain
Il est probable que les échanges commerciaux du Royaume-Uni avec les États-Unis faiblissent dans les années à venir. Tout d’abord, l’administration américaine vient d’apposer des mesures tarifaires "universelles" de 10% qui concernent aussi les biens en provenance du Royaume-Uni, malgré la relation commerciale excédentaire que Washington enregistre avec Londres depuis 2015. Même si les droits de douanes américains sont inférieurs à ceux imposés à d’autres (20% pour l’UE par exemple), ces mesures risquent de mettre en péril les exportations britanniques vers les États-Unis.
Au-delà du positionnement commercial non-conventionnel et particulièrement étonnant vis-à-vis du Royaume-Uni adopté par Donald Trump, les États-Unis nourrissent aussi l’incertitude quant à leur attitude dans la guerre de la Russie contre l’Ukraine. Cela pousse le Royaume-Uni à se rapprocher militairement - mais aussi probablement commercialement - de partenaires plus alignés, notamment les pays de l’UE. Londres est un soutien fort de Volodymyr Zelensky, ainsi qu’un véritable pilier de l’OTAN. Le pays a aussi soutenu les sanctions vis-à-vis de la Russie, son commerce bilatéral s’effondrant dès 2022.
- Une volonté chinoise d’indépendance qui affecte particulièrement le Royaume-Uni
Le commerce bilatéral avec Chine, lui, est en baisse, aussi bien pour les importations de produits chinois que d’exportations de produits britanniques. Cela n’est pas propre au Royaume-Uni : depuis quelques années, la Chine cherche à limiter ses importations, particulièrement en provenance des pays occidentaux. Au nom de la politique dite de "circulation duale", Pékin veut augmenter ses exportations pour accroître la dépendance de ses partenaires vis-à-vis des produits chinois, tout en diminuant sa propre dépendance commerciale.
Pour le Royaume-Uni spécifiquement, les gouvernements conservateurs qui se sont succédé ont pris leurs distances avec la Chine, avec pour conséquence une diminution conséquente des échanges. Entre 2023 et 2024, les importations chinoises ont ainsi baissé de 10%, tandis que les exportations britanniques vers la Chine ont diminué de 27%. En comparaison, dans le même temps, les exportations chinoises vers l’Union européenne ont décliné de seulement 0,5%, et les exportations chinoises vers les États-Unis ont augmenté de 1%.
Le commerce britannique par type de produit
Les services, notamment financiers et ceux fournis aux entreprises, sont les moteurs des exportations britanniques. Si le rôle de la place boursière de Londres est connu, les services aux entreprises, moins visibles, représentent pourtant près du double de la valeur des services financiers. Loin derrière ces piliers de l’économie britannique, on trouve les catégories de biens britanniques exportés, au premier rang desquels les machines et équipements de transport.
Ces derniers, qui comprennent notamment les véhicules de marque britannique, devancent les exports de produits chimiques, de produits manufacturés, de matériel industriel et d’hydrocarbures. Parmi ces biens, seul le pétrole n’est pas un produit manufacturé. Toutefois, ces éléments confirment les analyses précédentes : le Royaume-Uni exporte plus de produits intermédiaires que les autres économies comparables de l’OCDE.
Le Royaume-Uni exporte une partie de son pétrole mais en importe aussi : c’est le troisième produit importé outre-Manche. À l’instar d’autres économies insulaires, le Royaume-Uni demeure encore très dépendant du reste du monde pour sa sécurité alimentaire - les aliments et animaux vivants figurent au cinquième rang des importations britanniques.
Conclusion
Malgré le Brexit, l’Union européenne reste le premier partenaire commercial du Royaume-Uni pour les biens comme pour les services, et pour les importations comme les exportations. L’objectif fixé par Theresa May – une économie britannique "mondiale" ("Global Britain") - n’a pas été rempli à ce jour. Le traité de libre-échange négocié avec les États-Unis semble lointain (même s’il n’est pas abandonné, la reprise des négociations a été repoussée a minima à 2025) et l’accord préférentiel avec l’Inde est toujours en négociation. Les grands partenaires du Royaume-Uni, notamment les États-Unis, sont perçus comme de moins en moins fiables depuis le retour de l’administration Trump. La Chine non plus n’est plus un partenaire de choix pour Londres. Même si le Royaume-Uni a voulu s’affranchir de son voisin européen, les deux restent liés au moins commercialement. Cette tendance devrait se renforcer dans un contexte où les questions sécuritaires, et notamment la guerre en Ukraine, les poussent à approfondir leur coopération.
[1] Les données pour le 4ème trimestre 2024 ne sont pas encore disponibles.
[2] UK trade 2024, UK in a Changing Europe (2024)
[3] UK trade 2024, UK in a Changing Europe (2024)